La décision de justice était très attendue. Mais pas sûr qu'elle contente les plaignants dans l'affaire de l'empoisonnement au chlordécone en Guadeloupe et en Martinique. Mardi 11 mars, la cour administrative d'appel de Paris a ordonné à l'État d'indemniser les victimes de ce pesticide utilisé dans les bananeraies à la fin du siècle dernier, malgré sa dangerosité avérée. Cependant, seules les personnes pouvant justifier d'un "préjudice moral d’anxiété" peuvent prétendre à cette réparation.
"La Cour juge que l’État a commis des fautes en renouvelant à partir de 1974, puis à plusieurs reprises, l’autorisation provisoire de vente accordée à ces insecticides (...) puis en homologuant, en dépit de l’évolution des connaissances sur leur toxicité, de tels pesticides, et en autorisant, à titre dérogatoire, leur usage entre 1990 et 1993 [aux Antilles]", indique la juridiction dans un communiqué de presse. L'arrêt doit être publié mercredi.
Une décision timide
La justice avait déjà reconnu les "négligences fautives" de l'État dans ce dossier en première instance, en 2022. En revanche, à l'époque, le tribunal administratif avait rejeté les demandes d'indemnisation des plaignants, faute de preuves étayant le préjudice subi. Les associations de victimes du chlordécone avaient donc fait appel.
Cette fois-ci, la justice reconnaît le préjudice moral d'anxiété des victimes. Une grande première. Mais une avancée timide, juge toutefois Maitre Christophe Lèguevaques, avocat de trois associations de victimes.
Car, si le préjudice est reconnu, seule une dizaine de plaignants (sur les près de 1.300) peuvent le justifier pleinement, estime la cour administrative d'appel. Ces quelques personnes ont pu fournir "des dosages sanguins, le cas échéant corroborés par des analyses de sols, pour établir une exposition effective à la pollution des sols, des eaux ou de la chaîne alimentaire et le caractère élevé des risques en découlant", dit la cour dans son communiqué. Seule cette dizaine de plaignants pourra ainsi être indemnisée.
"De ce point de vue, cette décision est décevante, juge Maître Lèguevaques. En discriminant les hommes et les femmes, les adultes et les enfants, la Cour ne tient pas compte des effets avérés du chlordécone sur la santé publique." L'avocat désire porter l'affaire jusque devant la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) pour permettre à l'ensemble des victimes d'obtenir réparation. "Pour nous, le combat continue", dit-il.