Géraldine, 30 ans
Trois semaines. C’est le temps qu’avait passé Géraldine avec son compagnon lorsqu’elle découvre qu’elle était enceinte. « Je le soupçonne fortement d’avoir fait craquer les préservatifs exprès, avance-t-elle. Parce que dès le début, il n’arrêtait pas de dire que j’allais porter ses enfants. Il en avait déjà deux. Moi, ce n’est pas l’idée que je me fais d’une relation. On doit d’abord apprendre à se connaître. » Dès les premiers symptômes, Géraldine craint le pire. Le test, acheté par une copine, elle le fera à son travail, pressée d’avoir le résultat. Anxieuse à l’idée qu’il soit positif. « Dès que le signe "plus, a apparu, je n’avais qu’une chose en tête : avorter. » Pas question pour la jeune femme d’envisager une autre possibilité.
Sa décision est claire. Mais Géraldine se sent pourtant désemparée. « Où est-ce que je devais aller ? À l’hôpital ? Chez le médecin ? Est-ce qu’il existe une ligne dédiée ? On ne se rend pas compte à quel point c’est frustrant de ne pas avoir de réponse… »
La peur de raviver des souvenirs douloureux chez sa mère
Géraldine est dirigée par une autre amie vers une sage-femme, dans un cabinet à Cayenne. Elle aura son premier rendez-vous sous cinq jours. « J’avais peur du délai. » La jeune femme garde en mémoire le souvenir d’une IVG par aspiration subie par sa mère des années auparavant, et ne veut pas attendre d’en arriver à ce stade. Hormis à ces deux amies, Géraldine ne parle pas de ce qui se trame. Le père ? « Je n’ai jamais envisagé de le lui dire ». Elle hésite toutefois à en informer sa mère. « Je ne voulais pas que ça ravive des souvenirs douloureux en elle. Je sais qu’aujourd’hui encore elle regrette ces IVG. Elle pense que sa situation actuelle et son célibat sont des punitions suite à cela. » Incapable de lui cacher un événement si important dans sa vie, elle finira toutefois par se confier à sa maman. « Elle m’a écoutée et ne m’a pas posé de question sur ma relation. Elle s’est aussi proposée pour m’accompagner ».
Aucun jugement de la part de la sage-femme
Chez la sage-femme, elle retrouve le même type d’attitude. « Je n’ai senti aucun jugement de sa part, mais beaucoup d’empathie. Lors de l’échographie, j’avais peur de voir quelque chose qui bat, même si ça n’aurait pas changé ma décision. C’était juste une tâche. » Lorsqu’elle prend les premiers comprimés, Géraldine est prise de nausées et vomit. « Il a fallu reprendre les médicaments. Le premier était remboursé, mais le second qui m’a coûté 70 euros. »
Des amies en or
Après, Géraldine se souvient de la douleur, intense, et de sa mère présente à ses côtés, tout comme ses amies, « des amies en or ». Son ex, elle ne l’a jamais revu, et n’en a pas envie. Des années après, elle ne regrette nullement ce choix. « Je ne sais pas si Simone Veil s’est rendu compte qu’elle sauvait, avec sa loi, des milliers de femmes, jusqu’à aujourd’hui. Je remercie tellement toutes les femmes et tous les hommes qui ont permis qu’on ait ce droit ! Nous, les femmes françaises, nous sommes chanceuses. Quand on voit que des pays comme les Etats-Unis reculent sur ce droit-là, on est contentes qu’il ait été rajouté à la constitution française. Ça veut dire qu’on ne reviendra pas à des pratiques moyenâgeuses. »
Béatrice 45
« On m’avait toujours dit que j’étais stérile », affirme Béatrice. Pourtant, lorsqu’elle a des dégoûts alimentaires et un retard de règles, alors que son cycle est d’ordinaire très régulier, elle veut en avoir le cœur net. « J’ai fait le test en pharmacie. Il y a eu deux barres. Je n’étais pas prête. On était en plein Covid et puis je n’étais pas dans une relation stable. »
Immédiatement, Béatrice se rend à l’hôpital et explique sa situation. « La sage-femme a fait une échographie pour savoir où j’en étais et si on ferait une IVG médicamenteuse ou chirurgicale. » Pour la jeune femme, alors âgée de 42 ans, il n’est pas question de poursuivre cette grossesse.
Pas de jugement
Son IVG, elle la vit de manière solitaire. « Avant de prendre le premier comprimé, j'en ai parlé à une seule personne qui était très loin de la Guyane. Je lui ai dit que j’avais fait pipi sur quelque chose, qu’il y avait eu deux traits et que j’allais avorter. Elle a bien compris que c’était ma décision et que je n’allais pas changer d’avis. Elle ne voulait pas que je sois en détresse psychologique et que je regrette après. Elle n’a pas été dans le jugement mais plutôt dans l’accompagnement. »
La sage-femme a expliqué chaque geste
Béatrice, 45 ans
Pour Béatrice, tout s’est déroulé de manière « idéale », depuis le début de sa prise en charge à l’hôpital de Cayenne. « A chaque étape, que ce soit pour l’entretien ou pour l’échographie, la sage-femme a expliqué chaque geste. Elle était très à l’écoute et faisait très attention. Elle m’a appelée pour savoir si tout allait bien. »
Lorsqu’elle prend ses premiers comprimés, Béatrice prévient d’autres amis qu’elle est « souffrante » si jamais elle a besoin d’être emmenée à l’hôpital. « La sage-femme m’avait prévenue que j’aurais des pertes de sang très importantes. C’était impressionnant, mais j’avais imaginé un scénario plus gore. J’avais aussi des médicaments pour compenser la douleur : la sage-femme m’avait bien informée là-dessus. »
Le contrecoup à postériori
Ce n’est qu’après que Béatrice a informé son partenaire. « Il a réagi moyennement. Il a trouvé que j’étais courageuse, qu’il m’aurait orienté là-dessus, mais aurait préféré que je ne sois pas seule. Il aurait voulu être informé pour m’accompagner. Il s’inquiétait aussi de mon équilibre mental. »
Trois ans après, Béatrice fait le point sur son équilibre émotionnel. « Là, ça va. Je crois que j’ai eu le contrecoup de ma décision à la date où cette grossesse aurait dû arriver à son terme. J’ai traîné ça pas mal de temps. Je me suis rendu compte à postériori que j’avais pris du poids parce que je m’étais réfugiée dans les moments de convivialité avec de l’alcool. Aujourd’hui, j’y pense parfois. J’ai culpabilisé au début, mais plus maintenant. Je crois que j’ai de la chance d’avoir pu avoir aussi facilement accès aux bonnes informations. »
Tonie, 40 ans
À 23 ans, Tonie termine ses études dans l’Hexagone. Elle est fiancée, son compagnon a un emploi. Alors, lorsqu’elle tombe enceinte, elle est heureuse. Malgré la surprise du début, son compagnon est content. Tonie annonce la nouvelle à sa sœur et à sa mère. Si la première réagit bien, la seconde est bien moins enthousiaste. Qu’importe, le jeune couple se prépare à sa nouvelle vie. « Et puis un jour, il me dit "écoute, je ne suis pas prêt, ça ne va pas le faire". J’ai eu l’impression qu’il n’y avait plus de sol sous mes pieds. »
Dans les jours qui suivent, les événements s’enchaînent avec rapidité. « Je n’ai pas eu le courage d’aller contre sa volonté, glisse-t-elle. Lors du rendez-vous chez le médecin, c’est lui qui posait les questions. Comme la grossesse était bien avancée, ça allait forcément devoir se faire par aspiration. La seule chose que j’ai demandée c’est si cela allait faire mal. On m’a dit que non puisque j’aurais une anesthésie locale. »
Une expérience traumatisante
Son intervention a lieu un matin d’hiver. « Je crois que c’était le matin, il faisait noir quand je suis rentrée, et il faisait noir quand je suis repartie. Nous étions trois ou quatre dans la salle d’attente. On n’en menait pas large…
Pour Tonie, l’expérience a été traumatisante. « Je me souviens de tout. Les odeurs… Le bruit de l’aspirateur… Et la douleur. J’avais très mal et je criais. L’assistante m’a dit "arrêtez de crier, vous exagérez, ça ne fait pas si mal que ça". Même maintenant, quand j’en parle, je ressens encore la douleur et je crois entendre sa voix dans mon oreille. »
Tout a été fait pour me faire culpabiliser. Malgré tout, ça ne m’a pas braquée contre l’IVG
Tonie, 40 ans
Ces souvenirs douloureux, Tonie ne les a pas partagés avec son fiancé. « Nous n’en avons plus jamais parlé. Je crois que cet événement a compté dans notre séparation, des années plus tard. C’est une blessure ouverte. À un moment, nous avons envisagé de nous remettre ensemble. Mais je ne lui ai jamais pardonné. C’était ma première grossesse et ce n’était pas mon choix… De mon accueil à ma sortie, tout a été barbare. »
Malgré cette expérience, Tonie est catégorique : « Tout a été fait pour me faire culpabiliser. Malgré tout, ça ne m’a pas braquée contre l’IVG. Si un jour je dois accompagner ma fille pour une IVG, je le ferai. Ce dont j’ai honte, c’est de la raison qui m’a amenée à faire cette IVG. Je m’en veux d’avoir suivi son choix à lui. »
Un appel à la tolérance
Des années plus tard, Tonie aura de nouveau recours à une IVG. Médicamenteuse cette fois, et en Guyane, dans une PMI de Cayenne. « Ça n’avait rien à voir avec mon expérience précédente. On m’a tout bien expliqué du début à la fin. On m’a appelé pour prendre de mes nouvelles… Là, on m’a traitée comme une personne, pas comme un numéro. Ça m’a réconciliée avec ma conscience. J’ai compris que le problème ne venait pas de moi la première fois, mais d’eux. Je voudrais dire qu’il n’y a pas qu’une histoire ou un seul contexte. Il ne faut pas juger les femmes qui ont recours à une IVG. Juste les écouter. »
* Tous les prénoms ont été modifiés