Essais nucléaires: neuf vétérans irradiés dans le Sahara et en Polynésie obtiennent le droit à être indemnisés

Un essai nucléaire tiré à Moruroa en 1971
Neuf vétérans irradiés lors des essais nucléaires français menés dans le Sahara algérien et en Polynésie dans les années 1960-90 ont obtenu le droit d'être indemnisés par l'Etat, devant la Cour d'appel administrative de Bordeaux ce mardi. 
Pour ces vétérans, les juges ont enjoint au ministère de la Défense de présenter "des propositions d'indemnisations des préjudices subis". Une décision saluée comme une "avancée" par l'Association des Vétérans des Essais nucléaires (AVEN) de Gironde, qui "réfléchit à poursuivre le combat en déposant des recours auprès du Conseil d'Etat, et s'il le faut jusqu'à la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH)" pour les huit autres demandes rejetées par la Cour administrative d'appel de Bordeaux, a déclaré à l'AFP sa présidente Marie-Josée Floch.
        

"Véritable avancée"

Lors des audiences organisées les 2 et 16 décembre à Bordeaux, le rapporteur public, magistrat chargé d'apprécier les règles de droit et dont l'avis est généralement suivi par les juges administratifs, s'était dit favorable à une indemnisation pour treize des 17 dossiers examinés au total.
        
Il invoquait notamment "plusieurs incohérences dans la méthodologie" statistique sur laquelle s'est appuyé le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) pour évaluer la "probabilité de causalité" entre l'exposition aux tirs nucléaires et les pathologies développées par les vétérans à la suite de ces essais.
        
Même si l'avis du rapporteur n'a pas été systématiquement suivi par la Cour, Mme Floch s'est réjouie des décisions rendues mardi, qui constituent pour elle "une véritable avancée pour nous, et cela veut dire que la justice est en marche". "Ces décisions ont en effet toutes les chances de faire jurisprudence, car plus de la moitié des demandes d'indemnisation rejetées initialement par le CIVEN ont eu gain de cause en appel", a estimé Mme Floch.
        

Pathologies graves

Au niveau national, une poignée seulement des quelque 850 dossiers déposés par des victimes a abouti à des indemnisations, en vertu de la loi du 5 janvier 2010 régissant les indemnisation des militaires et civils exposés aux essais qui ont depuis développé des cancers ou d'autres pathologies notamment du sang.
        
Mécaniciens, topographes, radiotélégraphistes ou ambulanciers figuraient parmi les vétérans irradiés dont les cas étaient examinés à Bordeaux. Certains avaient séjourné moins d'un an dans les régions d'essais, d'autres y étaient restés plusieurs années. Mais tous ont développé des pathologies graves, et même fatales pour nombre d'entre eux.
        
La cour administrative n'a en revanche pas suivi la requête de Christine Lécullée, veuve d'un vétéran, qui demandait que l'aplasie médullaire (maladie de la moelle osseuse) développée par son époux, décédé en 1976 à l'âge de 42 ans, soit reconnue comme une affection provoquée par la radioactivité.
        

Rayonnements radioactifs

Pour Mme Floch, ce cas est "le plus emblématique car il résume à lui seul, le dysfonctionnement de la loi Morin de 2010". Dès 1967, le ministère de la Défense avait en effet "reconnu et indemnisé la maladie professionnelle" de M. Lécullée, irradié alors qu'il était affecté entre 1963 et 1965 au centre d'expérimentations militaires à Reggane, en Algérie, selon sa veuve. Il avait ainsi été pensionné à 80% dès l'âge de 34 ans, et à 380% six mois avant son décès.
        
Mais la loi Morin exclut l'aplasie médullaire de la liste des maladies reconnues comme étant provoquées par une exposition aux rayonnements radioactifs. Mme Lécullée, "effondrée" à l'annonce de la décision mardi, "ne cesse de répéter qu'elle se bat depuis 15 ans pour que son mari soit enfin reconnu comme mort pour la France", a expliqué Mme Floch.