"Libérez les prisonniers politiques de la Kanaky !", "Et vive la lutte du peuple kanak !". En cette glaciale matinée de janvier, sur le parvis du tribunal judiciaire de Paris, une centaine de manifestants a bravé le froid pour venir soutenir le président du Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS), Christian Tein. Enveloppés dans leurs doudounes et coiffés de leurs bonnets, ces quelques membres d'associations, de syndicats et de mouvements politiques de gauche ont répondu à l'appel du Collectif Solidarité Kanaky, mobilisé pour la cause indépendantiste kanak.
Depuis le mois de juin, Christian Tein est incarcéré dans l'Hexagone. À Mulhouse, plus précisément. La justice l'accuse d'avoir orchestré les violentes émeutes qui ont éclaté en Nouvelle-Calédonie au mois de mai. La Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), dont il est le leader, s'est insurgée contre l'examen par le Parlement de la réforme constitutionnelle visant à dégeler le corps électoral calédonien. Lui et plusieurs autres militants ont été arrêtés et envoyés dans l'Hexagone. Ils attendent encore leur procès.
Si les manifestants se sont réunis devant l'immense palais de justice de la capitale mardi 21 janvier, ce n'est pourtant pas dans le cadre de cette longue et délicate procédure judiciaire – la Cour de Cassation doit statuer le 28 janvier sur le dépaysement ou non du dossier. C'est plutôt pour une affaire subalterne, mais tout de même liée aux tensions qui traversent la société calédonienne.
"Le chef des terroristes"
Depuis sa cellule, Christian Tein a porté plainte contre Sonia Backès, présidente de la Province Sud calédonienne. Sa grande rivale politique (elle est une des têtes du camp non-indépendantiste). En septembre 2024, juste après l'élection de M. Tein comme président du FLNKS, celle qui fut secrétaire d'État à la Citoyenneté entre 2022 et 2023 a estimé à la radio que le kanak était un "terroriste".
"Le FNLKS (...) s’est divisé en deux. Il y a normalement quatre partis. Il y en a deux qui sont sortis et deux qui ont élu le chef des terroristes comme président", avait-elle déclaré au micro de RTL le 3 septembre 2024. Pour le militant indépendantiste, les propos de l'élue calédonienne relèvent de la diffamation. Il a donc saisi la justice.
Sur le parvis du tribunal, les soutiens du leader nationaliste ne décolèrent pas. "Les indépendantistes kanak ne sont pas des terroristes", clame Michel Lolo, écharpe avec l'inscription "Kanaky" autour du cou. L'homme, président-fondateur de l'association Les Enfants et Amis de la Kanaky, a rejoint le collectif pour soutenir celui qu'il considère être un "prisonnier politique".
La libération des prisonniers
Le député La France insoumise Thomas Portes (Seine-Saint-Denis) a fait le déplacement pour porter une parole politique dans ce rassemblement militant. "Christian Tein est victime d'une chasse organisée par l'État français", estime-t-il. "Aujourd'hui, on n'est pas là en soutien d'un terroriste, on soutient un militant indépendantiste qui se bat pour que les droits de son peuple soient respectés."
Mégaphone à la main, la porte-parole du Collectif Solidarité Kanaky fustige la politique perçue comme colonialiste du pays. "Quand les peuples colonisés se lèvent pour leur liberté, systématiquement, que ce soit leurs leaders, les militants, la population (...), [ils sont] toujours accusés par la puissance coloniale (...) de terrorisme. C'est inacceptable."
L'attroupement sur le parvis du tribunal n'est pourtant que symbolique. L'audience du jour, la première de ce procès, ne sera que technique : il s'agit là de déterminer le calendrier du parcours judiciaire de l'affaire. Surtout, les manifestants réclament la libération des prisonniers kanak enfermés dans l'Hexagone, l'abandon des charges qui pèsent contre eux ainsi que leur rapatriement sur le Caillou. Clairement, l'affaire de la diffamation n'aboutira à rien de tout ça.
"Il n'est pas accusé de terrorisme"
Dans l'enceinte de la 17ᵉ chambre correctionnelle, où sont jugées les affaires liées à la diffamation, l'atmosphère est beaucoup plus apaisée qu'à l'extérieur. Quelques militants indépendantistes sont assis sur les bancs du public pour suivre l'audience.
Absente, Sonia Backès a tout de même tenté de se défendre dans un post Facebook publié lundi. "Une note du CRGN (Centre de recherche de la Gendarmerie Nationale), directement rattaché au Ministère de l’Intérieur, vient d’être publiée qualifiant de 'terrorisme d’État' les actions de la CCAT". Ses propos tenus sur RTL sont donc justifiés, pense-t-elle. La publication, qui existe bel et bien, précise néanmoins que son contenu "doit être considéré comme propre à son auteur et ne saurait engager la responsabilité du CRGN".
François Roux, l'avocat de Christian Tein, précise : "J'attends que Mme Backès, qui l'accuse de terrorisme, nous explique sur quelles bases. Il n'est pas accusé de terrorisme. Il n'est juridiquement pas accusé de terrorisme." Ni la CCAT, d'ailleurs, qui ne figure sur aucune liste d'organisations terroristes.
L'affaire est engagée. Il fallait qu'elle le soit. Il faut maintenant que la justice tranche sur cette question qui est pour nous une diffamation. (...) On ne peut pas impunément traiter quelqu'un, qui que ce soit, de "chef des terroristes".
Me François Roux, avocat de Christian Tein
Lors de l'audience express de mardi, la juge a fixé plusieurs dates-étapes de ce procès en diffamation. Le 23 septembre, elle a demandé à ce que les deux parties – Christian Tein et Sonia Backès – soient présents. Ils devraient intervenir en visioconférence en cas d'empêchement (si l'indépendantiste est toujours incarcéré et si la non-indépendantiste a des obligations en Nouvelle-Calédonie). Les avocats des deux camps plaideront le 15 janvier 2026 avant une décision attendue les jours, voire les semaines, suivants. "Nous sommes là le premier jour et nous serons là le dernier jour, promet, bien emmitouflé, Michel Lolo. Jusqu'à l'indépendance de notre pays Kanaky."