Dans les récifs coralliens, les poissons parlent aux poissons

Les sons émis par les poissons
Depuis 16 ans,  David Lecchini du CRIOBE en Polynésie et Eric Parmentier de l’Université de Liège se passionnent pour la communication entre poissons des récifs coralliens. De passage à Paris, les scientifiques ont fait part de leurs dernières découvertes à l’aquarium de la Porte dorée. 
Les récifs coralliens représentent moins de 1 % de la surface des océans et pourtant, ils abritent près d’un tiers de la biodiversité marine connue. Depuis plus de 40 ans le CRIOBE, (le Centre de Recherches insulaires et Observatoire de l’environnement) situé à Moorea en Polynésie française collecte des données sur la biologie et l’écologie des poissons et, la structure et le fonctionnement des récifs du Pacifique sud. Grâce à cette somme de connaissance, David Lecchini et Eric Parmentier comprennent de mieux en mieux la communication entre les poissons et le rôle écologique de cette communication.
 
Les chercheurs David Lecchini et Eric Parmentier à l'aquarium de la Porte dorée à Paris


Les récifs ne sont pas silencieux

Et les récifs n’ont rien à voir avec "Le monde du silence", décrit dans le fameux film de Louis Malle et Jean-Yves Cousteau en 1956. Au contraire, les poissons communiquent en utilisant des sons ! "Par exemple, quand un mâle et une femelle se rencontrent, expliquent David Lecchini et Eric Parmentier à La1ère.fr. Mais aussi quand un mâle vient sur le terrain d’un autre mâle ou enfin lorsqu'un prédateur se profile à l’horizon, les poissons inquiets émettent des bruits courts ou continus".
 
Poisson clown


Pas de cordes vocales chez les poissons

Et pourtant, les poissons n’ont pas de cordes vocales. "Ils ont une multitude de mécanismes permettant d’émettre des bruits. D’une manière générale certains font des sons de stridulation en frottant deux structures l’une contre l’autre, les dents par exemple. D’autres utilisent leur vessie natatoire pour émettre des sons sourds, à la manière d’un tambour. De leur côté, les demoiselles font du bruit avec leurs dents pour attirer les femelles ou défendre leur territoire vis-à-vis de poissons de la même espèce ou d’autres".


Les récifs aussi font du bruit 

Le milieu récifal n’abrite pas uniquement les appels de poissons, mais tout un ensemble de sons. Et cette "musique" pourrait être utilisée par les larves pour trouver leur habitat. C'est sur ce domaine de recherche nouveau que travaillent les scientifiques. Est-ce que le bruit émis par les récifs coralliens permet aux larves de poissons de s'orienter vers un habitat favorable à leur croissance ? Les premiers résultats indiquent que c’est le cas !

"C’est l’originalité de notre recherche", souligne David Lecchini du CRIOBE. Les récifs coralliens sont reconnaissables à un mélange de bruit de vagues qui se cassent sur les récifs, de poissons qui mangent sur les coraux et de communication entre différents animaux, principalement les poissons et les crustacés. "Grâce à ces signaux acoustiques, les larves de poissons qui passent entre 10 et 120 jours dans l’océan, une sorte de désert monotone, parviendraient à retrouver leur oasis, le récif corallien". 

Vue de la barrière de corail en Nouvelle-Calédonie.

Le bruit des bateaux nuisible pour les poissons

Depuis 5 ans maintenant, les chercheurs travaillent aussi sur les bruits des bateaux. "Nous avons remarqué que les larves fuient le bruit des embarcations et si ces bateaux se trouvent dans la direction d’un récif corallien, elles partent du mauvais côté et risquent de périr". Un autre effet négatif, pas encore démontré, est à l'étude. "Les poissons femelles choisissent le mâle qui chante le mieux, explique David Lecchini. S’il y a un bruit de bateau, elles pourront choisir le plus faible. Or le mâle qui chante moins bien est en général le plus faible et leur descendance sera également plus faible."
 
Bateau transportant du nickel

Projet de sciences participatives

Les chercheurs du CRIOBE ont donc pris l’habitude de couper le moteur des bateaux en mer dès qu’ils le peuvent et espèrent qu’il y aura une prise de conscience dans le domaine de la plaisance, de la pêche ou des croisiéristes. En attendant, David Lecchini et Eric Parmentier aimeraient mettre au point un projet européen pour évaluer la santé des récifs coralliens grâce à une surveillance en acoustique.

"Aujourd’hui grâce à l’empreinte acoustique, on est capable de dire si un récif fait partie d’une réserve ou pas, soulignent les deux chercheurs. Il faut encore affiner notre logiciel. Si l’on y arrive, on pourrait créer un réseau de sciences participatives, confier des micros étanches à des gens qui partent faire des tours du monde et établir grâce à leurs enregistrements une carte des récifs coralliens européens selon leur santé". Reste à trouver deux ou trois millions d’euros, ce qui en ce moment dans la recherche n’est pas une mince affaire !