T-shirt noir, casquette jaune fluo, peau clair et physique longiligne… C’est une équipe qui ne passe pas inaperçue au milieu du parc à va’a où chacun est affairé à préparer sa pirogue pour la course. Cette équipe, c’est la Va’a Japan. Les rameurs sont arrivés il y a trois jours en Polynésie après six mois de préparation chez eux au Japon. C’est la première fois qu’ils participent à l’Hawaiki Nui Va’a. C’est aussi la première fois qu’une équipe japonaise va ramer pour cette course mythique. « C’est un challenge. On est entre excitation et appréhension, on sait que la distance va être longue, on va essayer de tenir. On veut profiter de cette culture du va’a », confie Shun Kobayashi entouré de son équipe et d’un conseiller expérimenté. Jonathan les accompagne pour cette aventure.
Le Polynésien est un fin connaisseur de l’Hawaiki Nui pour y avoir participé de 1995 à 2000. « Je leur donne quelques astuces, quelques conseils. Le premier, c’est de surtout bien manger pour avoir beaucoup de force. Les Japonais pour moi, c’est comme la famille. J’avais déjà accueilli le premier Japonais à participer au Te Aito en 2013. Ils viennent ici pour voir si c’est bien le berceau du va’a », raconte le quinquagénaire qui fixe le balancier de l’embarcation. La mise à l’eau est imminente, les rameurs vont faire leur premier entraînement. L’idée est de se familiariser au va’a et de vérifier si chacun est à la bonne place. À peine les pieds dans l’eau, les Japonais ont le sourire aux lèvres. Ils sont heureux d’être ici, ils sont heureux de ramer aux côtés des meilleurs de la Polynésie. « Ils sont synchronisés et fluides… Faut voir maintenant l’endurance… », observe Jonathan qui depuis le bord de la plage les regarde s’éloigner dans le lagon.
À quelques mètres de là, une autre équipe s’affaire. Il faut mettre les stickers des partenaires sur le va’a. La bande de copains sont des chevronnés de l’Hawaiki Nui. Leur objectif : le podium dans la catégorie vétérans plus de 40 ans. Leur cible : l’équipe de Hinanaurea. « On n’est jamais loin d’eux, cette fois on veut les battre ! » lance Charles adossé sur le balancier pendant que son collègue continue de coller les stickers. Un en particulier tient à coeur à cette équipe de Moorea, Team Manauvea Va’a. À l’avant du va’a, un prénom Maitha, celui du rameur décédé en juillet 2023 lors de la Faati-Moorea. «On a voulu baptiser notre pirogue au nom du copain, c’est la première fois qu’elle va faire cette course et on veut lui dédier. », raconte le quadragénaire qui estime que les rameurs sont prêts pour demain.
Ils se sont entraînés tous les weekends à Moorea et parfois en semaine même si ce n’était pas évident de rassembler tout le monde. Chacun a un travail et une famille, pas facile donc de trouver un moment ensemble pour ramer. « On a fait avec les moyens du bord mais on se sent bien. On a testé la pirogue hier, elle réagit bien, nous aussi ! » sourit le rameur qui tient la 5e place du va’a car il est le plus léger de la bande. L’équipe a dû aussi rassembler l’argent pour participer à la course. Ventes de plats, événements… Ils n’ont pas chômé pour rassembler les 2 millions de Fcfp nécessaire pour faire l’Hawaiki Nui. « Même si la fédération prend en charge des choses, il faut payer les billets, le Tama’a, le logement etc. On a réussi ! ».
Eux aussi ont réussi. Non pas à préparer leur va’a ou réunir l’argent pour la course, mais à vendre leurs produits tout droit sortis de leur faa’apu. Gingembre, curcuma, taro, fei, bananes, mangues… Placés au milieu de la rue du quai de Fare, Tepeta et son tane ont un étal presque vide à la veille du départ de la première étape. L’Hawaiki Nui est toujours un moment que ce couple attend avec impatience, et ce depuis 2003. « On ne vient pas pour être riche mais pour vendre nos produits de notre jardin. On a un grand champ à la maison et on se prépare un an avant : on plante dans notre jardin pour que ce soit prêt pour l’Hawaiki Nui. C’est mon mari qui plante, moi je récolte », sourit la sexagénaire heureuse d’avoir presque tout vendu aux clients de passage, pour qui elle tient à proposer du ma’a local.
Ils sont que tous les deux à travailler, les enfants sont loins désormais. Le travail n’est pas facile mais le couple est courageux. Depuis trois jours, Tepeta et son mari de 72 ans se lèvent à 4h du matin pour tout préparer et installer leur stand à Fare, ils y restent jusqu’à la fin de journée. « Mais on est bien là, on est heureux de voir ce monde », s’amuse Tepeta qui sourit malgré la chaleur. À quelques mètres de là, attiré par le rythme des ukulélé, des marcheurs s’arrêtent quelques instants entraînés par le son de ce groupe de musiciens installés à l’ombre du soleil. Ils sont de Huahine et chantent les histoires et légendes de l’île. « On veut chanter ces chansons car on veut transmettre aux jeunes qui ne les connaissent plus. Nous, on veut continuer de raconter notre île. Ce sont des chansons avec lesquelles on a grandi. Ça fait 50 ans qu’on les joue », confie Rose qui tient dans ses bras le bébé d’une amie.
Chanteuse et musicienne, elle vend aussi quelques fruits de son jardin comme le jeune homme adossé au petit Fare à l’ombre du quai qui observe les musiciens. Il a tout vendu hier, il lui reste quelques bananes. Il a donc un peu de temps pour profiter. Il se laisse d’ailleurs embarquer dans une partie d’échec avec un ancien travailleur de chantier naval. « C’est le meilleur, il bat tout le monde ici », s’amuse le jeune maraîcher. Quelques curieux s’arrêtent pour les observer en profitant de la musique. Les plus jeunes eux s’amusent dans le lagon aux eaux turquoises. C’est les vacances. La joie se lit sur les visages, tous les visages. Pas de doute, le bonheur est bien présent à Huahine
Il était au coeur de la cérémonie d’ouverture de cette 31e édition de l’Hawaiki Nui Va’a parmi les dizaines de rameurs marqués par les heures d’entraînement dans l’eau mais impatients d’en découdre. « L’Hawaiki Nui n’est plus seulement qu’une course après 31 éditions, elle est une légende. Demain vous allez vous affronter sur l’eau…Et pour ceux qui n’ont jamais vu cette course, attendez-vous au choc ! » prévient le président du Pays, Moetai Brotherson, devant les rameurs assis les uns à côté des autres sur des feuilles de cocotiers comme le veut la tradition. Après une heure de cérémonie, une minute de silence en hommage aux rameurs décédés, des discours des officiels dont le Haut-commissaire, l’Hawaiki Nui Va’a 2024 est lancée.