Ce lundi matin, à l’angle des rues Lieutenant Becker et Justin Catayée, à Cayenne, de la musique s’échappe d’une porte presque close. Derrière elle, des peintres sont au travail, dans l’espace qui, jusqu’en 2024, abritait le libre-service Eko Plus de Patrick Ho-Wen-Tsaï.
Il y a tout juste un an, l’endroit a été le théâtre d’un fait divers qui a secoué la Guyane. Là, dans la nuit du vendredi 19 au samedi 20 janvier 2024, Patrick Ho-Wen-Tsaï, commerçant, sa sœur Andrée, infirmière anesthésiste fraîchement retraitée, et Jennifer, la fille de Patrick, âgée seulement de 19 ans, ont perdu la vie. Tous trois ont été tués à l’arme blanche.
Un appel qui n’aboutit pas
À la barbarie de l’acte, s’ajoutait, pour les proches des victimes une douleur supplémentaire : dans son agonie, Andrée Ho-Wen-Tsaï était parvenue à joindre le Samu. À l’autre bout du fil, l’opérateur n’avait pas déclenché le départ d’un véhicule de secours. La victime avait fini par appeler ses anciens collègues au bloc opératoire du Centre hospitalier de Cayenne. À l’arrivée des secours, 45 minutes plus tard, Patrick, Andrée et Jennifer Ho-Wen-Tsaï étaient décédés.
Un suspect identifié
Un suspect était identifié : Lin Bingyong, 41 ans à l’époque des faits. Le mandat transmis par Interpol avait permis de l’arrêter à son arrivée en Chine, après un périple qui l’avait fait passer par le Suriname et les Pays-Bas. Depuis, l’homme est toujours incarcéré en Chine. Le pays n’extradant pas ses ressortissants, c’est vraisemblablement sur place que devrait avoir lieu son procès.
Un motif toujours inconnu
Aujourd’hui, un an après les faits, une interrogation sourde persiste : pourquoi ? Qu’est-ce qui a pu justifier des actes aussi odieux ?
Cette question du mobile est vraisemblablement au cœur de l’enquête en cours, en Chine et en France. Les investigations s’inscrivent dans le cadre de l’entraide pénale internationale : le pays où a eu lieu l’infraction et celui d’origine du suspect s’échangeant mutuellement les informations. Hormis cette donnée qui ralentit les procédures, par la multiplication des intermédiaires et les besoins de traduction, l’enquête suit le même schéma que dans des affaires similaires, à en croire Joël Sollier, procureur général à la cour d’appel de Cayenne. « Nous enquêtons sur la personnalité de l’auteur présumé, ses contacts, son environnement. Nous faisons la même chose pour les victimes pour connaître ce qu’elles faisaient, leurs relations, savoir si elles manipulaient de l’argent. L’objectif est de savoir s’il s’agit d’un crime crapuleux, pour voler de l’argent, ou de quelqu’un qui exerce une vengeance, [exécute] un contrat. » Aujourd’hui, la seconde hypothèse est privilégiée : le suspect ayant laissé sur place une forte somme d’argent. Sur ce point, les enquêteurs français en sauront plus dès qu’ils auront reçu la transcription des auditions du suspect.
Des échanges fluides
« Nous communiquons assez bien avec la Chine, indique Joël Sollier. Nous échangeons des actes et des éléments d’enquête, au fur et à mesure. » Parmi les éléments qui pourraient peser dans la balance : les victimes appartiennent elles aussi à la diaspora chinoise. « Ce serait un assez mauvais signe que la Chine ne réagisse pas quand un membre de sa communauté est touché », reconnaît Joël Sollier.
Dans la perspective d’un procès, celui-ci devrait se dérouler en Chine, l’extradition, on l’a dit, étant impossible vers la France. Cette issue, l’entourage des victimes l’appelle de ses vœux. Une dizaine de membres de la famille Ho-Wen-Tsaï s’est constituée partie civile. Selon Maître Maurice Chow-Chine, qui les représente sur le territoire français, les Ho-Wen-Tsaï ont également porté plainte en Chine, via un avocat inscrit à la fois au barreau français et au barreau chinois. Leur espoir : parvenir à un procès, puis une condamnation pour que justice soit rendue, mais surtout, comprendre et enfin répondre à cette question : « pourquoi ? »
Le reportage de Laurent Marot et Karl Constable, à retrouver ci-dessous.