Entreprendre à Saint-Pierre et Miquelon : "Il faut avoir les épaules solides"

Earvin Micheli, gérant de la pizzeria Cha Minà et un de ses employés en pleine prépartion des commandes du soir.
À l’occasion de la semaine Création et Reprise d’Entreprise initiée par France Travail dont c’est la 7e édition, du 23 au 27 Septembre, nous avons rencontré des entrepreneurs de l’archipel aux parcours et expériences bien différents pour témoigner de leur quotidien.

Créer son entreprise, c'est le rêve de beaucoup de Français. Mais la réalité, elle, est parfois moins reluisante. En 2023 la Cacima avait recensé 65 créations sur l'archipel pour un total de 728 établissements accompagnés. Microentreprise, SAS, SASU, il est parfois difficile de s'y retrouver dans les formes de sociétés mais aussi sur la marche à suivre pour se lancer.

S’il existe différentes aides financières, ainsi que des parcours d'accompagnement comme le rappellent les organismes de l'archipel, côté entrepreneurs, une même rengaine revient : "souhaiter du courage à tous ceux qui veulent se lancer", comme l'indique Hannah Poirier, jeune entrepreneuse.

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Alors quels sont les défis des différents porteurs de projets de Saint-Pierre et Miquelon et quelles sont leurs stratégies pour ne pas se noyer dans l'océan de papiers que requiert l'entrepreneuriat ? Trois d'entre eux nous racontent.

Les petits nouveaux de Chez Minà : le pari de l’autofinancement

Une pizza comme il en existe en Italie, voici le défi que se sont lancés les trois associés de la toute nouvelle pizzeria et traiteur Chez Minà à Saint Pierre. Adrien Sallas, Earvin Micheli et Stéphanie Maltèse l’avouent, ils ont les épaules solides : “L’union fait la force. On a tous les trois eu des expériences dans l'entrepreneuriat avant.  On a un bagage administratif et financier conséquent, ça facilite les choses”, explique Stéphanie Maltèse. Originaire de Corse, la doyenne de l'entreprise a baigné dans la direction de sociétés toute sa vie.

Car pour lancer son activité les difficultés sont nombreuses, en commençant par le financement. Les trois compères ont fait le choix de ne demander aucune aide extérieure. Des aides qu’ils estiment plus nécessaires aux jeunes locaux. Grâce à un apport personnel de 100 000 euros, Chez Minà a pu voir le jour en six mois : “On a aussi des choses à prouver, on apporte quelque chose de nouveau, on ne le prend pas”, confie Earvin Micheli.

En souhaitant se lancer avant l’été, les dirigeants de la pizzeria se sont confrontés à un problème : les vacances administratives : "On ressentait l'envie de se lancer maintenant. On aurait pu faire des demandes d'aides mais ça aurait pris beaucoup plus de temps". Grâce à l’entraide entre locaux et le soutien de leurs proches, les courtes nuits et les journées à rallonge ont été quelque peu adoucies.

L’une de leur plus grande difficulté à laquelle ont été confrontés les entrepreneurs : trouver un local. L’immobilier reste en effet en tension sur Saint-Pierre et Miquelon, comme le soulignait ce rapport de l’IEDOM en janvier 2024.

Si Adrien Sallas conserve son emploi salarié en parallèle de son investissement Chez Minà, Earvin et Stéphanie ont tous les deux démissionné pour se consacrer à 100 % à cette nouvelle activité. Un pari risqué certes, mais qui est nécessaire :

Une entreprise c’est de l’abnégation. Croire qu’on va pouvoir faire 35 heures et en vivre, c’est compliqué.

Stéphanie Maltèse, cheffe d'entreprise

Une chose est sûre, les fondateurs de Chez Minà ne comptent pas s'arrêter là, partout autour d'eux les perspectives de création de sociétés se dessinent : " Il y a un très grand potentiel à Saint-Pierre et Miquelon. On voit une jeunesse qui a envie de créer et ça c'est génial ". L'entreprise compte aujourd'hui quatre salariés, un cinquième devrait venir compléter l'équipe rapidement.

Stéphanie Maltèse en pleine préparation d'une pizza à emporter.

Partir pour mieux revenir : créer son autoentreprise

À 25 ans seulement, Hannah Poirier est à la tête de son institut de beauté "Muse", situé au cœur de Saint-Pierre. Après trois ans à Montpellier dans le Sud de la France, un choix cornélien s'est imposé à la jeune esthéticienne : rester dans l'Hexagone ou rentrer chez elle pour se lancer. Si le rapprochement familial a joué en faveur de son choix, c'est aussi la facilité de créer son réseau sur l'archipel qui a été décisif : "C'est vrai qu’ici c'était plus facile de me lancer. Surtout pour avoir les premiers clients et puis sans ma mère je n'aurais jamais pu fonder Muse". Hannah n'a aucun problème à reconnaître que sans ses parents, devenir entrepreneur aussi jeune en serait resté au statut du rêve : "Je n'avais pas les fonds de base, même si j'ai bénéficié d'aides financières, il faut une mise de départ pour démarrer. Ma mère est comptable, ça a aussi beaucoup aidé"

Hannah s'est faite accompagner par la CACIMA et a pu bénéficier d'une aide la Collectivité Territoriale de 5 000 euros, à laquelle peuvent postuler tous les créateurs d'entreprise. Elle a également pu cumuler avec la PIJ (aide au Projet Initiative Jeune), piloté par la DCSTEP, accessible aux 18-30 ans et dont le montant maximum est de 7 320 euros.

Muse a officiellement démarré en février 2024. La cheffe d'entreprise ne se verse un salaire que depuis un mois et demi : 

J'adore ce que je fais, même si c'est dur parfois. Je souhaite beaucoup de courage à ceux qui se lancent.

Hannah Poirier, institut de beauté Muse

Hannah éprouve un regret, ne pas voir plus de jeunes de sa génération monter leur boîte sur l'archipel. Sur la cinquantaine de camarades de son année 1999, seulement une dizaine est de retour sur le caillou et la plupart occupent des postes administratifs : "Il faut donner envie aux jeunes de revenir. Quand les loyers sont hors de prix, déjà ce n'est pas un bon signal. Puis moi je suis d'ici, mais je n'imagine pas quelqu'un de l'extérieur qui n'a aucun lien sur le territoire, ça doit être très compliqué." La jeune Saint-Pierraise se dit épanouie dans sa nouvelle activité, malgré les difficultés. Pour elle, entreprendre c'est aussi participer économiquement au développement du territoire.

À l'approche de la retraite : faire reprendre son entreprise, mission impossible

Il y a ceux qui se lancent pour créer, mais il y a aussi ceux qui souhaitent s'éclipser, pour profiter d'une retraite bien méritée après des années à développer leur entreprise. Avec 25 % des dirigeants d’entreprises âgés de plus de 60 ans et plus, tout comme au niveau national, l'accompagnement à la reprise d'entreprise est un défi de taille.

Jacques Poulain est à moins de trois ans de la retraite. À la tête d'Au Jardin Fleuri depuis quarante ans, le fleuriste anticipe la transmission de son entreprise, avec plusieurs interrogations : "Mon employée est intéressée pour reprendre l'activité mais on n'a aucun conseil. On ne sait pas au niveau des aides ce qui existe. Je ne sais pas à qui m'adresser et comment faire". Un désarroi partagé par d'autres cédants de l'archipel. Si certains comme Jacques ont des pistes de repreneurs, d'autres enchaînent les rendez-vous sans succès. La faute une nouvelle fois au manque de financement.

D'après Eric Braco, directeur de la Caisse d'Epargne de Saint-Pierre et Miquelon, "reprendre une entreprise serait pourtant plus facile qu'en créer une". Reste à savoir sous quelles conditions.

Si l'entrepreneuriat vous intéresse et que vous souhaitez être informé des différentes aides disponibles sur l'archipel, l'IEDOM et la CACIMA vous attendent ce 24 Septembre dès 18h30 à Saint-Pierre au siège de la CACIMA dans les locaux du CFA et sur Miquelon le 26 Septembre à la mairie.