Dans Allons enfants de la Guyane – Éduquer, évangéliser, coloniser les Amérindiens dans la République (éd. Anacharsis), Hélène Ferrarini enquête de façon approfondie sur les homes indiens, ces pensionnats tenus par des congrégations catholiques pendant la seconde moitié du XXe siècle, dans lesquels des enfants autochtones étaient élevés en moyenne de leurs 4 à leurs 16 ans.
Au-delà de la séparation des jeunes amérindiens d'avec leur famille et leur acculturation forcée à la langue et aux coutumes françaises, l'autrice consacre un chapitre particulier aux jeunes filles. Elle y parle du désarroi d'une pensionnaire face à ces premières menstruations qui ne peut pas appliquer dans le pensionnat les conseils prodigués par sa mère. Elle raconte aussi comment ces internes vivaient en vase clos : alors que les garçons sortaient du home pour aller à l'école communale, elles étudiaient dans l'établissement géré par les religieuses. Elles ne sortaient que pour aller à la messe.
Outre-mer la 1ère : Quelle est la différence de traitement entre garçons et filles qui vous a le plus marquée dans votre enquête ?
Hélène Ferrarini : Ce qui me semble le plus marquant concernant la différence de traitement, c'est que pour les garçons, le passage au home est strictement corrélé à la scolarisation. Par contre, c'est décorrélé pour les filles. Elles reçoivent un enseignement primaire les premières années, certaines ont pu poursuivre leurs études, mais d'autres sont restées au home sans être scolarisées, et travaillaient pour la vie du home.
Certaines ont pu être déclarées et rémunérées, mais d'autres sont restées travailler sans être rémunérées. D'autres encore ont été placées comme domestiques chez des Européens qui venaient voir les sœurs. C'était un peu connu et notamment au moment où il y a eu beaucoup d'arrivées d'Européens blancs venus travailler au centre spatial de Kourou. Donc c'était identifié comme des endroits où on pouvait leur conseiller des jeunes filles qui pourraient travailler chez eux comme domestiques.
Pour les filles, l'objectif du home n'est clairement pas la scolarisation et l'émancipation par l'accès à des études. C'est en faire des bonnes ménagères selon les standards européens qui sont complètement inadaptés à la vie des villages autochtones.
On retrouve cette différence dans le fait de fixer l'âge limite de présence dans les homes à 16 ans, mais comme vous l'écrivez, la raison invoquée n'est pas la même pour les garçons et pour les filles.
Dans la première mouture du règlement intérieur des homes en 1964, il était question d'enfant de 5 à 14 ans de mémoire, et les religieux ont obtenu de 4 à 16 ans en justifiant du fait que plus tôt, on les a, mieux c'est, notamment pour l'apprentissage du français.
Le fait d'avoir à étudier le français, qui n'est pas leur langue, serait une raison suffisante.
Lettre de Mgr Marie au sujet des garçonsExtrait du livre "Allons enfant de la Guyane"
Pour les jeunes filles, ce sont vraiment les moments où on peut leur inculquer comment devenir de futures bonnes mamans, vers 14-15-16 ans.
Renvoyer les filles à 14 ans serait un non-sens. C'est l'âge où l'on peut commencer vraiment leur formation en tant que mères de famille.
Lettre de la responsable du home des filles de ManaExtrait du livre "Allons enfant de la Guyane"
Ce qui choque aussi dans ce chapitre, c'est le fait que les religieuses jouent les entremetteuses pour que les jeunes filles fassent des mariages chrétiens. Peut-on aller jusqu'à dire qu'il s'agissait de mariages forcés ?
Je ne dirais pas mariage forcé au regard de ce qui m'a été confié. C'est quelque chose qui se fait dans les années 50, cela s'arrête début des années 60. Ce n'est pas systématique non plus, car j'ai recueilli le témoignage de jeunes femmes qui ont été pensionnaires à cette époque-là et qui ont pu sortir du home sans se marier en justifiant qu'elles allaient rejoindre leurs parents.
Il n'y a pas de règle stricte, mais effectivement ce type de mariage a pu avoir lieu et être organisé. C'est quelque chose qui ressort beaucoup au home de Mana où il y avait une pièce au sujet de laquelle d'anciennes pensionnaires disent : "C'était là où on nous faisait rencontrer des jeunes hommes qui cherchaient à se marier." Donc il y avait une sorte de salon, comme cela se pratiquait aussi en Europe, dans une pièce sous contrôle, pour faire des mariages arrangés.
Que sait-on des mères séparées de leurs enfants ? Ou des difficultés qu'ont eues ensuite les jeunes femmes pensionnaires à créer des liens affectifs par la suite avec leurs propres enfants ?
Comme les pensionnats ont été des lieux de carence affective, ils ont créé des traumas dans la construction des individus et c'est quelque chose qui parfois se répercute tout au long de la vie de l'ancien pensionnaire et qui peut ressortir à différents moments. Là encore, ce serait très intéressant que des psychologues se penchent sur le sujet, et à ma connaissance ce n'est pas encore le cas.
Comment se projette-t-on dans la maternité, le rapport aux enfants ? Comment peut-on se construire en tant que femme autochtone en étant passée par ces pensionnats catholiques ? Il y a plein de questions que l'on se pose.
Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas les données que cela n'existe pas. On est au début des recherches historiques sur les homes de Guyane donc c'est sujet à de nouvelles découvertes ou de nouveaux témoignages qui pourraient venir affiner ou contredire des choses qu'on avance pour l'instant.
Les autres volets de ce dossier sont à retrouver ici :