"Il faut aller vite et bien faire" : à l'Assemblée nationale, Manuel Valls défend la loi d'urgence pour la reconstruction de Mayotte

Le ministre des Outre-mer Manuel Valls en audition à l'Assemblée nationale sur le projet de loi d'urgence pour Mayotte à Paris le 13 janvier 2024.
La commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a entamé l'examen de la loi d'urgence pour Mayotte, lundi 13 janvier, en vue d'une adoption rapide. Mais le gouvernement fait face aux critiques, tous bords politiques confondus.

Près d'un mois jour pour jour après le passage du cyclone Chido sur Mayotte, le long périple parlementaire de la loi d'urgence pour reconstruire l'archipel a enfin commencé. Et son examen s'annonce plus périlleux que prévu pour le gouvernement. "Ça fait un mois, souligne avec insistance l'ancienne ministre et directrice de l'ARS de Mayotte, Dominique Voynet, aujourd'hui députée Les Écologistes. Le projet bancal qui nous est soumis n'est ni un texte présenté en urgence, ni un texte qui traite de l'urgence."

Pour son retour dans les entraves de l'Assemblée nationale, Manuel Valls, ministre des Outre-mer depuis le 23 décembre, s'est fait légèrement bousculer par les députés lors de son audition par la commission des affaires économiques, lundi 13 janvier en fin de journée. 

Lui qui a passé plusieurs jours sur le territoire meurtri et presque entièrement détruit doit aujourd'hui défendre politiquement le projet de loi d'urgence du gouvernement pour reconstruire et refonder Mayotte.

Les bangas anarchiques de Kawéni à nouveau "debout" après le passage de Chido

Ce premier texte (avant la présentation d'un second, qui sera plus fourni et qui visera à réformer plus en profondeur le territoire) "vise à écraser toutes les procédures, toutes les règles, pour aller beaucoup plus vite dans l'aide aux communes, au monde économique, au monde agricole", décrivait l'ancien Premier ministre socialiste sur le plateau de BFMTV dimanche.

Un texte jugé trop "technique"

Dans les grandes lignes, ce projet de loi rédigé quelques jours après la catastrophe prévoit la création d'un établissement public pour coordonner la reconstruction du département, ainsi que plusieurs dispositions pour déroger aux règles d'urbanisme, de mise en concurrence ou encore de prise de décision afin que Mayotte soit remise sur pied le plus rapidement possible.

La loi prévoit aussi de donner plus de marge de manœuvre à l'État, notamment dans la réparation et la construction d'établissements scolaires, lui octroyant des compétences normalement dédiées aux collectivités locales.

François Bayrou et Manuel Valls cet après-midi sur la barge entre Petite-terre et Grande-Terre à Mayotte

Manuel Valls, qui veut se montrer intégralement impliqué sur ce dossier, l'a assuré devant les députés, lundi : "J'ai un mandat clair : celui de refonder Mayotte". Aucun député ne devrait voter contre l'adoption de cette loi nécessaire pour apporter une réponse rapide aux Mahorais et Mahoraises.

Mais les élus de l'Assemblée ne se montrent pas moins sceptiques quant au projet présenté par le gouvernement. Estelle Youssouffa, député Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires (LIOT) de l'archipel, fait partie de ces perplexes. Désignée rapporteure de la loi, elle dénonce un texte trop "technique", rédigé "sans consultation avec les élus locaux" et qui "reste largement muet sur des sujets essentiels comme l'immigration". La parlementaire compte bien peser de tout son poids pour apporter des modifications à la loi d'urgence qui sera examinée lundi 20 janvier en séance publique.

"Le cyclone Chido nous impose de reconstruire Mayotte mieux, correctement, durablement, solidement pour sortir du précipice, pour résister au changement climatique, pour offrir un avenir à nos enfants et construire la prospérité de demain", a-t-elle fait valoir devant les membres de la commission des affaires économiques.

Comme elle, plusieurs représentants des groupes politiques du Palais Bourbon ont critiqué le ministre des Outre-mer sur le manque d'ambition du texte. "Je suis en colère contre ce projet de loi, car il passe à côté du sujet", a rouspété l'autre élue de Mayotte, Anchya Bamana, au nom du groupe Rassemblement national (RN). Le parti d'extrême droite réclame que des mesures fortes contre l'immigration illégale figurent dans cette loi d'urgence. Or, pour éviter de trop politiser les débats parlementaires et risquer un rejet par l'Assemblée nationale, le gouvernement renvoie à plus tard les questions liées à l'immigration (le gouvernement présentera une autre loi programme d'ici deux mois, reprenant les annonces du plan Mayotte debout détaillées par le Premier ministre le 30 décembre).

Éviter les erreurs du passé

À gauche, les élus mettent sur le dos de l'État la situation précaire dans laquelle se trouvait le territoire avant même le passage de Chido, qui n'a fait que révéler les failles du département le plus pauvre de la République. "Je rappelle qu'on ne part pas de rien. Il y a des lois qui s'appliquent sauf qu'elles n'ont pas été mises en œuvre dans nos territoires, s'est emporté le député Gauche démocrate et républicaine de Guyane, Davy Rimane, par ailleurs président de la délégation aux Outre-mer de l'Assemblée. C'est la même chose que j'ai aussi chez moi en Guyane. L'État nous a laissé faire face à cette situation-là".

"Nous ne laisserons pas Mayotte redevenir une île bidonville", a promis Manuel Valls. Pourtant, aucune disposition sur l'habitat insalubre ne figure dans la loi d'urgence, au grand dam des élus, mais aussi du gouvernement, qui a vu un amendement sur ce sujet être jugé irrecevable par l'Assemblée. Pire, la loi d'urgence "pourrait favoriser le rétablissement des bidonvilles et de l'habitat informel", s'est inquiétée Estelle Youssouffa.

"Soit on construit vite et à l'identique pour effacer les traces de la catastrophe en s'asseyant sur les dispositions du Code de l'urbanisme et du Code de l'environnement, soit on prend le temps d'une remise à niveau remédiant aux retards structurels", a pour sa part défendu Dominique Voynet, appelant l'État à trancher.

L'exécutif évolue sur une ligne de crête entre les deux options. "Il faut aller vite et bien faire", a essayé de convaincre le ministre des Outre-mer. "Je comprends l'impatience (...) mais pour bien faire, il faut prendre un tout petit de temps pour ne pas reproduire les erreurs qui ont été commises dans le passé", a-t-il répondu à une élue. 

À Mayotte, les effets de Chido, ajoutés à ceux de la dépression tropicale Dikeledi de ce week-end, se font toujours sentir. Il n'y a plus d'eau, d'électricité et de réseau à M'tsamboro depuis trois jours, a rappelé la députée Estelle Youssouffa. Acoua est toujours isolé depuis le 14 décembre.

Manuel Valls a promis de retourner sur l'archipel d'ici la fin du mois. Entre-temps, il espère qu'il aura convaincu les parlementaires de voter sa loi d'urgence sans que les débats s'éternisent. Avant de se pencher sur un autre gros chantier : la grande loi Mayotte debout, qui devrait être présentée par le gouvernement au mois de mars.