Depuis dix éditions, l’équipe du Théâtre Point du jour à Lyon orchestre ce rendez-vous où les points de vue d’un artiste croisent ceux d’un journaliste. Histoire de mêler autour d’un thème d’actualité, et le temps d’un spectacle, deux existences, deux exigences professionnelles qui sur le papier n’ont a priori rien à voir les unes avec les autres. A priori seulement.
Pour ce Grand Reporterre #10, l’invitation de créer un spectacle a été lancée à Laetitia Guédon, metteuse en scène d'origine martiniquaise (mais pas que...) et par ailleurs directrice des Plateaux Sauvages, scène théâtrale nichée dans le nord de Paris. Carte blanche donc pour cette dernière qui a non seulement choisi le thème d’actualité (le métissage) mais aussi l’invitée, sa partenaire de jeu pour ces deux soirs de représentation. En l’occurrence, issue du monde des médias : Claire Chazal présentatrice du journal télévisé pendant près de 25 ans sur TF1 puis journaliste animatrice d’émissions culturelles à France Télévisions.
Auteur.e.s de points de vue
Le choix peut surprendre mais tout le sel de cette aventure théâtrale, c’est bien évidemment les points de rencontre entre les deux femmes malgré les fossés qui les séparent : écart générationnel, de milieu, d’origines, professionnel… Mais de vrais points communs se feront jour autour d’autrices et d’auteurs de littérature : Maryse Condé, Delphine Horvilleur, Christian Bobin, Maya Angelou… Tout le spectacle sera d’ailleurs ponctué d’extraits de textes de ces écrivains.
"À la table du Tout-Monde"
Très rapidement, lumière se fait sur un décor de tables dressées avec, pêle-mêle, des photos de famille, des objets - dont on comprend qu’ils appellent des souvenirs pour l’une et l’autre - et de-ci, de-là des petits plats. Laetitia Guédon ne s’en cache pas chez elle, la nourriture représente énormément de choses et est liée à des moments de joies et d’engueulades. Ce qu’elle a aussi voulu partager avec le public venu en nombre au Théâtre Point du jour. D’ailleurs, ça n’est pas pour rien, Laetitia Guédon a intitulé cette édition de Grand Reporterre "À la table du Tout-Monde", conciliant son attrait pour la bonne chère et le concept d’Edouard Glissant…
Chaque acte du spectacle est donc marqué par une petite dégustation en relation avec un souvenir. Qu’il s’agisse d’une olive qui marque pour Laetitia Guédon le souvenir de l’enterrement de sa mère ou le piment qui marque le souvenir de son père.
Deux vies, une rencontre
En cours de spectacle, les présentations se précisent : pour Claire Chazal, originaire de l’Auvergne, issue de parents ouvriers, c’est l’évocation d’une enfance avec, pour reprendre ses termes, une "homogénéité" d’origines et d’entourage où l’ennui prenait le pas et dont le principal refuge était la lecture.
Pour Laetitia Guédon, métissage n’est pas un mot en l’air : outre ses origines martiniquaises par son père (le peintre et musicien Henry Guédon) qui portent déjà en elles toute la richesse du mélange et de la mixité contraintes par l’Histoire, elle est aussi empreinte de culture judaïque par sa mère, juive marocaine.
Entre hallah et pain au beurre
À la maison, dans son enfance à Paris, Laetitia Guédon a constamment navigué entre ces eaux-là : le shabbat du samedi et les rites et traditions juives et les allers-retours en Martinique et tout le décorum antillais. Une fusion improbable entre deux mondes, raconte-t-elle sur la scène lyonnaise notamment dans un texte écrit par elle pour l’occasion.
Elle y raconte avec beaucoup d’émotion la rencontre entre ses deux parents, le coup de foudre mutuel entre Sonia et Henry… Rencontre peut-être impossible aujourd’hui en ces temps de repli sur soi (?). Écoutez un extrait de ce texte dans lequel Laetitia Guédon rend plus particulièrement hommage à son père, l’artiste Henry Guédon :
Rendez-vous réussi
Il est toujours réjouissant de voir des univers se croiser et la jonction entre celui de Laetitia Guédon, multiculturel et foisonnant artistiquement et celui de Claire Chazal, composé par sa fibre journalistique et son amour pour les cultures. Si Grand Reporterre #10 "À la table du Tout-Monde" a été conçu comme un moment éphémère fait de deux représentations, il n’est pas exclu de revoir les deux femmes de nouveau ensemble pour réitérer cette rencontre qui a reçu un très chaleureux accueil mérité dans ce Théâtre Point du jour de Lyon.
D’ailleurs si vous avez la chance d’être dans cette région-ci de France, la deuxième représentation sera ce vendredi soir 17 janvier, venez vous mettre à cette Table du Tout-Monde : vous passerez un moment enlevé, profond et délicieux.