Irma et Maria aux Antilles, Belal et Freddy à La Réunion, Chido et Dikeledi à Mayotte, autant de tempêtes tropicales, cyclones ou ouragans qui ont un jour traversé et dévasté nos territoires ultramarins, laissant derrière eux souffrance et désolation.
"On est là, on survit"
Un mois et demi après le passage de Chido à Mayotte, le 101e département français tente difficilement de soigner ses blessures. À Kiwani, sur les hauteurs de Mamoudzou, les habitations précaires décimées par la force du cyclone sont toutes, ou presque réapparues quelques jours seulement après le passage du cyclone. "On est là, on survit", affirme Adina qui ajoute : "nous n’avons pas d’eau potable, nous avons faim et nous avons le sentiment d’être oubliés".
Irma aux Antilles en 2017 ou Chido à Mayotte le 14 décembre dernier sont assez représentatifs de ce que les Outre-mer devraient connaître dans le futur. "Ce qui est considéré comme extraordinaire aujourd’hui devient la norme", explique Benjamin Crettenand, chargé de sensibilisation au changement climatique pour le Réseau Action Climat.
2024, l’année de tous les records
L’année 2024 a battu des records de température sur la terre, mais aussi dans les mers et les océans. "Chaque événement climatique majeur, compte tenu de la chaleur des océans, est renforcé par ces températures qui sont de vrais carburants pour les cyclones. Ils favorisent leur naissance et leur capacité à se charger en eau", affirme Gaël Musquet, spécialiste de la prévention des risques naturels.
Le réchauffement climatique dont la cause principale est l’augmentation des gaz à effet de serres entraîne également une hausse du niveau des mers et des océans. Les températures qui augmentent accélèrent la fonte des glaciers. L’eau rejoint les mers et les océans qui se dilatent et gagnent en volume sous l’effet de la chaleur.
Les effets de cette montée des eaux sont déjà constatés dans plusieurs endroits des Outre-mer. Les îles Tuamotu en Polynésie et d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie sont menacées de disparaître d’ici la fin du siècle. La région de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe pourrait être submergée un jour sur deux en 2060 et à Miquelon, dans l'atlantique nord, le transfert du village est déjà programmé. Pour ne pas disparaître, les 600 habitants vont devoir déménager 1,5 km plus loin, sur un site plus en hauteur, protégé des aléas climatiques.
Le dérèglement climatique n’épargne pas non plus l’une des plus grandes richesses des Outre-mer, la biodiversité. Nos territoires ultramarins regroupent à eux seuls 80 % des êtres vivants et des écosystèmes qui les entourent. La préservation de ce patrimoine naturel est certes dans toutes les consciences, mais elle n’est pas toujours une priorité sur la planète. "Il y a quelques années, le changement climatique était le risque le plus important, maintenant ce sont les conflits géopolitiques, les guerres comme en Ukraine ou encore le cyberharcèlement. Le cerveau humain est focalisé sur ces questions et il oublie que protéger notre planète est essentiel pour la vie", indique Annamaria Lammel, membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
Informer, former et alerter
À l’avenir, les cyclones apparaîtront plus tôt ou plus tard dans la saison, ils seront plus intenses ou ils dureront plus longtemps. C’est la conséquence du dérèglement climatique et pour y faire face les habitants des Outre-mer devront mieux se préparer. "Il faut informer les populations, ça passe par les réseaux sociaux, l’école et les campagnes d’affichage. Il faut également former les populations, organiser des entraînements et des exercices spécifiques et enfin il faut s’appuyer sur le dispositif FR alerte qui permet de prévenir en temps réel toute personne détentrice d’un téléphone portable de sa présence dans une zone de danger", précise Gaël Musquet.
Le passage dévastateur de Chido à Mayotte illustre la non-préparation des Outre-mer face à ces tempêtes tropicales et pourtant les populations ultramarines ont une culture du risque vingt pourcent supérieure à celle de l’Hexagone. "Nous ne sommes pas à la hauteur des enjeux. On vient à peine de donner les moyens à météo France de calculer ce qui va se passer d’ici à 2050 dans les Outre-mer. Ces calculs jusqu’ici n’avaient été faits que pour l’Hexagone", se lamente Gaël Musquet.
Se préparer
Le réchauffement climatique et les crises climatiques ne sont pas les seules Outre-mer. Il y a aussi des risques géologiques avec pas moins de quatre volcans Outre-mer, des risques sismiques et des risques de tsunami. Au mois de mars, un exercice grandeur nature organisera l’évacuation de 800 000 personnes dans 48 états et territoires avec un scénario européen. "On va prendre l’hypothèse d’un séisme au large de Lisbonne et qui, six heures plus tard provoquera un tsunami sur les côtes caribéennes et américaines. Il faut imaginer qu’un désastre de cette ampleur, s’il devait se produire, pourrait entraîner la mort de milliers de personnes, donc il faut impérativement s’y préparer", souligne Gaël Musquet.
Il existe néanmoins des initiatives locales qui aujourd’hui ont valeur d’exemple. Au Lamentin en Martinique, il existe ainsi une réserve communale de sécurité civile qui s’entraîne à faire face aux catastrophes naturelles. La ville de Deshaies en Guadeloupe a obtenu la reconnaissance "Tsunami Ready" pour les moyens qu’elle déploie pour prévenir le risque qu’un tsunami survienne sur son territoire. C’est la première ville de France à être ainsi distinguée par la Commission océanographique intergouvernementale de l’UNESCO.
Ces initiatives locales ne permettent pas néanmoins de dissiper ces contraintes auxquelles sont confrontés les Outre-mer pour anticiper dans les meilleures conditions un évènement climatique ou sismique majeur.
Les alternances préfectorales dans les territoires entraînent "une rupture dans la culture du risque", indique Gaël Musquet, qui ajoute que "chaque nouveau préfet qui arrive doit faire connaissance avec les acteurs du terrain, les associations, les ONG, les collectivités".
Les alternances gouvernementales sont aussi un handicap. En sept ans, huit ministres des Outre-mer se sont succédés et depuis 2021, nos territoires n’ont plus de Délégué interministériel aux risques majeurs.
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