Depuis la fin du XIXème siècle, le lucratif marché du nickel a vécu en première ligne la mondialisation des marchandises, des échanges et des marchés. Alors que la Nouvelle-Calédonie accueille cette semaine la cinquième édition de la conférence du nickel, retour sur l'Histoire de l'or vert.
Sur les quais de Nouméa, le soleil brûlant cogne sur le béton, rien n'a vraiment changé depuis 1880. Des monceaux de Nickel attendent les grands minéraliers venus chercher le métal sorti des fours de l'usine S.LN de Doniambo. Ailleurs dans le monde, d'autres usines utiliseront ce Nickel de haute qualité pour produire de l'acier inoxydable dans un subtil mélange métallurgique. Dans la capitale calédonienne, l'existence du London Metal Exchange, la bourse mondiale des matières premières de Londres, ne préoccupe que le petit monde de la production et du négoce des mines.
Une corbeille rouge, bruyante et passionnée
Le L.M.E est une vieille dame, l'héritière de la domination coloniale anglaise. Lointaine époque où l'Union Jack flottait des Indes à l'Afrique, planté sur les mines et les matières premières des pays colonisés. L'empire a disparu mais le L.M.E a survécu. Londres est toujours le centre du négoce des "primary metals", les métaux premiers. Cuivre, Zinc, Aluminium ou… Nickel, les cours sont fixés chaque jour autour d'une corbeille rouge, bruyante et passionnée. Ailleurs, dans la City, d'autres traders analysent et spéculent sur les prix en fonction de l'offre et de la demande.
Eramet VS le reste du monde
Hier comme aujourd'hui, les grandes compagnies minières ont toujours cherché à dominer le marché mondial. Anglo-saxonnes pour la plupart, elle n'ont jamais vu d'un bon œil l'existence de leur compétiteur français ERAMET. Son usine est toujours à Nouméa, ses mines un peu partout ailleurs sur le territoire. ERAMET n'est donc pas négligeable même à l'échelle de ses puissants concurrents. Jusqu'en 1998, le groupe métallurgique avait un domaine réservé sur lequel lorgnaient les grandes multinationales minières : la Nouvelle-Calédonie et ses formidables réserves de Nickel. Cette époque appartient désormais au passé.
Le tournant politique
Avril 1997. La bataille des communiqués est intense entre Paris et Nouméa. Elle oppose la direction du groupe ERAMET et les indépendantistes calédoniens. Ces derniers revendiquent la construction d'une nouvelle usine de nickel, au nord, en terre Kanak. La faisabilité de cette usine dépend de l'attribution d'un gisement minier de classe mondiale. Un an plus tard, le dimanche 1er février 1998, l'accord de Bercy accorde aux indépendantistes calédoniens le massif du Koniambo. La condition sine qua non à la construction de l'usine du Nord est réunie. Le Koniambo revient à la Société Minière du Sud-Pacifique (SMSP) propriété des indépendantistes de la Province Nord mais aussi à son premier partenaire industriel et financier, le groupe minier nord-américain Falconbridge. Pour la direction d'ERAMET et son usine locale emblématique, la Société Le Nickel, la perte de l'énorme gisement de nickel du Koniambo sera vécue comme un traumatisme, une sorte de Waterloo minier. Ironie de l'histoire, le siège social de Falconbridge l'associé canadien des indépendantistes Kanak se trouve…Wellington Street, à Toronto. La rue porte le nom du général anglais vainqueur des français lors de la célèbre bataille !
L'usine du Nord
L'accord de Bercy marque la fin d'une époque commencée avec l'exploitation du nickel par la SLN à la fin du 19ème siècle. La direction d'ERAMET a sans doute sous-estimée la dimension politique du nickel, au cœur de la revendication Kanak, et surtout elle n'a pas cru possible la construction d'une usine dans le Nord. Or, la perte du Koniambo ouvre les portes de la Nouvelle-Calédonie aux multinationales, à ses concurrents. Dans la foulée de l'accord de Bercy, Canadiens, Suisses, Brésiliens tous se déclarent prêts à construire et surtout à financer la construction de deux nouvelles usines sur le territoire. En avril 2013, après bien des difficultés, la grande usine du Nord adossée au massif du Koniambo entre en production. Une autre est construite dans le Sud. 2013 marque donc la fin définitive du monopole français sur le nickel calédonien, une fin amorcée en 1998.
Les multinationales débarquent
Symbole de cette évolution, l'usine du Nord n'aurait pu voir le jour sans son financement par Glencore et Xstrata. Ces deux géants financiers du commerce et de l'industrie ont des ramifications qui s'étendent au monde entier, partout où il y a des mines et des matières premières. Leur siège se trouve à Zug en Suisse, une petite ville opulente et discrète, symbole du négoce et de la spéculation. En août 2006 Xstrata rachète Falconbridge, le premier partenaire des indépendantistes calédoniens. La dote comprend l'usine du Nord et le massif du Koniambo. En contrepartie de 4 milliards d'euros, le prix à payer pour la construction de l'usine et le prix du ticket d'entrée pour l'accès aux mines de la Nouvelle-Calédonie.
Veuves écossaises
De Nouméa à Koné, la route est aussi longue que l'histoire du nickel calédonien. Elle relie aussi les deux provinces. Celle du Nord, majoritairement indépendantiste, a désormais son usine près de Koné, celle du Sud a la vieille dame de Doniambo, la SLN à Nouméa. S'y ajoute désormais l'usine du Grand Sud. Personne ou presque ne conteste aujourd'hui le financement par les multinationales Xstrata et Vale. Et pourtant. En 1998, la découverte que des fonds d'investissements anglo-saxons étaient présents dans le capital d'Eramet et donc de la Société le Nickel avait été fort mal vécue. Ainsi, Scottish Widows les " veuves écossaises " dont l'histoire remonte elle aussi à Waterloo. Un fonds d'investissement né en 1815, au lendemain de la bataille, quand il avait fallu payer les pensions des veuves des grenadiers écossais tombés face aux troupes de Napoléon. Scottish Widows existe toujours; le fonds d'investissement d'Edimbourg investit massivement sur le marché des actions avec une stratégie simple : acquérir des parts dans des entreprises jugées sous-cotées, afin d'obtenir des plus-values à long terme, en moyenne cinq ans et payer sur ces profits les retraites des "veuves écossaises" d'aujourd'hui. En 1998, le fonds de retraite écossais détenait 5 % du capital d'ERAMET qui comprend donc la SLN et une part importante du domaine minier calédonien. En tout, les fonds d'investissements ont détenu jusqu'à 24% du capital du d'ERAMET. A l'époque, le FLNKS avait réagi par un communiqué indigné au titre révélateur : " les veuves de Koumac (Calédonie) avant les veuves écossaises !".
Evolution du marché, des cours et...des analyses
15 ans plus tard, la Nouvelle-Calédonie accueille avec une certaine fierté la 5ème Conférence Internationale du Nickel. Industriels, financiers internationaux, analystes bancaires, représentants des fonds d'investissements sont réunis en bord de mer, dans un grand hôtel de Nouméa. Le gratin des multinationales du négoce est donc le bienvenu. Oubliée la polémique sur les veuves écossaises payées grâce au Nickel calédonien. Dans un touchant consensus, Jim Lennon, le "Grand Gourou du Nickel" l'analyste vedette de la banque australienne MacQuarie qui déclarait que l'usine du Nord ne verrait jamais le jour, évoque les évolutions possibles du marché et des cours. Dans ce monde globalisé où chacun a besoin de repères, les opinions peuvent évoluer comme les cours du nickel. Au gré des circonstances…