Boudé en anglais, un roman sur la traite négrière primé en français

Un roman pour la jeunesse à propos de la traite négrière a été primé jeudi en France, alors que son auteur Timothée de Fombelle affirme que son éditeur habituel en anglais refuse de le traduire par crainte de réactions négatives.
Le roman pour enfant Alma, le vent se lève (Gallimard) a reçu jeudi le prix littéraire de la chaîne de télévisions pour enfants Gulli.
La présidente du jury Michèle Reiser, ancienne animatrice d'une émission littéraire pour enfants sur FR3 dans les années 1970-80, a salué un "livre lumineux" qui "nous embarque dans une épopée au coeur de l'Afrique et de l'Atlantique, avec pour toile de fond la traite négrière".
   

Raconter l’esclavage

L’histoire, c’est celle d’Alma, une jeune fille de 13 ans “qui ressemble à pas mal de fille d'aujourd'hui sauf qu’elle vit au creux de l’Afrique du 18ème siècle”, raconte l’auteur, Timothée de Fombelle. “Et elle va être plongée dans le tourbillon de l'Atlantique de cette fin du 18ème siècle.” 

C’est à l’âge de son héroïne que l’auteur, notamment connu pour ses romans fantastiques Tobie Lolness, s’est fait la promesse d’écrire un roman qui raconte l’esclavage et la traite négrière.
 

J’ai habité en Afrique avec ma famille. Nous sommes allés en vacances voir les forteresses qui étaient sur la côte du Ghana. Et j’ai découvert physiquement cette réalité de l’esclavage. Je me suis promis de raconter cela un jour. Il a fallu attendre mes 47 ans pour qu’Alma paraisse.


Un sujet peu traité par la littérature jeunesse

Pour Timothée de Fombelle, il était d’autant plus important d’honorer sa promesse que la littérature jeunesse s’emparait peu du sujet. “Je guettais depuis l’adolescence le livre tourné vers la jeunesse qui témoignerait de cette époque, explique-t-il. Je ne voyais pas l’imaginaire et la saga s’emparer de ce sujet. Or pour moi le plus important c’est toucher l’imaginaire des jeunes lecteurs, qu’ils se rendent compte dans l’émotion de ce qu’a été ce déracinement de 12 ou 15 millions de personnes, arrachées à leur continent."
 

Beaucoup de lecteurs ont l’impression de découvrir, alors que c’est central dans notre histoire, ce qu'a été concrètement ce crime contre l'humanité.


Et pour donner un aperçu précis de cette époque à ses jeunes lecteurs, l’auteur s’est plongé dans un travail de documentation gigantesque pendant près de sept ans. Plans de bateaux, documents historiques, archives… “pour être le plus proche de la réalité possible”. 
 

Accusation d’appropriation culturelle

En juin dernier, Timothée de Fombelle révélait que son éditeur britannique, qui le diffuse également aux Etats-Unis, Walker Books, ne souhaitait pas de parution en anglais.

"Sujet passionnant, mais trop délicat, m'a-t-on dit: quand on est blanc, donc du côté de ceux qui ont exploité les Noirs, on ne peut pas décemment s'approprier l'histoire de l'esclavage. Ils ont aimé le livre, mais, en effet, et pour la première fois, ils ne le publieront sans doute pas", avait-il affirmé à l'hebdomadaire Le Point.

"Qu'un homme blanc puisse endosser le rôle d'une petite fille noire, qu'un écrivain puisse raconter l'histoire de la traite négrière du point de vue des esclaves même si cette histoire n'est évidemment pas la sienne, c'est pour moi la définition même de la littérature", avait-il plaidé. Walker Books n'a jamais communiqué sur le sujet.

C’est une crainte que je comprends, car je m’y suis confronté dans l’écriture. Les documents que j’ai consultés ont été tenus par des hommes blancs : les livres de comptes des armateurs, les livres de bord des capitaines de bateaux..., explique-t-il à Outre-mer la 1ère. Même si je suis un auteur français du 21ème siècle, j’espère que je vais au plus près de mes personnages.
 

Finalement publié par un autre éditeur

Alma, le vent se lève sera finalement publié en anglais, aux Etats-Unis et en Angleterre, un autre éditeur, Europa, s’étant récemment engagé dans l’aventure.

Le roman, sorti en juin 2020, est le premier tome d’une trilogie. La suite, qui se déroule aux Antilles et notamment à Saint-Domingue, devrait paraître à la rentrée 2021.