Les paysages verdoyants et montagneux sillonnés cette semaine par le convoi transportant les cendres de Fidel Castro dévoilent un Cuba comme figé dans le temps : labour à boeufs, chevaux en guise de véhicules et magasins chichement garnis.
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Après la mort de Fidel Castro, il n'est nullement question d'abandonner le socialisme, mais les jeunes des campagnes comme Angel Mora, électronicien de 27 ans, voudraient
bien en finir avec leur quotidien difficile. Alors que l'Union soviétique montrait les premiers signes d'une fin inéluctable en 1989, Fidel Castro promettait, lors d'un discours dans la province de Camagüey (sud-est), nombril de la production sucrière et bovine du pays, que Cuba et la révolution "continueraient à lutter et à résister".
Fin des années 80, crise économique à Cuba
Cette année-là, en 1989 notre électronicien Angel Mora venait au monde. A l'époque, la révolution généralisait l'accès à la santé et à l'éducation, dans un Cuba débarrassé de sa criminalité... et de ses opposants. Deux ans plus tard, le bloc soviétique s'effondrait, et disparaissaient avec lui les généreux subsides de Moscou.Cette situation, combinée aux effets de l'embargo américain, a plongé le pays dans la crise et les pénuries. Le socialisme a survécu, mais deux millions de Cubains ont pris le chemin de l'exode, alors que les infrastructures et le tissu industriel se détérioraient inexorablement.
Système de double monnaie
Pour attirer les devises, Fidel Castro a ouvert le pays au tourisme et introduit un système de double monnaie qui provoque des distorsions et met en péril l'idéal égalitaire socialiste. Désormais, une minorité dépense ses pesos convertibles ("CUC"), qui équivalent aux dollars, tandis que la majorité jongle au quotidien avec des
pesos cette fois ci non convertibles ("CUP") au pouvoir d'achat beaucoup plus réduit. "Celui qui gagne un salaire en pesos, il souffre", résume Angel.
"Tous parlent du legs de Fidel, mais pour défendre ce legs, il faut améliorer l'économie", plaide encore Angel, installé torse nu sur le pas de sa modeste maison des environs de Camagüey, capitale de la province éponyme. Depuis qu'il a remplacé son frère aîné en 2006, Raul Castro a entamé une lente et prudente ouverture de l'économie à l'initiative et à l'investissement privés dans un pays dont l'économie est encore contrôlée à 80% par l'Etat.
"Les autorités craignent qu'une profonde réforme du marché érode le contrôle de l'Etat sur l'économie et génère une classe sociale qui, en s'enrichissant, puisse être en capacité de rétablir le capitalisme", explique à l'AFP Mauricio Miranda, économiste cubain de l'Université Javeriana de Colombie.
Chute des cours du nickel
Raul Castro, qui a promis de céder les rênes à une nouvelle génération de dirigeants en 2018, a opéré un spectaculaire rapprochement avec l'ennemi américain, mais est
confronté ces derniers mois à une conjoncture délicate. En plus de la chute des cours du nickel, sa principale ressource naturelle, l'île affiche "un déficit de la production sucrière et une croissance de la production agricole et industrielle trop faible", explique M. Miranda.
l'agriculture, secteur déclaré "stratégique" par le président Raul Castro en 2008, reste le gros point noir de l'économie de l'île. En outre, son principal appui, le Venezuela, se trouve déstabilisé par une crise économico-politique et a dû réduire de 40% ses livraisons de pétrole à son allié. Bilan pour Cuba : des prévisions de croissances inférieures à 1% pour 2016, contre 4,4% en 2015.
Sens de la débrouille
Angel Mora ne se soucie pas vraiment du futur du socialisme cubain. Il se contenterait d'un bon salaire et souhaite pouvoir trouver du lait frais - un comble dans une province d'élevage - et se rendre à son travail sans difficulté. Il y a peu, lassé des sempiternels problèmes de transport, Angel a abandonné son emploi dans une entreprise d'Etat. Depuis, il "resuelve" ("résoud"), comme disent les Cubains pour qualifier leur proverbial sens de la débrouille, et parvient à peine à vivoter avec sa femme et ses filles de 3 et 8 ans.
Angel salue les récentes mesures prises par l'Etat pour geler les prix de certains biens de première nécessité, mais il juge que "la nourriture reste chère" pour une population qui gagne en moyenne l'équivalent de 30 dollars mensuels. Dans un récent article, Juan Triana, du Centre d'études de l'économie cubaine, explique que la récente hausse des prix des produits alimentaires (importés à 80% sur l'île, ndlr) résultent indirectement des réformes de Raul Castro.
La croissance du tourisme, conjuguée à l'essor d'une nouvelle classe encore minoritaire aux revenus confortables et à l'ouverture de nombreux restaurants privés, favorise l'inflation et pèse sur des magasins aux rayons de plus en plus souvent désemplis.