Monique, 68 ans
En 1979, Monique à 23 ans. Elle est en couple et arrête la pilule. « Mon compagnon souhaitait avoir un enfant. Moi, je le suivais un peu… Je crois surtout que j’obéissais plus à l’injonction faite par la société de cette époque à toute jeune femme. Je n’avais pas un si grand désir que cela d’être maman. Quand je suis tombée enceinte, tout s’est embrouillé dans ma tête. » Malgré cet état qu’elle décrit, Monique sait assez rapidement ce qu’elle fera. « Je ne me sentais pas prête psychologiquement à avoir un enfant. Alors, j’ai bu des décoctions abortives. » De ce chamboulement physique et psychique, elle ne dit rien à son compagnon : « il n’aurait pas compris ».
Un médecin bienveillant
Les remèdes créoles, conseillés par une amie, ne font pas effet. Alors Monique se rend chez le gynécologue qui la suit depuis des années. « C’était à son cabinet. Je l’ai senti dans la bienveillance, pas dans le jugement. J’ai exprimé mon mal-être, mes incertitudes matérielles, mon instabilité psychologique face à cette maternité. » Le médecin programme une aspiration dans son cabinet. De ce jour-là, Monique ne se rappelle que des grandes lignes. Est-ce qu’elle a eu mal ? Pris des médicaments ? Eu droit à une anesthésie ? Elle ne sait plus. Une chose est sûre : hormis à l’amie qui lui a conseillé les plantes, elle n’a parlé à personne de cette interruption volontaire de grossesse.
C'est une décision qui appartient aux femmes
Monique, 68 ans
Deux ans après, elle devient mère. À l’occasion de cette grossesse, elle avoue à son compagnon son IVG précédente. « Il a très mal réagi et m’a traitée de tous les noms. » Mais Monique reste droite dans ses bottes et assume son choix. « C’est une décision qui appartient aux femmes. »
Une IVG sans stigmatisation
Cet épisode de sa vie, Monique confie ne pas trop y penser, ou juste « maintenant, parce qu’on en parle. Au fond de moi, je n’ai aucun regret. Je pense que c’est parce que tout s’est fait dans de bonnes conditions. Je ne me suis pas sentie stigmatisée. J’ai aussi ressenti une forte solidarité, de la part notamment de l’amie qui m’avait accompagnée. Elle, elle avait vécu la galère des avortements dans de moins bonnes conditions. Cette affaire-là, c’était une affaire de femmes… »
Lucienne, 60 ans
Des interruptions volontaires de grossesse, Lucienne en a eu trois : au début des années 90, six ans plus tard et au début des années 2000. Mais lorsqu’elle parle de son rapport à l’IVG, un des souvenirs les plus intenses qui lui revient remonte au-delà, à la fin des années 80. À l’époque, elle tombe rapidement enceinte après la naissance de son aînée. Lucienne veut garder l’enfant, son compagnon non. Alors, elle qui vit en commune, se résout à venir à Cayenne pour y subir une IVG.
Ils avaient gardé les bocaux avec les fœtus des avortements précédents
Lucienne, 60 ans
« Je suis arrivée la première, mais à chaque fois, je laissais passer les autres avant moi. Le médecin et l’infirmière, ou peut-être que c’était une sage-femme, ont bien vu que je restais dans mon coin. À la fin, je ne pouvais plus reculer. Je leur ai expliqué ce que je voulais. Ils m’ont installée, j’ai mis les pieds dans les étriers… J’avais tellement peur ! Parce que toute la matinée j’avais entendu les cris des autres femmes… Et puis sur la table, à côté de moi, ils avaient gardé les bocaux avec les fœtus des avortements précédents… Quand j’ai vu la dame arriver avec son aspirateur, j’ai mis mes mains entre mes jambes en criant "non, non ! Je ne veux pas !" Je suis repartie chez moi et j’ai fait croire à mon compagnon qu’il n’y avait plus de place et que je devrais y retourner. Mais je n’y suis jamais allée. »
Une tisane en premier recours
Ses enfants ont à peine l’âge de la maternelle quand elle tombe de nouveau enceinte. « Il ne voulait pas de cette grossesse… J’avais peur qu’il me quitte si je gardais l’enfant » souffle-t-elle, évoquant son compagnon, père des deux premiers.
Trente ans après, Lucienne se rappelle encore du goût des tisanes qu’elle a préparées à partir de « petites fleurs jaunes ». Echaudée par son premier passage à l’hôpital, elle préfère ce « remède » naturel. « J’étais maman, j’avais peur de mourir et de laisser mes enfants. » Mais la potion n’est pas magique. « Je voyais que je continuais à grossir. Alors j’étais bien obligée de retourner à la clinique. Là, on a vu que je portais des jumeaux. Peut-être que c’était à cause des herbes, mais l’un des deux était presque mort. Alors on a pris rendez-vous pour un curetage, même si j’avais dépassé la date pour une IVG. »
Lucienne, se souvient de son sentiment d’abandon, au soir de l’intervention. « J’ai commencé à pisser le sang. Il n’y avait personne hormis un gardien qui dormait sur un brancard et qui m’a crié dessus parce que j’avais sali tous les couloirs. Ce soir-là, j’ai failli mourir. En plus, c’était le début des années Sida, tout cela faisait très peur. »
Des prières pour ces enfants
Que ce soit cet avortement ou les deux suivants « suite à des accidents de préservatif » avec son second compagnon, son verdict est le même : « j’ai toujours fait ces avortements avec regret. Par la suite, j’ai fait beaucoup de prières pour que ces enfants me pardonnent. »
Pas de tabou avec ses filles
Si elle n’a pas fait étalage de son histoire auprès de son entourage « pour ne pas avoir de réflexions débiles », Lucienne ne l’a jamais cachée à ses enfants et ses petits-enfants. « C’est important, assène-t-elle, d’autant plus que ce sont des filles. Elles auraient pu, elles aussi, être confrontées à cela. »
Evelyne, 60 ans
Des interruptions volontaires de grossesse, Evelyne en a, elle aussi, subi trois. Pour sa première IVG, dans l’Hexagone, elle est accompagnée de sa mère. Impossible de faire autrement à l’époque pour une mineure. Mais Evelyne se souvient que tout s’est bien passé « sans jugement », ni de la part de sa mère, ni du corps médical. Même constat pour sa seconde intervention, à l’âge de 30 ans.
Enceinte à 50 ans
L’histoire est différente pour sa dernière IVG, à Cayenne. « J’avais 50 ans. Cela faisait trois ans que je n’avais plus mes règles et je croyais que j’étais ménopausée. Un mois avant, ma fille m’avait annoncé qu’elle allait avoir un enfant et je l’avais engueulé parce qu’elle n’avait pas encore fini ses études. Quelques jours après, je vois que mon corps change… Nous les femmes, on sent ces choses-là. Je me dis "c’est pas possible, j’ai 50 ans !" Et oui, j’étais bien enceinte.»
On crie ton nom très fort, en tenant un dossier où il y a marqué IVG
Evelyne, 60 ans
Evelyne se rend à la PMI. « Je me disais qu’il y aurait plus d’égards, parce qu’il n’y a que des femmes. Quand tu y vas, même si tu es au clair avec ton choix, tu n’y vas pas de gaité de cœur… Alors quand on crie ton nom très fort, en tenant un dossier où il y a marqué IVG… Ça m’a fragilisée. Je n’avais pas envie d’étaler mes affaires devant tout le monde. » Avec son mari, la discussion dès la révélation de la grossesse avait été claire. Evelyne ne se voyait pas être de nouveau mère à 50 ans. Le couple n’a plus jamais évoqué ce sujet par la suite.
« Je n’estime pas avoir utilisé l’IVG comme une contraception, affirme Evelyne. J’ai toujours pris la pilule, mais il y a eu des accidents de parcours. Par contre, j’ai choisi mon destin d’être maman ou pas. »
* Tous les prénoms ont été changés.