"J'ai eu l'annonce du cancer, trois mois après j'étais déjà en demi-solde donc en situation financière difficile, de précarité", se souvient Gerty Curier. Cette Guadeloupéenne a découvert qu'elle avait un cancer du sein en 2017. Elle vivait alors dans l'Hexagone et a entamé un parcours de soin.
Se retrouvant seule à gérer ses deux enfants, en arrêt maladie avec un demi-salaire, il fallait par ailleurs qu'elle paye les frais annexes liés au cancer qui n'étaient jusque-là pas remboursés : son suivi par un psychologue, des soutiens-gorge adaptés pour porter sa prothèse mammaire ou encore un vernis pour empêcher la chute des ongles induite par la chimiothérapie. "Je vous ne le cache, à des moments, on a eu du mal à remplir le frigo, reconnaît-elle.
Elle a dû travailler sans toucher de salaire
Sandrine Sophie, une entrepreneure martiniquaise qui vit en région parisienne, s'est battue elle aussi contre les difficultés financières. Grâce à l'autopalpation, elle a dépisté très tôt son cancer dont la forme est celle qui cause le plus décès parmi les différents types de cancer de sein.
"J'ai eu beaucoup de complications avec ce cancer : j'ai eu plusieurs opérations, j'ai fait une nécrose donc on a dû retirer la prothèse, j'ai subi une double ablation du sein, des ovaires, liste-t-elle. Mon parcours n'est toujours pas terminé puisque je suis en traitement anti cancéreux mais je ne lance pas de pierre parce que je me sens chanceuse d'être en France parce qu'on a cette possibilité d'être soigné et d'être pris en charge à 100%."
Néanmoins elle s'est retrouvée "quasiment en précarité" : ne pouvant pas se verser de salaire à cause de l'état de sa trésorerie à l'époque elle a "dû continuer à travailler pour soutenir la croissance de [s]on entreprise tout en ayant un cancer très lourd, tout en ne touchant quasiment pas d'indemnités". Concrètement, un peu plus de 900 € par mois, soit des revenus diminués "de bien plus que la moitié", alors qu'elle devait s'occuper de ses deux enfants. Elle avait en parallèle des dépenses liées au cancer comme une prothèse capillaire de qualité à 1.300 € qui n'est remboursée que sur une base de 270 € : "Je ne souhaitais pas que la banque ou mes partenaires sachent que j'étais malade."
Une moyenne de 1.400 € à charge
Rien qu'avec cette prothèse, elle s'approche du reste à charge total des soins liés à la maladie qui s'élèverait à 1.400 € en moyenne, selon le député communiste Yannick Monnet.
Ce dernier est le rapporteur de la loi qui vient d'être adoptée par l'Assemblée nationale le 28 janvier dernier, et qui vise à améliorer la prise en charge des soins liés au cancer du sein. Grâce à ce texte, le renouvellement des prothèses mammaires, le tatouage médical de l'aréole et du mamelon ou les soutiens-gorges adaptés seront intégralement pris en charge par l'assurance maladie.
Un forfait spécifique doit aussi permettre l'achats de produits prescrits par les médecins mais qui ne sont pas aujourd'hui remboursés, comme les crèmes contre les sécheresses ou du vernis pour prévenir la chute des ongles induite par les traitements. Une autre enveloppe permettant de financer des soins psychologiques, des séances de nutrition ou des séances d'activités physiques a été acté pour les malades en cours de traitement.
La loi va également permettre d'encadrer les dépassements d'honoraires des médecins qui pratiquent la reconstruction mammaire après une mastectomie.
"Sentiment de révolte et d'injustice"
Pour Sandrine Sophie, "la loi tombe bien" : "Je suis contente pour celles et ceux qui pourront en profiter par la suite." Idem pour Gerty Curier, "ravie" de cette "belle avancée", tout comme Claudine Fagour, la présidente de l'association Amazones Paris qui vient en aide aux femmes touchées par un cancer, notamment celles issues des Outre-mer.
"Cela va permettre à un maximum de femmes d'aborder de façon plus sereine l'étape de la reconstruction", se réjouit-elle. Car si la chirurgie mammaire est prise en charge à l'hôpital, elle peut aller "de 800 à 6.000 € quand il s'agit d'un acte de chirurgie spécifique" dans les cliniques, souligne la présidente d'Amazones Paris.
Or de voir que la reconstruction médicale liée à un cancer est traitée comme s'il s'agissait d'un acte de chirurgie esthétique de confort et facturée au même prix, "cela générait un sentiment de révolte et d'injustice" chez certaines patientes, ajoute-t-elle.
Des produits impactés par les taxes Outre-mer
Cette inégalité de traitement pouvait être d'autant plus ressentie dans les Outre-mer que le "phénomène de vie chère impacte tous les produits" dont ceux liés au traitement du cancer du sein, signale Claudine Fagour. "Il y a une marque qui fait des produits spécifiques pour la peau, dit-elle sans donner le nom. J'ai constaté que non seulement on avait déjà du mal à la trouver, mais que dans les endroits où on pouvait la trouver c'était plus cher d'à peu près 20%."
Une difficulté en plus aussi remarquée par Gerty Curier. "Les prothèses, ça coûte cher, les soutiens-gorge, ça coûte cher, tout coûte cher en Guadeloupe", énumère-t-elle. Se nourrir aussi, parce que quand on a un cancer, il est important de bien s'alimenter. Ce n'est pas toujours évident parce que la vie est extrêmement chère ici, certaines femmes se refusent et se contente de ce qu'elles ont."
Celle-ci reconnaît qu'elle a eu la chance d'avoir son fils en alternance à l'époque : "Cela nous permettait financièrement d'arriver à joindre les deux bouts."
Sandrine aussi a pu compter sur la solidarité de son entourage. "J'ai vendu mon logement pour avoir de l'argent, avoue-t-elle. On est parti en location ce qui nous a permis de tenir jusqu'à maintenant. Et cela va mieux au niveau de la trésorerie, on a embauché, je suis à la fin de mon parcours mais ça a été deux années très très compliquées à jongler financièrement."
Etendre la loi à tous les cancers
Elle préconise d'ailleurs d'améliorer la situation des chefs d'entreprise qui est dans un angle mort : "Il y a beaucoup de prévoyance auprès des salariés, beaucoup moins auprès des chefs d'entreprises" qui, isolés, peuvent "se retrouver dans une précarité à cause d'une mauvaise prise en charge".
Pour Gerty Curier, le prochain combat concerne les femmes de plus de 50 ans touchées par un cancer, car "c'est très difficile de retrouver un emploi derrière".
Enfin, pour la présidente d'Amazones Paris, la prochaine étape est d'étendre cette prise en charge aux atteintes de cancer en général, qu'il s'agisse de celui des ovaires ou du col de l'utérus. Car elles aussi doivent acheter des produits de soins spécifiques : "Tous ces achats-là sont liés à la maladie, on n'est pas sur du confort !"