Installé sur sa terrasse, de blanc vêtu, comme à l'accoutumée, disert, Roger Pradinaud fait un retour vers le passé.
A 85 ans, il aura passé la majeure partie de sa vie en Guyane où il a débarqué en 1964, alors jeune médecin aspirant :
Je venais de Martinique. A l'époque, il y avait un avion par semaine pour la Guyane. A Cayenne, il y avait à peine la radio, quelques voitures... Une période magnifique. J'ai vécu une Guyane de pureté, de naturel avec une population qui vivait de peu de chose, qui chassait, pêchait...
Cette image d'Epinal le séduit. En 1968, le Dr Pradinaud, praticien dermatologue, s'installe défitivement à Cayenne à l'avenue de Gaulle avec son épouse et ses deux premiers enfants. Il y a ouvert un cabinet mais exerce également à l'hôpital Jean-Martial. Il se souvient de l'unique route nationale entrecoupée de bacs sur la rivière de Cayenne, le fleuve Kourou et selon lui : "il y avait alors trois choses fondamentales en Guyane : la télévision, un laboratoire privé qui concurrençait l'Institut Pasteur et une boîte de nuit, le club 106."
Lyon, l'Afrique et l'Amérique du Sud
Début des années 1960, étudiant en médecine, Roger Pradinaud envisage de devenir médecin de campagne à Saint-Amour dans le Jura. Mais au cours de sa 4e année de médecine à l'université de Lyon, il lit une affiche pour les pupilles de la Nation invitées à présenter un dossier pour un voyage d'études. Cela va changer le cours des choses pour lui, pupille de la nation. Son père, résistant de la seconde guerre mondiale, a été déporté et est décédé à Dachau en 1945.
Roger Pradinaud monte un dossier pour réaliser une étude sur la lèpre à l'institut Marchoux à Bamako au Mali. Un séjour révélateur d'une passion pour la dermatologie. Il effectuera ensuite un stage de dermatologie à Dakar ainsi que sa première année de CES dermatologie. En 6e année, il obtient le diplôme de l'Institut de médecine tropicale de Dakar au Sénégal.
En décembre 1963, il passe sa thèse, est incorporé en janvier 1964 pour 2 ans. Il choisit un poste de médecin de secteur en Guyane, détaché à l'aide culturelle et technique. Ainsi commence son autre vie de l'autre côté de l'océan, en Amérique du Sud.
"Je suis affecté à toute la Guyane. J'ai fait les dispensaires de Cayenne, celui de Rémire, j'avais une voiture deux chevaux pour m'y rendre. Parfois il fallait prendre l'avion, c'était un bi plan pour aller à Maripasoula. J'ai donc fait tous les dispensaires de Guyane, Régina, Saint-Georges, Mana, Awara les Hattes et l'Acouarany..."
A la fin de sa mission, en mai 1965, on propose à Roger Pradinaud, un poste de médecin remplacant à l'hôpital André Bouron de Saint-Laurent-du-Maroni. Il y reste 5 mois, seul médecin pour la région de l'ouest. Il se rappelle qu'à cette époque, il n'y a avait pratiquement pas d'accident de la route et les gens étaient peu malades. Mais il fallait être polyvalent et passer de la médecine générale à de la petite chirurgie comme savoir pratiquer des accouchements.
Le ton est donné pour un livre de mémoires captivant sur un parcours de vie riche et atypique. Celui d'un homme passionné par son métier exercé dans une région considérée comme un désert médical.
Le docteur Pradinaud a contribué fortement à l'histoire de la Guyane et son évolution sur le plan médical. Ses recherches sur la lèpre, les infections sexuellement transmissibles, les mycoses tropicales et sur le Sida sont unanimement reconnues.
Le 28 octobre dernier, la communauté médicale a choisi de donner le nom de Roger Pradinaud au nouveau bâtiment de recherches du Centre hospitalier de Cayenne.
Une vie professionnelle qui lui vaut la reconnaissance de la nation
Médecin chef du service de Dermatologie, vénérologie, léprologie, le docteur Pradinaud est Chevalier de l’Ordre national du mérite en 1978, promu au grade d’Officier en 1988 puis commandeur en 2000, Chevalier de la légion d’honneur en 1997, lauréat de l’Académie de médecine pour ses travaux sur la lèpre, Médaille d’argent de la société de pathologie exotique, le Dr Roger Pradinaud a pris sa retraite au Centre hospitalier de Cayenne en 2002.
En 2013, il a été nommé Professeur honoraire de l’université de Franche-Comté et Chevalier dans l’Ordre des palmes académiques en 2015 pour services rendus à l’éducation nationale.