La cour administrative d'appel de Paris a examiné, ce lundi 3 février, le recours sur les demandes d'indemnisation de 1 286 plaignants pour leur exposition au chlordécone, un pesticide utilisé dans les Antilles ayant massivement pollué les sols et l'eau. Le tribunal administratif avait reconnu, en juin 2022, les "négligences fautives" des services de l'État "en autorisant la poursuite des ventes au-delà des délais légalement prévus en cas de retrait de l'homologation" du chlordécone.
Le préjudice d'anxiété rejeté en 2022
Les demandes d'indemnisation pour préjudice d'anxiété avaient été rejetées, "les requérants ne (faisant) état d'aucun élément personnel et circonstancié permettant de justifier le préjudice d'anxiété dont ils se (prévalaient)" à part leur présence en Martinique ou en Guadeloupe pendant au moins douze mois depuis 1973.
Le chlordécone, un pesticide interdit en France en 1990 mais qui a continué à être autorisé dans les champs de bananes des deux îles par dérogation ministérielle jusqu'en 1993, a provoqué une pollution importante et durable des sols, des nappes phréatiques et des milieux marins.
Plus de 90% de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone, selon Santé publique France, et les hommes présentent un taux d'incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde.
9 hommes sur les 1286 plaignants auraient les bons critères
Trois associations et 1 286 personnes, vivant ou ayant vécu en Guadeloupe ou en Martinique, avaient saisi la cour administrative d'appel pour obtenir une indemnité de 15 000 euros chacune au titre du préjudice d'anxiété. À l'audience, la rapporteure publique a détaillé "la faute caractérisée" et "les carences fautives" de l'Etat dès la commercialisation du pesticide en 1972 étant donné que "le caractère toxique et persistant du produit et les risques de pollution environnementale étaient parfaitement connus dès l'origine".
Mais "la jurisprudence du Conseil d'État est exigeante et stricte" sur le préjudice d'anxiété, a-t-elle rappelé. Elle demande que soient apportés "des éléments personnels et circonstanciés pertinents" de manière à établir que l'exposition au chlordécone fait encourir "un risque élevé" de développer une pathologie grave et de voir son espérance de vie diminuer. Or, "seul un petit nombre de requérants", atteints ou ayant été atteints d'un cancer de la prostate, remplit ces conditions, soit neuf hommes, à qui elle propose d'allouer 5 000 ou 10 000 euros.
Nous représentons 1280 personnes, hommes et femmes, et le rapporteur public semble dire que seuls les hommes ayant souffert d'un cancer de la prostate ont le droit d'être indemnisés. Nous contestons ce point de vue. Nous estimons que c'est une aberration, que c'est injuste, que c'est ignoble.
Christophe Lèguevaques, avocat de parties civiles.
La demande d'un préjudice moral
Les avocats des requérants ont demandé que soit également reconnu le préjudice moral, dont les conditions d'indemnisation sont "plus souples", selon Maître Jérémy Bousquet, l'un des deux avocats. "La perte massive de proches" de cancers notamment de la prostate, "les déménagements avérés pour fuir la contamination", la nécessité d'adapter son alimentation et l'atteinte au droit à vivre dans un environnement sain justifient notamment que soient reconnus ces deux préjudices, a-t-il considéré.
Outre les risques de cancer de la prostate, l'exposition à ce pesticide, un perturbateur endocrinien, entraînerait des troubles neurologiques et une prématurité des naissances entre autres, a souligné Me Christophe Lèguevaques, autre avocat de parties civiles. "Et ça n'est pas une cause d'angoisse ?", a-t-il plaidé, demandant que ne soient pas oubliées "les ouvrières qui ont répandu du chlordécone à mains nues dans les bananeraies".
La décision sera rendue autour du 11 mars, a indiqué la présidente.