ENTRETIEN. Taux de présence, rentrée 2025, situation au Mont-Dore et à Yaté : le vice-recteur Didier Vin-Datiche se veut "confiant"

Didier Vin-Datiche, vice-recteur de la Nouvelle-Calédonie et directeur général des enseignements.
Près de cinq mois après le début des émeutes en Nouvelle-Calédonie, les établissements du secondaire ont retrouvé leurs élèves et une certaine routine. Mais il a fallu adapter leur fonctionnement pour tenter de répondre aux difficultés, et mettre en œuvre le contrôle continu. Dans le Sud de la Grande terre, l'accès aux cours est resté particulièrement compliqué. A la veille des vacances d’octobre, point de situation avec le vice-recteur.

À la mi-mai, les émeutes ont éclaté, les établissements scolaires ont fermé, plusieurs ont subi des dégâts. À la mi-juin, le retour en classe ou en cours a commencé mais selon les endroits, il a pris encore plusieurs semaines. Alors que le dernier trimestre se profile, où en est le second degré ? Entretien avec Didier Vin-Datiche, vice-recteur de la Nouvelle-Calédonie et directeur général des enseignements depuis 2023.



NC la 1ère : Dans le second degré, où en est-on du retour à la scolarisation ? 

Didier Vin-Datiche : Pendant les semaines qui ont séparé les vacances de juin et d’août, un vaste mouvement de reprise progressive s’est enclenché, avec succès. Il faut remettre cette période en perspective, et bien prendre la mesure de l’ampleur du choc que les événements ont représenté, aussi, sur la sphère éducative.

Aujourd’hui l’activité est pratiquement normale. Il subsiste une difficulté majeure, elle concerne les établissements scolaires dans la zone du Mont-Dore.

Didier Vin-Datiche, vice-recteur

Le Mont-Dore a été coupé en deux pour cause d’insécurité sur la route dans la traversée de Saint-Louis, ce qui a entraîné la fermeture du tronçon… Quelles conséquences pour le lycée, situé à Saint-Michel, et pour le collège de Plum, dans la partie Sud ?

D.V-D: Elles sont diverses. Le lycée, en particulier, ne peut pas accueillir tous les jours tous ses élèves. Il faut qu’il pense une continuité pédagogique tous les jours, dans chaque discipline. Deuxième difficulté, les professeurs eux-mêmes ne peuvent peut-être pas venir. Là aussi, il faut compenser par de la continuité. Au collège de Plum, quasiment la moitié des professeurs viennent de l’autre côté. C’est la navette [maritime] tous les jours. J’ai pu constater que la totalité des élèves, quasiment, est présente, et les professeurs aussi. Mais c’est difficile, au prix d’un investissement en temps, en énergie, psychologique aussi.

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Quelles réponses ont été apportées face à cette situation ?

D.V-D: En attendant le développement des accès, tant par la voie maritime que par la voie terrestre, la direction générale des enseignements a créé les conditions d’un "pont pédagogique" entre les établissements scolaires (le lycée, notamment) et la salle des communautés [au wharf du Vallon-Dore]. De manière à renforcer la continuité. Les horaires des classes ont été aménagés autant que possible : les établissements commencent plus tard, ils finissent plus tôt, pour que des professeurs et des élèves puissent prendre les navettes.

Et puis il y a la problématique de l’évaluation. En contrôle continu, il faut des notes. Aujourd’hui, on crée les conditions pour que les élèves aient tous, dans leur discipline, des notes en quantité suffisante. Que ce soit en présentiel (on peut les faire venir pour un véritable devoir sur table) ou en distanciel.

Le collège de Boulari n’est pas du côté isolé mais il a été affecté par la crise. De quelle façon ? 

D.V-D: Boulari fait partie des quatre collèges qui nous ont été présentés comme les plus dégradés, au début de la crise. Les autres étant Rivière-Salée, Kaméré et Auteuil. Le collège de Boulari a repris dès le mercredi 19 juin. On a isolé la partie détériorée, au moins un quart des espaces scolaires. On a accueilli la totalité des élèves dans les espaces restants. Ça s’est très bien passé. Il y a eu ensuite des rebondissements, des problématiques liées à la tribu de Saint-Louis, d’accès des élèves, d’accès des enseignants. Des professeurs sont dans la partie Sud. Des élèves, aussi. Certains d’entre eux sont venus sur [le collège de] Plum, mais pas tous. 

La situation de ces trois établissements demeure très compliquée. Elle suscite l’exaspération bien compréhensible de la population. La solution paraît simple : puisque 200 élèves du lycée sont bloqués au Mont-Dore ainsi que qu’une dizaine de professeurs, on pense que les dix professeurs n’ont qu’à faire cours aux 200 élèves… Pour autant, les élèves ne peuvent pas avoir tout l’éventail de leur cours. 

Une partie des habitants pointe, en effet, qu'il n'y a pas eu assez d'efforts pour prendre en compte ce contexte, que les navettes réservées aux lycéens du Mont-Dore et aux enseignants ne se sont pas concrétisées… Vous vous êtes rendu dans la partie Sud, lundi. Avez-vous reçu des doléances particulières ? 

D.V-D : Voici le regard que j’ai porté sur le système : au cours des semaines qui se sont écoulées, on a apporté des améliorations au dispositif. Il y a quand même un sentiment de satisfaction, exprimé par les parents, les professeurs et les élèves qu’on a interrogés. J’ai vu que les chefs d’établissement ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour améliorer l’existence des professeurs, des élèves et de leur famille. En termes d’emploi du temps, de continuité, d’examens, de notes à attribuer. 

Il faut bien prendre conscience que l’Education nationale fait tout ce qu’elle peut… autant que c’est possible, dans son périmètre. Ce n’est pas moi qui gère les navettes, ni les accès routiers. 

Didier Vin-Datiche 


Quelle situation au collège de Yaté, également isolé ? 

D.V-D : Sur Yaté, la continuité pédagogique a remarquablement fonctionné. Une continuité 'papier' plutôt qu’électronique. Il a manqué de personnel pendant longtemps. Mais ceux qui étaient sur place l’étaient en permanence, ils avaient l’expérience du Covid. Il y avait un contact avec la mairie, une distribution de pochettes dans les tribus… Je cite souvent Yaté en exemple. Bien sûr, le collège est privé d’une partie de ses enseignants. Il fonctionne comme c’est possible. Mais la continuité marche bien. 

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En dehors de cette zone, des établissements fonctionnent-ils de façon très dégradée ? 

D.V-D : Aujourd’hui, sous réserve d’informations à la main des collectivités qui gèrent les cantines, les transports, voire les internats, aucun établissement scolaire ne fonctionne de manière notoirement dégradée, si les conditions de sécurité, d’accès et d’approvisionnement sont remplies. Les dernières difficultés observées ces derniers temps, notamment sur la côte Est, à Poindimié ou à Thio, sont levées. 

De façon générale, quelles solutions ont été proposées face aux difficultés de circulation et de transport

D.V-D : Clairement, l’école ne peut pas résoudre toutes les difficultés toute seule. La responsabilité des transports, en particulier, ne lui incombe pas. Nous avons renforcé la continuité pédagogique là où c’était nécessaire. Nous avons adapté autant que possible les emplois du temps des personnels, voire de certaines classes, pour s’adapter aux durées de transport qui ont été allongées. Nos directeurs se montrent bienveillants à l’égard des personnels encore empêchés de venir, comme des élèves, dans les limites de la raison…

En ce qui concerne le contrôle continu, les équipes pédagogiques mettent tout en œuvre pour attribuer des notes. Mais un élève qui ne vient plus en classe, et qui ne participe pas aux activités programmées en distanciel, n’aura pas de notes. Donc, pas de diplôme. Heureusement, ces élèves ne sont pas très nombreux. 

À l'échelle de toute la Calédonie, quels sont les effectifs dans le secondaire, comparés à avant la crise ? Comment ont-ils évolué ?

D.V-D : On entend beaucoup parler des mouvements de la population scolaire, de classes qui se vident et d’autres qui se remplissent. Il faut relativiser l’importance de ces migrations, qui déstabiliseraient le système. D’abord, ces mouvements ont cessé, ils ont été temporaires, et certains d’entre eux seront peut-être réversibles. Ensuite, en volume, nos bases ont recensé 600 départs hors du territoire, sur une population totale scolarisée de l’ordre de 28 000 élèves dans le second degré. Près de trois fois plus qu’en 2023, mais cela reste relativement faible en pourcentage (2 %).

Certains établissements ont été plus touchés que d’autres : Mariotti en collège et Lapérouse en lycée. On a relevé 400 mouvements internes au territoire. Peu dans les îles et dans le Nord, beaucoup en province Sud : il y a eu un flux du collège de Tuband vers le collège Mariotti. Un autre, du lycée Dick-Ukeiwë vers le 'Lap'. Ces flux sont taris. Nous surveillons cela de près : aujourd’hui, les îles absorbent le surplus d’élèves, certains d’entre eux reviendront peut-être vers Nouméa. Ces mouvements sont un élément de complication de notre rentrée scolaire 2025. 

Estimez-vous qu’aujourd’hui, les taux de présence sont encourageants ?

D.V-D : Oui, les taux de présence sont encourageants. Je me fais clairement l’idée que toute la population compte beaucoup sur son école, qui est placée au cœur de la reconstruction sociale. Certes, tous les établissements ont perdu trois semaines. Certains en ont perdu plus, en fonction de la vitesse avec laquelle ils ont repris une activité normale. L’absentéisme était pour nous un grand sujet d’inquiétude, depuis le mois de juin. Mais en collège, les élèves sont revenus progressivement en classe.

Un peu plus de 90 % des collégiens ont repris quotidiennement les cours. En lycée, les élèves ont repris en moyenne à 85 %. Ce sont les filières professionnelles qui sont les plus impactées par l’absentéisme, notamment les classes de CAP. Egalement les BTS, dans une moindre mesure.

Didier Vin-Datiche

Au CDI du lycée professionnel Petro-Attiti, dans le quartier nouméen de Rivière-Salée, après les émeutes qui ont éclaté en mai 2024.


Reste-t-il des établissements fermés, à part le collège de Rivière-Salée et le lycée Petro-Attiti à Nouméa ? 

D.V-D : En ce qui concerne l’enseignement public, les deux seules fermetures actées par les autorités sont le collège de Rivière-Salée et le lycée professionnel Petro-Attiti (LPPA).  Dans le premier cas, les élèves sont prioritairement orientés vers le collège de Portes de fer ainsi que leurs professeurs, ce collège étant un collège voisin disposant de capacités d’accueil. Dans le second cas, tous les élèves des classes à examen ont été très vite rescolarisés, dans des établissements publics ou privés sous contrat disposant de formations identiques. Les autres élèves sont accueillis à l’école Devambez pour la partie des enseignements théoriques. Petro-Attiti rouvre l’année prochaine ses plateaux techniques pour garantir les formations professionnelles. Dans le cadre de la reconstruction, des fonds ont été demandés à l’Etat pour les bâtiments publics, dont les établissements scolaires. Nous attendons une enveloppe financière pour engager les travaux au LPPA pour les prochaines rentrées scolaires. 

D’autres établissements sont-ils voués à fermer ? Qu'en est-il du collège public de Thio ? 

D.V-D : Le collège de Thio n’est pas menacé de fermeture à la rentrée scolaire 2025. En revanche, une réflexion a été engagée, lors de la dernière séance plénière de la province Sud, c’est vrai. Mais en termes de mutualisation, et je vois le maire à sa demande bientôt à ce sujet. À Thio, deux établissements sous-dimensionnés, proches l’un de l’autre, scolarisent les élèves de la zone. Ces deux collèges sont trop petits pour garantir une parfaite qualité pédagogique et l’enseignement y serait de bien meilleure qualité s’ils unissaient leur force. Voilà le défi que nous voudrions relever dans les mois qui viennent. 

Dans le contexte actuel, comment se présente la rentrée 2025 ?

D.V-D : La rentrée 2025 sera a priori plus difficile que celle de cette année, en raison des mouvements de population. Mais tous nos efforts visent à ne pas mettre nos établissements en difficulté. Je suis même confiant dans la capacité de l’école à retrouver sa dynamique d’avant-crise, quitte à réfléchir à des améliorations possibles du modèle scolaire.

La Nouvelle-Calédonie a besoin de son école pour construire et se reconstruire.

Didier Vin-Datiche

Nous réfléchissons actuellement à des mesures compensatrices, pour pallier le déficit de temps d’apprentissage : les établissements resteront ouverts aux enseignements plus longtemps puisqu’ils ne seront pas fermés pour cause d’examen. Soit deux à trois semaine de cours en plus.