[GRAND FORMAT] Autonomie alimentaire Outre-mer : un si long chemin

La production locale Outre-mer ne couvre que 40 % de la consommation des habitants. Chaque année, 2,2 milliards d’euros de produits alimentaires sont importés. L’objectif d’accroître la souveraineté alimentaire à l’horizon 2030 est un pari audacieux qui pourrait s'avérer difficile à atteindre.

Il y a huit ans, Emmanuel Macron, en campagne pour l’élection présidentielle, s’engageait devant les agriculteurs. "Nous avons besoin de développer l’agriculture beaucoup plus fortement dans nos territoires ultramarins… Parce qu’aujourd’hui, quand on regarde le problème bien connu du coût de la vie dans les territoires d’Outre-mer, il est largement dû à la dépendance alimentaire, c’est 90 % d’alimentation importée avec des prix qui n’ont rien à voir avec la réalité des salaires".  

Huit ans après, les mots du président résonnent plus fortement encore. La dépendance alimentaire des Outre-mer est en effet loin de se résorber. Ces cinquante dernières années, elle n'a cessé d'augmenter. En 2022, Saint-Pierre et Miquelon importaient 98 % des produits alimentaires, la Martinique 87 %, la Guyane 63 % et Mayotte 65 %. "Les importations alimentaires sont fortes et plutôt en croissance, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, l’évolution démographique. Il y a des territoires où la population augmente et de fait les importations alimentaires progressent. Il y a aussi le changement d’habitude alimentaire qui fait que les consommateurs des outre-mer sont aussi attirés par des produits qui ne sont pas forcément les produits locaux. Enfin, il y a les difficultés de production Outre-mer. Il faut augmenter la production locale", explique Jacques Andrieu, directeur de l'Odéadom, l'Office de développement de l'économie agricole des départements d'Outre-mer.

Écouter le terrain

Pour diversifier et augmenter la production locale de fruits, de légumes ou de viande, Jacque Bastié, ancien directeur de l’Agriculture en Guyane et ancien délégué ministériel pour les Outre-mer, défend un principe qu'il juge fondamental, celui de reconnaître les spécificités de chaque territoire. "Il faut avoir l’humilité d’écouter le terrain, d’écouter les acteurs et de construire avec eux les conditions de la réussite. Les problématiques de la Guyane n’ont rien à voir avec celles de La Réunion, celles de La Réunion n’ont rien à voir avec celles de Mayotte qui est pourtant à côté. On est sur des histoires, sur des cultures, sur des données agronomiques, totalement différentes et il faut partir des acteurs eux-mêmes, bâtir avec eux, construire la feuille de route avec eux et ne pas les coller à des solutions qui viennent où de Paris où de Bruxelles", affirme-t-il. 

Dans son approche pour atteindre une plus grande souveraineté alimentaire Outre-mer, Jean-Pierre Bastié insiste également sur l’accompagnement des agriculteurs dont il regrette l’isolement.

Dans les années 1960, quand il y a eu les lois Pisani, ce qui a été très efficace c’est « le tour de plaine » . Le conseiller agricole partait avec une vingtaine de paysans faire le tour des parcelles pour voir là où ça marchait et là où ça ne marchait pas. Il faut également proposer aux agriculteurs un accompagnement technique, administratif et financier pour leur permettre de monter un dossier et développer un projet. L’immense majorité des producteurs sont tout seuls.  

Jean-Pierre Bastié, ancien directeur de l’Agriculture en Guyane et ancien Délégué Ministériel pour les Outre-mer

Répartir plus équitablement les aides et développer l'agroécologie

 

Depuis plusieurs décennies, l’agriculture Outre-mer s’appuie sur un modèle agricole intensif destiné à l’exportation avec des cultures hyperspécialisées comme la canne à sucre, la banane ou l’ananas.  

Cette production est largement soutenue par l’Europe et la France à travers le programme des aides spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (Posei). L’an passé, 278 millions d’euros ont été versés aux Antilles-Guyane, à La Réunion et à Mayotte. Sur les 94 millions d’euros d’aide accordée à La Réunion, 70 à 75% sont allés directement à la filière de la canne à sucre. En Martinique, sur les 86 millions de subventions, 81% ont été dirigés vers la production de la banane et seulement 3,8% pour la diversification de l’agriculture. En Guadeloupe, 50 à 60% des aides sont également orientés vers la production de bananes et seulement 10 à 15 % pour accompagner une agriculture plus diversifiée. Une enveloppe européenne et nationale qui ne laisse que quelques millions d’euros aux territoires les plus pauvres. La Guyane ne perçoit que 4% de l’enveloppe de 278 millions d’euros, soit 11,1 millions d’euros. Mayotte, le département le plus pauvre de France, reçoit seulement 1 %, soit 2,8 millions d’euros. "C’est scandaleux", s’emporte Jean-Pierre Bastié.

"C’est formidable d’avoir des territoires qui sont très forts dans la banane, dans le sucre", mais ces filières "beaucoup trop fortes" n’ont "pas permis de développer toute la diversification nécessaire", a reconnu Emmanuel Macron lors d'une réception en l'honneur des agriculteurs ultramarins à l'Élysée, le 26 février dernier. 

L’objectif est de répartir plus équitablement ces aides et de mieux accompagner et développer la production locale. L’une des solutions est l’agroécologie, un équilibre harmonieux entre l’agriculture et l’écologie.

Il faut aller vers autre chose que le modèle que l’on a suivi jusqu’à maintenant qui était celui de l’agriculture conventionnelle, intensive pour passer à autre chose.  il est important de s’appuyer sur des principes, un socle de valeur solide c’est celui que nous fournit aujourd’hui ce que l’on appelle la bio écologie sémiotique et générative et puis l’agroécologie. Mieux produire, mieux transformer, mieux distribuer et mieux consommer.

Harry Ozier Lafontaine, de l’Académie d’agriculture de France.

Ce modèle, soucieux de l’environnement et adapté au changement climatique, est très prometteur, mais encore faut-il disposer d’espaces agricoles pour cultiver et permettre aux jeunes qui veulent s’installer d’avoir accès à la terre.

Préserver la surface agricole

Terre agricole dans la commune du Lorrain (nord atlantique).

En 2022, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), a identifié vingt-trois leviers pour améliorer l’autosuffisance alimentaire des départements d’Outre-mer. "Un des leviers forts, c’est de préserver la surface agricole utile (SAU) dans les territoires d’Outre-mer ", explique Claire Cerdan, directrice du département environnements et sociétés, qui ajoute: "nous avons des villes qui grandissent, qui se multiplient. Il faut préserver les terres agricoles et accompagner l’installation des jeunes désireux de s’inscrire dans la transition agroécologique".

Cet objectif d’accroître la souveraineté alimentaire exige également un changement d’habitude alimentaire. Outre-mer, de nombreuses familles ont du mal à boucler les fins de mois et se nourrissent avec des produits ultratransformés que l'on trouve dans les grandes surfaces, plutôt que des fruits et des légumes, parfois plus chers. Ce mode de consommation contraint à des conséquences sur la santé. Les prévalences de diabète ou d’hypertension artérielle sont nettement plus élevées dans les Outre-mer que dans l’Hexagone.

L'idée de la mise en place d’un chèque alimentaire Outre-mer est à l'étude depuis plusieurs années. Ce bon d'achat aurait un triple avantage. D'abord, il permettrait aux populations les plus fragiles d'acheter des produits sains et locaux, de réduire les problèmes de santé et il soutiendrait l’agriculture locale.

La Réunion, La Guyane et la Polynésie progressent

Malgré le passage du cyclone Garence, La Réunion reste sur la bonne voie de la souveraineté alimentaire.  En 2023, 70% des achats des fruits et légumes sont issus de la production locale, contre 67% en 2020. 38% des achats de produits carnés (viandes), sont issus de la production locale, soit 2% de plus qu'en 2020. 

La Guyane s’est engagée également dans un programme de développement de l’agriculture qui arriverait en 2030 à 80% d’autonomie alimentaire. Cela vaut prioritairement pour les produits qui peuvent être cultivés facilement, tout ce qui est racines comme le manioc, le chou, le concombre, la salade. Ce sont des produits prioritaires pour arriver à cette autosuffisance alimentaire.

En Polynésie, l’autonomie alimentaire n’est pas un rêve, c’est un objectif, indique le ministre de l'Agriculture à Polynésie la 1ère .

C’est par le travail que nous menons au ministère et au gouvernement sur le statut de l’agriculteur. C’est également la mise en place d’infrastructures pour distribuer, pour acheminer et commercialiser les produits qui viennent de nos îles, comme les hangars de stockage, froid positif ou froid négatif. Ce sont aussi les ateliers d’agro transformation qui permettent, lorsqu’on a une période de surproduction de produits, de les travailler différemment pour qu’ils soient ensuite disponibles tout au long de l’année.

Taivini Teai, ministre de l'Agriculture

À Mayotte, les exploitations agricoles ont été dévastées par le cyclone Chido et en Nouvelle-Calédonie, les émeutes ont mis un coup de frein à la progression du Caillou vers l'autosuffisance alimentaire qui représentait à peine 20 % avant la crise.  

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