Pêche illégale : reportage à bord des tapouilles venues du Suriname

Pêche illégale au large d'Iracoubo
Les pêcheurs illégaux sont toujours là, au large d’Iracoubo. L’une de nos équipes a pu monter à bord de plusieurs tapouilles clandestines en action de pêche dans ce secteur. Les citoyens sont en colère. Une fois de plus, comme en 2018, ils dénoncent le pillage des eaux guyanaises.
 
Première tapouille clandestine à l’horizon, dans l’embouchure du fleuve Iracoubo. Les pêcheurs illégaux veulent s’enfuir, mais notre bateau est plus rapide après un bref échange, ils nous laissent monter à bord : le bateau vient de Paramaribo, où se trouve le propriétaire. Les cinq hommes d’équipage sont guyaniens. Dans la cale et sur le pont, 500 kilos de poisson, après huit jours de pêche dans les eaux guyanaises

« Au Surinam, on n’a plus de poisson », explique le capitaine de la tapouille, « et en Guyane, il y a peu de navires. Là-bas, il y en a plein et on n’attrape pas grand-chose, ça ne suffit pas à couvrir nos dépenses…donc on vient ici ».


Des risques mais un revenu assuré pour faire vivre la famille

Pour échapper aux navires des autorités françaises, le capitaine cache souvent son bateau le jour dans la mangrove sur la côte

« La semaine, on reste plutôt caché dans la mangrove…on sort vendredi, on pêche samedi et dimanche, puis on se cache à nouveau »

 
Une pêche abondante
A l’arrière, le cuisinier prépare le petit déjeuner : des légumes avec du poulet. Ce marin guyanien vit au Surinam avec femme et enfants. Même risquée, la pêche en Guyane peut faire vivre sa famille…
 

 « Je peux gagner jusqu’à 2000 dollars surinamais en dix jours. Tout dépend de la pêche », indique un marin guyanien qui vit avec femme et enfants au Surinam. « C’est un bon salaire ? », lui demande t-on. « Oui, oui »,

répond-il, même si rien n’est garanti, vu le risque de revenir bredouille. 2000 dollars surinamiens, soit environ 200 euros, représentent les deux tiers d’un salaire moyen au Surinam, en dix jours de pêche.


Les pêcheurs guyanais en colère dénoncent le pillage

Nous repartons à la recherche d’autres tapouilles clandestines. Nos guides sont Sylvian et ses amis : des pêcheurs amateurs d’Iracoubo. Ils dénoncent le pillage des eaux guyanaises.
Une pêche illégale abondante
Sylvian Saïbou, pêcheur de loisirs :

On n'est en pleine saison du mulet cela fait plus d'un mois que c'est impossible de pêcher. Tous les jours c'est pareil, on arrive, à la rigueur les gars nous disent qu'est ce qu'on fait là!


Un drapeau au dessus des eaux marque la présence d’un filet posé par les clandestins : plusieurs kms de long et des mailles hors normes, pour prendre rapidement le maximum de poissons.
Maxime Mindjouk, pêcheur de loisirs :
 

Ils sont une douzaine de bateaux, parfois 20, 30 bateaux. A l'embouchure là où les pêcheurs locaux viennent pêcher ... c'est la souffrance pour nos pêcheurs guyanais, eux ils n'attrapent rien!

 

Les propriétaires des tapouilles sont au Suriname

Nous abordons une 2ème tapouille illégale. Sur le pont, des dizaines de kilos d’acoupa Aiguille. Autre butin : des sacs de vessies natatoires d’Acoupa, une poche qui permet au poisson de contrôler sa flottabilité. Elle est vendue plus de 100 euros le kilo, au Surinam. Les principaux bénéficiaires de ces pratiques illégales se trouvent au Surinam : le capitaine du bateau nous confirme que le propriétaire du bateau vit à Paramaribo.
Nous abordons une 3ème tapouille. Là encore, un capitaine guyanien au service de patrons basés au Surinam. Une bonne cinquantaine, collier de barbe grise, l’homme a trente ans de métier dans la pêche. Il a un message à adresser aux autorités françaises :

 « On se cache, mais nous aimerions avoir l’autorisation de pêcher ici. Je parle au nom de nombreux pêcheurs. Nous pourrions vendre le poisson en Guyane et payer les taxes et tout ce qu’il faut ».


Après trois jours de pêche, ses marins ont déjà pris quelques kilos de vessies natatoires d’acoupa. Une fois séchées, elles sont revendues à prix d’or en Asie, pour leurs vertus soit disant aphrodisiaques. Ce commerce assure la rentabilité de la pêche clandestine.

« On a 4000 à 7000 mille dollars américains de dépenses par voyage, pour le carburant, la glace, la nourriture », explique le capitaine. «Le poisson couvre les dépenses, et nous nous payons avec les vessies natatoires »

Vessie natatoire
Ce samedi, nous avons compté six tapouilles au large d’Iracoubo. Les moyens de lutte contre la pêche clandestine les plus proches se trouvent à 80 kms, au port de Pariacabo, à Kourou. Deux vedettes – celle de la douane et de la gendarmerie maritime - parfois renforcées par un patrouilleur venu de Rémire-Montjoly et un bateau des affaires maritimes basé à Saint Laurent. Visiblement, ces moyens ne suffisent pas à garantir dans la durée la souveraineté nationale dans les eaux de l’ouest guyanais.