Se reconstruire après dix ans d’enfer conjugal : le témoignage de Marie

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“On se fait de plus en plus petite et on s’oublie”. C’est d’une voix douce que Marie* prononce ces mots glaçants. Le constat est immensément douloureux mais la détermination est là : jour après jour, Marie se reconstruit loin de l’emprise de son agresseur.

Tout commence par une rencontre et une belle idylle. Marie emménage avec ce compagnon qu’elle épouse, pense que la vie lui accorde une nouvelle chance d’être amoureuse. Au bout d’un peu plus d’un an, le contrôle s'immisce dans leur relation. 

Le cercle vicieux de l’emprise 

Au début, ce sont de petites choses. Des “suggestions” vestimentaires, des interdits alimentaires. Des demandes, aussi, pour maintenir une forme de pression constante sur l’autre. Il s’assure qu’elle va au travail et rentre à heures fixes. La violence s’installe sans faire de bruit. Il devient plus brutal dans ses gestes, la bouscule. Un jour, la première gifle heurte son visage. Les actes deviendront de plus en plus graves, il la tabasse et la viole pendant des années.  

Après chaque coup, il présente des excuses, des cadeaux, des fleurs. Il dit qu’il n’a pas voulu en arriver là et pointe du doigt le comportement de Marie. Une façon de se distancer de l’acte et d’en faire porter la responsabilité à sa femme. Marie perd toute confiance en elle. Elle se sent responsable de la situation. Elle fait tout pour se modeler selon les désirs de son compagnon mais les critiques, les insultes et la violence ne font que s’aggraver. 

L’emprise psychologique passe aussi par l’isolement. Marie n’est pas libre de sortir seule ni quand elle le souhaite. Elle n’a pas d’amis en dehors des fréquentations du couple. Elle s’éloigne de ses enfants, issus d’un premier mariage. Elle les appelle en cachette pour ne pas déclencher de crise de colère. Murée dans la solitude pendant une décennie. Elle dit à qui veut l’entendre qu’elle vit une relation heureuse avec un homme attentif, comme pour s’en convaincre. 

Sortir d’une relation dangereuse 

Marie découvre l’adultère de cet homme pour qui elle a tout enduré. Elle est dévastée et pense au suicide. Ce sont ses enfants qui la convainquent de s’accrocher à la vie, pour eux. Pour ne pas le laisser gagner. Marie décide alors de mettre fin à cette relation qui a failli lui coûter la vie. Elle se rapproche de l’association l’Arbre Fromager et entame un suivi psychologique. 

Le chemin est encore long et difficile. Un an et demi après la rupture, Marie reste profondément traumatisée. Elle peine encore à se sentir libre et a parfois peur de le voir surgir. Elle fait des crises d’angoisse quand elle entend quelque chose qui lui rappelle ces dix ans d’horreur. 

Elle trouve pourtant la force de porter plainte pour violences et viols. C’est une première étape vers la guérison. Viennent ensuite les petites victoires remportées sur le quotidien : manger ce dont elle a envie, s’habiller comme elle le souhaite. Chaque jour, Marie réapprend à s’aimer. 

“Je monte deux marches puis j’en descend une, mais je continue à progresser. Ça va prendre du temps, je dis à mes enfants que je vais y arriver...et je vais y arriver”. 


La reconstruction psychique de Marie est loin d’être terminée mais elle retrouve peu à peu son sourire. Elle rencontre de nouveaux amis, redécouvre progressivement la femme qu’elle était avant cette rencontre dévastatrice. 

Parler pour reconstruire 

Pour Laura-Jane Mc Guire, psychologue clinicienne qui travaille à l’Arbre Fromager, le parcours de Marie est similaire à celui de beaucoup d’autres femmes victimes de violence. Elle les accompagne dans la reconquête de leur personnalité et leur transmet les clefs pour mesurer leur progression. La première étape est de sortir de la culpabilité, se rendre compte qu’on est la victime et non la responsable des violences. 

Les femmes suivies par l’association échangent aussi entre elles. Ces temps de dialogue sont précieux : elles se rendent compte qu’elles ne sont pas seules à subir ces violences, pas seules à les cacher à leur entourage pendant des années. Elles rencontrent aussi des femmes plus avancées qu’elles dans leur reconstruction, ce qui leur redonne l’espoir de pouvoir s’en sortir.

Laura-Jane Mc Guire souligne enfin l’importance de quitter un environnement violent, pour les femmes mais aussi pour leurs enfants. Une étude épidémiologique de 1988 montre que la violence subie dans l’enfance “constitue le premier facteur de risque de suicide, de conduites addictives (alcool, drogues, tabac), d’obésité, de conduites à risque, de dépression, de grossesse précoce, de précarité, de marginalisation, de situations prostitutionnelles et de subir de nouvelles violences ou d’en commettre à son tour.” C’est aussi le principal déterminant de la santé après cinquante ans, un enfant qui a subi des violences peut perdre jusqu’à vingt ans d’espérance de vie. 

* Le nom a été changé pour préserver l’anonymat de cette femme, qui craint les représailles que pourrait entrainer son témoignage.