L'histoire a beau se répéter, inlassablement, les députés d'Outre-mer ne s’y feront jamais. Plus les Premiers ministres défilent à la tribune de l'Assemblée nationale pour exposer les grandes lignes de leur politique, plus ils sont frappés par la désillusion et n'espèrent plus grand-chose de l'exécutif en place. Et pourtant, à chaque fois, la déception est bel et bien là. Le discours de François Bayrou n'a pas dérogé à la règle.
Dans une Assemblée nationale bouillonnante, comme c'est le cas lors des grands jours de la vie politique française, le locataire de Matignon a longuement déclamé un discours relativement pauvre en annonces politiques et globalement désordonné sur la forme. Pour s'attirer les faveurs des parlementaires assis face à lui, François Bayrou a annoncé une réouverture du chantier de la tant décriée réforme des retraites adoptée en 2023. Mais sans pour autant réellement satisfaire l'audience.
Sur les territoires ultramarins, le maire de Pau ne s'est pas épanché, même s'il a insisté sur le fait que les Outre-mer représentent désormais "la toute première préoccupation de la nation". Mais ses annonces sont maigres. À peine a-t-il indiqué qu'il convierait prochainement les indépendantistes et non-indépendantistes calédoniens à Paris dans l'espoir de tomber sur un accord sur l'avenir du Caillou d'ici la fin du mois de mars. Il a aussi ouvert le débat sur la gestion de l'immigration à Mayotte, sans évoquer la reconstruction du territoire balayé par le cyclone Chido il y a exactement un mois. Mais c'est tout.
En Outre-mer, "la crise est partout"
"On ne s'attendait pas à mieux", réagit l'élu guadeloupéen Christian Baptiste (Socialistes et apparentés) à sa sortie de l'hémicycle. "Il n'y a rien... Aucune déclaration, rien de consistant." Les uns après les autres, les députés des départements et régions ultramarines, dont la plupart siègent à gauche, dans le groupe centriste Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires (LIOT) ou à l'extrême droite, font part de leur déception aux micros des médias ultramarins. Encore et encore.
"Son discours ne m'a ni ému, ni convaincu", déplore Jiovanny William (Martinique, Socialistes et apparentés). "Le discours du Premier ministre n'était pas convaincant du tout", répète Max Mathiasin (Guadeloupe, LIOT). "J'ai trouvé ça pathétique", attaque sans pincette Jean-Victor Castor (Guyane, Gauche démocrate et républicaine).
Tous attendaient des mesures concrètes alors que les territoires ultramarins n'ont jamais été autant dans une situation aussi urgente qu'aujourd'hui : Mayotte est anéantie, la Nouvelle-Calédonie s'enfonce dans une crise sans fin, la vie chère étouffe les ménages un peu partout en Outre-mer... "En Outre-mer, les besoins sont immenses et la crise est partout", a rappelé à la tribune la députée réunionnaise Émeline K/Bidi, qui prenait la parole au nom de son groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR).
"On attendait certains éléments concernant la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane... Mais pas un mot", regrette Jiovanny William. Les grandes orientations et le financement des territoires éloignés de l'Hexagone feront l'objet d'un nouveau Comité interministériel des Outre-mer (CIOM), à l'image de celui qui s'est tenu en juillet 2023, a annoncé François Bayrou. Mais "le CIOM est une espèce de serpent de mer dont tout le monde parle mais que personne n'a vu", tance Max Mathiasin, qui s'impatiente de plus en plus alors que le précédent chef du gouvernement Michel Barnier avait promis l'organisation d'une telle réunion dès le premier trimestre de cette année. "Il parait que le CIOM est encore reporté d'un trimestre. Par conséquent, on attend", désespère l'élu.
Censure ou pas censure ?
Anchya Bamana (Mayotte, Rassemblement national) aurait, pour sa part, pu se satisfaire de l’obsession de François Bayrou sur la question de l'immigration à Mayotte dans son discours. Mais même elle est ressortie furieuse de la déclaration de politique générale. "Nous n'avons rien à manger, nous n'avons pas d'eau, nous n'avons plus de toit, nous avons tout perdu... Je n'ai pas l'impression que la mesure de la tâche est prise à bras-le-corps par le gouvernement." Son collègue de La Réunion, Philippe Naillet, qui siège avec les Socialistes, trouve de son côté ahurissant que l'homme d'État n'ait pas évoqué la reconstruction de l'archipel, qui doit faire l'objet de deux projets de loi dans les prochains mois.
Finalement, il n'y a que vers le centre que l'on trouve un soupçon de satisfaction. L'élu de la Guadeloupe Olivier Serva, porte-parole du groupe LIOT, s'est retiré avec ses collègues dès la fin du discours pour s'accorder sur leur position face au gouvernement. D'abord, les membres du groupe se disent satisfaits de l'annonce sur les retraites, dont les partenaires sociaux devront négocier les modalités. "C'est un motif de satisfaction pour nous", souligne le Guadeloupéen. Ensuite, la promotion du ministère des Outre-mer comme ministère d'État est un très bon signal, estime-t-il. En revanche, le député balaye tout blanc-seing à l'exécutif : "Nous sommes dans l'opposition", rappelle-t-il.
La question qui est sur toutes les lèvres maintenant que les dés sont jetés est : que faire ? Soutenir le pouvoir en place ? Pas question pour les élus d'Outre-mer croisés à l'Assemblée nationale. Censurer le gouvernement ? Les parlementaires ne sont pas tous du même avis. "On va attendre", avance le Réunionnais Philippe Naillet (Socialistes et apparentés), même s'il se dit tenté de voter la motion de censure déposée par La France insoumise. Certains Ultramarins des groupes GDR et LFI (six élus) ont cosigné le texte qui sera débattu en fin de semaine à l'Assemblée.
Ceux de LIOT ne veulent pas plonger le pays un peu plus dans l'instabilité et préfèrent laisser sa chance à François Bayrou. Le Rassemblement national, lui, ne va pas censurer d'office. Mais il évoque déjà ses lignes rouges. "S'occuper de Mayotte après ces deux cyclones est une ligne rouge", assure Anchya Bamana.
D'autres préfèrent attendre les discussions à venir sur le budget pour se prononcer. Selon le député Christian Baptiste (Guadeloupe, Socialistes et apparentés), le nouveau gouvernement envisagerait de stabiliser le budget dédié aux Outre-mer, voire de l'augmenter un peu. "Nous restons vigilants", dit-il. "Nous attendons maintenant que le budget des Outre-mer soit à un niveau de ministère d'État", réclame Olivier Serva.