[TEMOIGNAGES] Journée mondiale des Solitudes : "Parfois je m'isole mais ce n'est pas vraiment intentionnel"

Solitude
Ce 23 janvier est la Journée Mondiale des Solitudes et selon la Fondation de France 12% de la population française serait concernée par ce phénomène universel. La Guyane n’est pas épargnée. Des enfants aux personnes âgées nous pouvons tous souffrir de la solitude pour de multiples raisons. Cora, Placide, Lisa et Florence ont expérimenté une forme de solitude, ils nous la racontent.

Depuis quelques années, voire même des décennies, le phénomène de solitude s’est amplifié et se traduit souvent dans nos sociétés par l’isolement, le repli sur soi, pour des personnes qui peinent à donner du sens à leur vie, à être tout simplement heureux.

Dans nos sociétés occidentales, la solitude n’est pas seulement l’isolement relationnel objectif d’une personne, mais plutôt la solitude ressentie.
Quatre témoins de quatre générations nous parlent de leur approche de la solitude.

« Parfois je m’isole mais ce n’est pas vraiment intentionnel »

En classe de troisième, Cora est l’aînée d’une fratrie de trois enfants. Réfléchie, fan de séries coréennes, bonne élève cette collégienne affiche un tempérament docile et ne semble pas traverser les turbulences de l’adolescence mais comme beaucoup de jeunes de son âge, elle ne se confie pas facilement :

« Il y a différentes façons de se sentir seule. Il y a des maladies hyper rares et tu sais que personne ne pourra te comprendre. Il y a aussi des situations uniques où tu penses que même si tu aimerais en parler, il n’y aura pas beaucoup de personnes pour te comprendre et on ressent la solitude. J’avoue que je me suis déjà sentie seule parce qu’au collège mon amie n’était pas là. Je ne savais pas avec qui partager mes pensées, mes rires ou ce que je subissais des autres. »

La jeune fille évoque aussi la solitude sportive qui lui a fait abandonner la natation pour le hand-ball : « Dans le sport collectif même si tu n’es pas au même niveau que les autres, il y a tout le monde pour te soutenir, tu n’es pas seule sur le terrain, c’est bien »
Au bout de quelques minutes, elle finit par avouer : « Parfois je m’isole, je me mets dans un coin, je suis sur mon téléphone. Je ne parle à personne. Je ne saurai pas l’expliquer mais ce n’est pas vraiment intentionnel. »

« Il m’a fallu 18 mois pour me reprendre. »

D’origine haïtienne, Placide a connu et connaît encore des difficultés d’intégration. Arrivée à l’âge de 23 ans en Guyane en 2019, ce jeune homme très calme a mis 18 mois à sortir de son isolement :

« En quittant Haïti, j’étais très triste de laisser mon père. Pendant nos adieux à l’aéroport, il m’a dit : vu la situation du pays, je ne pense pas que tu me reverras. Arrivé en Guyane, il y avait certes ma mère, mes sœurs mais pour moi elles étaient des étrangères. Cela a été compliqué. Je restais seul dans la maison, je ne parlais à personne et je regardais uniquement la télé et les informations. C’était mon seul lien pour vivre ma solitude. J’ai beaucoup réfléchi et j’ai fini par me persuader que je devais m’en sortir. J’ai entrepris des démarches pour m’inscrire à l’université puisque je pouvais le faire mais il m’a fallu 18 mois pour me reprendre. »
Il reste néanmoins solitaire car sa situation administrative n’est pas réglée. Il déploie de gros efforts pour comprendre et assimiler une culture qui n’est pas la sienne.
En réalité, Placide semble constamment sur ses gardes et est toujours seul.

« La solitude choisie peut-être aussi nécessaire à un moment de notre vie »

Dynamique, toujours souriante et positive comme doit l’être une communicante, Lisa, 40 ans, a toujours su gérer ses moments de solitude :
« Il me semble que la solitude prend différentes formes, elle n’est pas un état définitif : au cours de ma vie de femme, j’ai pu la ressentir ponctuellement à différents moments. À 18 ans, par exemple, lorsque j’ai quitté ma famille pour étudier, après avoir vécu une rupture amoureuse, ou encore après un déménagement plus tardif. La nostalgie m’a alors fait ressentir de la solitude loin de mes proches et amis. Cependant, la solitude n’est pas toujours synonyme d’isolement. On peut aussi, comme dit le psychiatre Christophe Fauré être « ensemble mais seul » : être entouré, avoir une vie sociale, mais se sentir seul malgré tout – c’est certainement le cas de ces « artistes incompris » ou de certaines personnalités mélancoliques. Pour autant, nous nous sommes tous, je crois, sentis seuls à un moment de notre vie, malgré le fait que nous soyons entourés ! Enfin, il existe une distinction que j’ai découverte récemment en langue anglaise, qui n’existe pas en français : « loneliness », solitude que l’on peut qualifier de « subie » et « aloneness », qu’on traduirait peut-être par solitude choisie, qui peut aussi être nécessaire à un moment de notre vie. »

« La solitude s’apprivoise »

Florence est une retraitée de 71 ans. Mariée puis divorcée jeune, elle a élevé seule sa fille. Des moments de solitude et d’isolement ont jalonné son parcours de vie. Sa résilience a fortement été éprouvée lors de son cancer du sein à l’âge de 55 ans.
« Partie à Paris précipitamment j’ai dû me battre contre la maladie durant trois ans. Cela a été de longs mois de souffrance et de solitude face à ce cancer. Je me sentais très isolée alors qu'il me fallait affronter les traitements, les difficultés de logement, la perte de la moitié de mon salaire, l’éloignement de ma famille. J’ai souvent eu envie de me laisser aller. Le sentiment de solitude était terrible et il m’a fallu de longs mois pour l’apprivoiser, pour ne plus la subir, oui la solitude s’apprivoise. J’ai essayé d’en faire une compagne utile pour me recentrer sur moi et redécouvrir des plaisirs comme la lecture par exemple et l’observation de la nature. J’ai utilisé la solitude comme un catalyseur pour mieux apprécier tous les instants de bonheur, même les plus petits. Chacun au fond de soi doit trouver les ressources nécessaires mais dans cette quête du mieux être nous sommes loin d’être égaux. »

La solitude n’est pas une fatalité. Elle peut être combattue par des politiques publiques adaptées, un engagement communautaire renforcé et une éducation à l’empathie et au vivre-ensemble. La Journée mondiale des solitudes n’est pas seulement un moment de réflexion, elle doit être un appel à l’action pour construire une société plus solidaire et inclusive, où chaque individu trouve sa place et son écoute.