La justice soupçonne la société Médicalia d’une “escroquerie en bande organisée” aux dépens de la Caisse Générale de Sécurité Sociale (CGSS), “pour un préjudice évalué à ce stade” à un peu plus de 8,4 millions d’euros, selon un communiqué du 31 janvier de la gendarmerie nationale, avec les logos de quatre entités, dont l’Office Central de Lutte contre les Atteintes à l’Environnement et à la Santé Publique (OCLAESP), saisi de l’enquête, et la Juridiction Interrégionale Spécialisée (JIRS) de Fort de France, qui pilote ce dossier (1).
“Spécialisée dans la mise à disposition de matériel médical à domicile”, la société Médicalia se voit « reprochée d’avoir bénéficié de prescriptions abusives permettant d’obtenir des remboursements indus” de la sécurité sociale, avance le communiqué. “L’enquête a en outre mis en évidence des prescriptions incohérentes présentant un risque avéré pour la santé, notamment pour les jeunes patients”, précisent les services en charge de cette affaire.
Le 22 janvier, selon nos informations, corroborées en partie par le communiqué des autorités, au moins dix personnes ont été interpellées dans le cadre de ce dossier. Il s’agit du dirigeant de la société Medicalia, arrêté à son domicile de Baie-Mahault, en Guadeloupe, des directrices des agences de Guadeloupe et de la Réunion, et du directeur de l’antenne de Guyane. Par ailleurs, selon l’avocat de la société, Maitre Rudy Constant, trois salariés ont été interpellés dans le département du Rhône, où Médicalia est implantée.
À l’issue des gardes à vue, Steeve Constant, le dirigeant de Médicalia, et les responsables des agences de Guadeloupe, Guyane et de la Réunion ont été mis en examen. Le communiqué des autorités en précise les motifs : “escroquerie en bande organisée, exercice illégal de la profession de pharmacien, proposition d’avantages à personnels de santé”. Ils ont été placés sous contrôle judiciaire, avec des interdictions professionnelles et des obligations de verser un cautionnement. À noter que les personnes interpellées dans le Rhône n’ont pas été mises en examen, précise Maître Constant.
“Les nombreuses perquisitions réalisées simultanément sur les différents territoires ont permis de découvrir un stock important de médicaments, contrevenant ainsi à la réglementation en vigueur et matérialisant les faits – présumés, à ce stade - d’exercice illégal de la profession de pharmacien”, indiquent les services d’enquête et de justice concernés. “Des objets de valeur, du numéraire et un véhicule, outre des sommes d’argent ont également été saisis pour plusieurs milliers d’euros”, ajoutent-ils.
Medicalia nie la fraude
« Il n’y a pas d’intention frauduleuse, il n’y a jamais eu de système organisé de fraude », avance Maître Rudy Constant, l’avocat de Medicalia. « Toute l’histoire part d’un rapport de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM, une branche de la sécurité sociale), qui s’interroge sur le système de facturation » de Medicalia, afin « de savoir si les factures sont bien conformes à la réalité des soins administrés aux patients et s’il n’y a pas d’éventuelles fraudes », poursuit l’avocat.
« La CPAM et la sécurité sociale ont des moyens de contrôle, ils peuvent convoquer les prestataires ou leurs partenaires de santé pour avoir des explications sur une situation qui leur paraît éventuellement anormale, et ça n’a pas été fait », indique Maître Constant. « On a directement choisi la voie judiciaire, ce qui est à mon sens extrêmement prématuré, puisque la position de Medicalia est claire : tout a été fait dans les règles de l’art, tout est conforme aux prescriptions émises par la CPAM », conclut l’avocat. Rappelons que selon le Code pénal, une mise en examen résulte d’« indices graves ou concordants » pesant sur une personne, laquelle est présumée innocente jusqu’à son éventuelle condamnation.
Des questions sur le rôle de médecins exerçant en Guyane
Le 28 janvier, nous avons appris par des sources à Saint Laurent du Maroni que deux médecins avaient été placés en garde à vue dans le cadre de cette enquête, dont un praticien des urgences du Centre Hospitalier de l’Ouest Guyanais (CHOG), et un ancien médecin urgentiste de l’hôpital de Saint Laurent, désormais généraliste dans une commune du Centre Littoral. Nous avons pu ensuite établir que trois personnes avaient été interpellées le 22 janvier en Guyane dans ce dossier, et que les deux médecins n’avaient pas été mis en examen à ce stade.
En septembre, à l’issue d’une première série d’arrestations centrée sur « AZ Dom », une autre société de mise à disposition de matériel médical à domicile, un médecin prescripteur de l’hôpital de Saint-Laurent avait été mis en examen, selon un communiqué du 26 septembre du parquet de Fort de France. Le 29 janvier, France-Guyane a cité son nom, avec une petite erreur. Vérification faite, il s’agit du docteur Innocent Ndougsa, médecin aux urgences du CHOG. Contacté par mail le 2 février, il a décliné notre demande d’interview : « après avis de mon avocat, il n’est pas judicieux de commenter une procédure judiciaire en cours », nous a-t-il indiqué par retour de mail.
« Le docteur Ndougsa a été suspendu dès que le juge nous l’a notifié », informe Ninon Gautier, directrice générale du CHOG depuis septembre 2024. Selon la directrice, la suspension a duré un peu plus de quatre mois, jusqu’en janvier, et le praticien doit être changé de service. Sur sa suspension, l'intéressé nous a informés que la Cour d'Appel de Frort-de-France avait levé le 26 novembre l'interdiction d'exercer prononcée par la Chambre de l'instruction de Martinique. « J'ai repris le travail le 2 janvier» nous a précisé le docteur Ndougsa.
« Des dérives » et « un recadrage des pratiques »
Plus généralement, Ninon Gautier parle d’une situation antérieure à son arrivée, avec des « dérives », des « suspicions sur la délivrance d’ordonnances de soins à domicile », ou encore « des prescriptions qui ne correspondaient pas aux profils des patients ». Au-delà des trois praticiens déjà évoqués, « à ma connaissance, il y a aussi d’autres médecins suspectés qui ont quitté l’établissement ».
Dans son communiqué du 26 septembre sur le volet « AZ DOM » de l’enquête, le parquet de Fort de France évoque « la complicité de médecins urgentistes du CHOG ».
« Aujourd’hui, il y a eu un recadrage des pratiques… depuis septembre, on a revu nos processus, notamment à l’accueil des urgences », ajoute la directrice générale du CHOG. Déplorant « un préjudice lié à l’image de marque de l’établissement », Ninon Gautier adresse un message à la population : « nous assurons la permanence des soins, avec des médecins compétents, investis dans leurs missions ».