"Au-delà de la fougue qui peut être la mienne, qui est aussi parfois le fruit de cette colère – et je m'en excuse si certains de mes collègues ont pu être touchés ou vexés – en tout cas, je vous dis à tous merci pour ce travail accompli." Jeudi 23 janvier, micro à la main, la députée Béatrice Bellay (Martinique, Socialistes et apparentés) est fière. Après un peu plus de trois heures de débats (parfois animés), elle vient de faire adopter la proposition de loi visant à prendre des mesures d'urgence contre la vie chère en Outre-mer, dont elle est la rapporteure.
Une première victoire pour celle qui a fait son entrée à l'Assemblée nationale au mois de juillet. Et une première victoire pour les Martiniquais mobilisés depuis le mois de septembre contre la vie chère. Ainsi que plus généralement pour les Ultramarins, tous touchés par ce fléau économique. "Ce n'est pas un pas de géant", reconnaît toutefois Béatrice Bellay à sa sortie de l'Hémicycle. "Mais c'est un caillou mis dans la mare d'un système qui nous écrase, qui étouffe les populations des pays des océans et qui doit aujourd'hui être freiné."
Le texte, adopté à l'unanimité (le député guadeloupéen Elie Califer est le seul à avoir voté "contre", mais il s'agit d'une erreur, s'est-il excusé juste après le scrutin), prévoit de renforcer le bouclier qualité-prix (BQP) dans les territoires d'Outre-mer pour que les prix des produits de grande consommation convergent vers ceux de l'Hexagone. Il durcit par ailleurs les sanctions contre les grands groupes qui ne jouent pas le jeu de la transparence et intensifie les contrôles des autorités pour limiter les situations de monopoles et d'oligopoles.
"Ça va décourager les investisseurs"
"L'objectif est bien de briser ces monopoles", se félicite le Réunionnais Jean-Hugues Ratenon (La France insoumise), alors que les parlementaires ont beaucoup évoqué la figure de Bernard Hayot, un riche homme d'affaires qui a la mainmise sur de larges pans de l'économie ultramarine, lors des débats. Le ministre des Outre-mer Manuel Valls a d'ailleurs lui-même reconnu : "Il y a des grands groupes très performants, voire un grand groupe très performant, qui jouent souvent un rôle d'étouffement de l'économie et du pouvoir d'achat".
Pourtant, malgré son soutien à l'initiative parlementaire, le gouvernement s'est fait éconduire par les députés du Nouveau Front populaire et du Rassemblement national, qui ont torpillé plusieurs de ses amendements ainsi que ceux émanant des groupes centristes. Se voulant défenseurs de la liberté d'entreprise, les macronistes et la droite républicaine ont estimé que les restrictions prévues par la loi socialiste allaient trop loin.
"On contrôle les prix, on contrôle les marges, on contrôle les parts de marché... Ça va décourager les investisseurs", estime le député Ensemble pour la République Nicolas Metzdorf (Nouvelle-Calédonie) depuis la Salle des Quatre-Colonnes. "On va avoir les effets inverses de ce que l'on recherche : on va avoir peu de concurrence, on va avoir une inflation, on va créer la pénurie", liste celui qui revendique sa vision libérale de l'économie. "Cette liberté [d'entreprise, revendiquée par certains députés], elle a été très entravée par une vision néocoloniale, relève Béatrice Bellay. L'État a le devoir de compenser les handicaps [socio-économiques] pour protéger la population."
S'il y a tant d'inquiétudes, s'il y a tant de révoltes, s'il y a tant de colères depuis des années, c'est qu'il faut changer les choses.
Max Mathiasin, député LIOT de la Guadeloupe
L'incertain passage au Sénat
Mais, avant de changer les choses, la proposition de loi socialiste devra passer par la chambre haute du Parlement, le Sénat. Or, la majorité de droite pourrait y changer la substance du texte. "Il se peut que ce texte soit complètement décousu, détricoté" par les sénateurs, reconnaît Max Mathiasin (Guadeloupe, Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires).
Si le texte est finalement adopté par le Parlement (Assemblée nationale et Sénat), "il y aura des changements sur nos territoires", anticipe Jean-Hugues Ratenon. "Il [faut] aller vers une autre économie, un autre modèle, qui permette à nos populations sur nos territoires de vivre décemment et de ne pas être en mode survie tous les jours", réclame le président de la Délégation aux Outre-mer de l'Assemblée nationale, Davy Rimane (Guyane, Gauche démocrate et républicaine).
Près d'un mois après sa nomination au gouvernement, le ministre des Outre-mer Manuel Valls a tendu la main aux parlementaires ultramarins engagés sur la question de la vie chère. "Les économies d'Outre-mer doivent changer", a-t-il dit, reconnaissant des "relents colonialistes" dans le système actuel. "Nous allons le prendre au mot et attendre ces actes", soupire la socialiste Béatrice Bellay, sceptique sur les intentions du gouvernement. "Beaucoup, parfois, viennent avec des propos grandiloquents. Ça a été le cas du ministre, convient-elle. Mais dans les faits, ils ne veulent pas modifier le système."