Dans les cultures maraîchères, qui plus est en conditions tropicales, les bioagresseurs ne manquent pas, et notamment les insectes : thrips, mouches mineuses, aleurodes (mouches blanches), chenilles… Des nuisibles qui s’attaquent aux feuilles des plantes. Mais depuis quelques années, les producteurs de Guadeloupe doivent faire face à un ravageur émergent : la cécidomyie des fleurs.
Jusqu’à 90% de pertes
Il s’agit d’un minuscule moucheron (0,5 à 3 mm), dont les larves pénètrent dans les boutons floraux, qu’elles dévorent de l’intérieur, ce qui empêche la formation des fruits. L’ennemi opère donc de façon invisible et insidieuse. Pourtant, en cas de forte infestation de ces asticots, la baisse de rendement peut dépasser les 90 % ! Marcel Böhrer, ingénieur en expérimentation de systèmes maraîchers à l’Institut Technique Tropical (IT2), nous décrit le parasite et les dégâts qu’il occasionne sur les cultures :
Tomate, aubergine, pastèque…
La cécidomyie des fleurs a été mentionnée pour la première fois en Guadeloupe dès 2015, sur des pieds de tomate. Mais c’est surtout depuis le début 2024 que les signalements de producteurs se sont multipliés : essentiellement sur tomate, mais aussi sur d’autres solanacées comme l’aubergine, le poivron ou le piment ; et également sur des cucurbitacées, telles que la pastèque ou le melon. Après prélèvement et analyses, l’espèce du ravageur a été officiellement identifiée en septembre dernier : il s’agit bien d’une cécidomyie polyphage, ce qui signifie qu’elle s’intéresse à plusieurs familles de plantes, y compris aux orchidées et hibiscus…
Pour savoir si le nuisible est présent sur une parcelle cultivée et est ainsi responsable d’une baisse des rendements observée, il faut donc surveiller de près l’évolution de la floraison :
Changement climatique et retrait de pesticides
Comment expliquer une telle recrudescence de la cécidomyie des fleurs ces dernières années en Guadeloupe ? Le changement climatique est mis en avant, avec des conditions plus humides (y compris en saison dite sèche), et des températures en hausse ; deux facteurs qui favorisent le développement du moucheron. A cela s’ajoute le retrait de certaines molécules insecticides, auparavant utilisées contre d’autres cibles (comme les mouches mineuses), mais qui avaient probablement aussi une efficacité indirecte sur la cécidomyie ; sachant qu’il n’existe aucun produit phytosanitaire homologué pour lutter de manière systémique contre cet agresseur.
La pression actuelle de la cécidomyie des fleurs est tellement forte sur le territoire, qu’on est vraiment dans le cas d’une urgence sanitaire.
Marcel Böhrer, ingénieur en expérimentation à l’IT2
La tomate fortement menacée
La famille Noirault est à la tête d’une exploitation maraîchère de plus de cent hectares en Grande-Terre, avec trois grandes cultures : pastèque, melon et tomate. Cette dernière est cultivée sur une trentaine d’hectares, à Saint-François et Petit-Canal. Mais le plus gros producteur de tomates de l’archipel voit sa récolte annuelle diminuer d’année en année : elle est passée de 800 à 300 tonnes en dix ans (-62 %). En 2024, les rendements ont chuté de 26%. Et la cécidomyie des fleurs est déjà présente sur les premières plantations pour la nouvelle saison :
Les premières tomates de la saison sont prévues pour fin décembre, mais les attaques de cécidomyie sont de plus en plus précoces. C’est vraiment catastrophique et on a très peur pour la suite !
Caroline Noirault, exploitante agricole
En 2024, certains cultivateurs de tomate ont dû stopper leur production en pleine saison, au premier semestre, car les baisses des tonnages atteignaient jusqu’à 70% dès les premières récoltes.
La tomate locale a pratiquement disparu. Les producteurs ne peuvent pas continuer. Donc s’il n’y a pas de solutions assez rapidement, en 2025, la tomate de Guadeloupe ne va plus exister.
Victor Nanette, président de l’IGUAFLHOR
Impasses phytosanitaires
Toutes cultures confondues, les organisations de producteurs de la filière maraîchère enregistrent en 2024 environ 40 % de pertes globales, par rapport à leur prévisionnel de récolte établi en début d’année. L’Interprofession guadeloupéenne des fruits, légumes et horticulture (IGUAFLHOR) réclame, auprès des autorités, des mesures d’urgence, afin de relancer la production au plus vite et répondre ainsi à l’objectif de souveraineté alimentaire du territoire. Mi-octobre, une délégation de l’IGUAFLHOR et de l’IT2 s’est rendue à Paris, où elle a été reçue par la Direction générale de l’Alimentation (DGAL) au ministère de l’Agriculture. Les maraîchers souhaitent obtenir des autorisations de mise sur le marché (AMM) de 120 jours (4 mois), pour certains produits phytosanitaires ciblés, en rapport avec les dégâts subis cette année sur les cultures.
Moyens de lutte
Cette revendication existe aussi au niveau national et elle est relancée actuellement par certains syndicats agricoles mobilisés dans l’Hexagone. La nouvelle ministre de l’Agriculture, Annie Genevrard, a annoncé le 15 novembre la réactivation du « Comité des solutions », mis en place en début d’année par son prédécesseur. Il s’agit notamment de rendre disponibles en France des pesticides autorisés dans d’autres pays européens.
S’agissant de la cécidomyie des fleurs, des molécules vont être testées en décembre sur la 2ème plantation de tomates de l’exploitation Noirault, mise en terre le 20 novembre. Des essais réalisés par le CTCS (Centre technique de la canne à sucre), seule structure agréée aux Antilles pour ce type d’expérimentation. Parallèlement, l’IT2 évalue plusieurs leviers agroécologiques, pour lutter à court et plus long terme contre le ravageur.
Le reportage sur la cécidomyie des fleurs est à écouter en podcast, dans la collection « Kamannyòk », en cliquant ici .