"L'esclavage est longtemps resté un tabou dans les Antilles après l'abolition", mais il y a des "résurgences", comme le prouvent les récents déboulonnages de statues de personnages de l'histoire coloniale aux Antilles, explique l'écrivain martiniquais Raphaël Confiant, dans un entretien à l'AFP.
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"Après l'abolition, les Noirs ont décidé d'oublier l'esclavage, ils se sont dit +on va vivre une nouvelle vie+", raconte l'auteur notamment d'"Eloge de la créolité". Mais, remarque l'écrivain de 69 ans, "je ne sais pas si c'est très efficace du point de vue psychanalytique. Il y a des résurgences. En ce moment, il y a des déboulonnages de statues, en Martinique. Est-ce le retour du refoulé dont parle Freud ? C'est possible", analyse-t-il.
"L'esclavage, c'est un truc dont on parle depuis 20-30 ans maximum ouvertement. Quand j'étais gamin, j'ai jamais entendu mes parents en parler", assure-t-il. Avec son nouveau roman "Du Mornes-des-Esses au Djebel" (Caraïbéditions), sur la participation des Antillais à la guerre d'Algérie, Raphaël Confiant évoque ce déni, mais aussi "l'impôt du sang", "une expression inscrite dans l'histoire martiniquaise depuis la fin de l'esclavage" : "Il s'agissait de montrer qu'on était autant Français que les autres".
Regardez cette présentation de "Du Mornes-des-Esses au Djebel" proposée par Caraïbéditions :
Ainsi, "des milliers de Martiniquais ont fait la guerre d'Algérie dans l'armée française", mais "tous étaient loin d'être des Frantz Fanon", cette figure emblématique de la lutte contre l'oppression coloniale engagée aux côtés des Algériens, souligne l'écrivain, qui avait publié en 2017 une "autobiographie imaginée" sur le révolutionnaire martiniquais. Il lui fallait "rétablir une réalité" : "J'ai montré la grande image de Fanon, mais pour un Fanon, il y a des milliers de soldats antillais qui ont combattu du côté du général Massu (qui a reconnu avoir pratiqué la torture en Algérie, ndlr), du général Salan (chef de l'OAS, ndlr), et qui sont revenus médaillés, mutilés ou dans des cercueils", raconte-t-il.
"Je n'ai quasiment rien inventé. Par exemple, la scène où un Algérien qui ne veut pas parler est balancé d'un hélicoptère à 1.000 m d'altitude. L'un d'eux est encore traumatisé par cette scène", explique Raphaël Confiant. Il s'est aussi inspiré de recueils de témoignages d'engagés, et même du vécu de son père pour raconter, à Paris, le racisme antimaghrébin auquel se trouvent confrontés les Antillais souvent confondus avec des Algériens.
"Ils ont signé un engagement, ils arrivent dans un pays dont ils ne connaissent pas la langue, n'ont pas la même religion", et "en plus il y avait du racisme anti noir chez les Algériens", explique celui qui a vécu deux ans en Algérie. "Donc ce n'était pas si facile de se sentir proche des Algériens".
"L'impôt du sang"
Des activistes anticolonialistes ont notamment déboulonné en juillet des statues de Joséphine de Beauharnais, première épouse de Napoléon 1er et native de Martinique, et Pierre Belain d'Esnambuc, qui a conduit l'installation de la colonie française en Martinique en 1635. Des manifestants contestant la figure historique de Victor Schoelcher ont également renversé en mai, à Schoelcher et à Fort-de-France, deux statues de celui qui a décrété l'abolition de l'esclavage le 27 avril 1848."L'esclavage, c'est un truc dont on parle depuis 20-30 ans maximum ouvertement. Quand j'étais gamin, j'ai jamais entendu mes parents en parler", assure-t-il. Avec son nouveau roman "Du Mornes-des-Esses au Djebel" (Caraïbéditions), sur la participation des Antillais à la guerre d'Algérie, Raphaël Confiant évoque ce déni, mais aussi "l'impôt du sang", "une expression inscrite dans l'histoire martiniquaise depuis la fin de l'esclavage" : "Il s'agissait de montrer qu'on était autant Français que les autres".
Regardez cette présentation de "Du Mornes-des-Esses au Djebel" proposée par Caraïbéditions :
"Pas tous des Fanon"
"Je cherche à sauver la mémoire des combattants antillais qui ont payé cet impôt du sang+", insiste l'écrivain. "Car peu de gens le savent, mais les Martiniquais ont participé à toutes les guerres de l'armée française depuis la conquête du Mexique en 1862 par Napoléon III, jusqu'au Mali aujourd'hui", explique l'écrivain. "Jusqu'aux années 50-60, la notion d'impôt du sang était présente. Elle existait encore pendant la guerre d'Algérie. C'est après qu'elle a disparu".Ainsi, "des milliers de Martiniquais ont fait la guerre d'Algérie dans l'armée française", mais "tous étaient loin d'être des Frantz Fanon", cette figure emblématique de la lutte contre l'oppression coloniale engagée aux côtés des Algériens, souligne l'écrivain, qui avait publié en 2017 une "autobiographie imaginée" sur le révolutionnaire martiniquais. Il lui fallait "rétablir une réalité" : "J'ai montré la grande image de Fanon, mais pour un Fanon, il y a des milliers de soldats antillais qui ont combattu du côté du général Massu (qui a reconnu avoir pratiqué la torture en Algérie, ndlr), du général Salan (chef de l'OAS, ndlr), et qui sont revenus médaillés, mutilés ou dans des cercueils", raconte-t-il.
"Montrer les contradictions"
"Il fallait présenter cet aspect des choses, mais aussi montrer les contradictions : certains de ces soldats voyaient bien qu'ils combattaient pour une cause pas totalement juste, et ont déserté", raconte-t-il, notamment "des officiers". Des années après la guerre, l'auteur a pu rencontrer certains de ces Martiniquais qui "se sont révoltés contre leur propre armée". "J'ai pu recueillir leurs témoignages, leurs doutes, leurs interrogations"."Je n'ai quasiment rien inventé. Par exemple, la scène où un Algérien qui ne veut pas parler est balancé d'un hélicoptère à 1.000 m d'altitude. L'un d'eux est encore traumatisé par cette scène", explique Raphaël Confiant. Il s'est aussi inspiré de recueils de témoignages d'engagés, et même du vécu de son père pour raconter, à Paris, le racisme antimaghrébin auquel se trouvent confrontés les Antillais souvent confondus avec des Algériens.
"De simples soldats, des Martiniquais du peuple"
On aurait donc pu penser à une opposition plus massive des Antillais face à la colonisation, que leurs ancêtres ont longtemps vécue dans leur chair. Mais la majorité était "de simples soldats, des appelés, des Martiniquais du peuple, qui n'avaient aucune vision géopolitique", justifie Raphaël Confiant."Ils ont signé un engagement, ils arrivent dans un pays dont ils ne connaissent pas la langue, n'ont pas la même religion", et "en plus il y avait du racisme anti noir chez les Algériens", explique celui qui a vécu deux ans en Algérie. "Donc ce n'était pas si facile de se sentir proche des Algériens".