Loi contre la vie chère en Outre-mer : après son adoption par l'Assemblée nationale, le parcours incertain du texte au Sénat

Patrick Kanner, sénateur du Nord et président du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) au Sénat.
La proposition de loi socialiste défendue par la députée martiniquaise Béatrice Bellay doit maintenant être envoyée au Sénat avant d'entrer en vigueur. Mais les obstacles sont nombreux. L'avenir du texte est entre les mains des sénateurs.

Jour de fête pour les socialistes. Durant leur journée parlementaire à l'Assemblée nationale, jeudi 23 janvier, les députés du groupe Socialistes et apparentés sont parvenus à faire adopter cinq textes. Parmi eux, celui sur la lutte contre la vie chère en Outre-mer, porté par l'élue martiniquaise Béatrice Bellay. Mais, passée l'euphorie de la victoire politique, une question se pose désormais : et maintenant ?

Le bouclier qualité-prix (BQP) va-t-il être révisé dans les prochains jours, permettant aux Ultramarins d'acheter leurs aliments moins chers ? Va-t-il aussi concerner la téléphonie, la parapharmacie ou encore les pièces détachées dans le secteur automobile ? Les grands groupes qui ne publient pas leurs comptes vont-ils voir leurs sanctions renforcées ?

Rien de tout ça. Avant d'entrer en vigueur, les mesures adoptées jeudi au Palais Bourbon devront d'abord passer entre les mains des sénateurs. Et, pour cela, il faudra que le Sénat adopte la même version du texte que celui défendu par Béatrice Bellay. Ce qui est loin d'être acquis. L'avenir de la loi contre la vie chère en Outre-mer est donc incertain.

Des textes à foison

Première incertitude : quand le Sénat se saisira-t-il du texte ? Contrairement à l'Assemblée nationale, où elles durent toute une journée, les niches parlementaires des groupes politiques sont moins denses au Sénat car elles s'étalent sur plusieurs demi-journées. 

Les prochaines fois que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER, composé de membres du Parti socialiste) pourra décider de l'ordre du jour au Sénat, ce sera l'après-midi du mercredi 5 mars, après la séance de questions au gouvernement, puis une nouvelle fois l'après-midi du jeudi 20 mars, celui du 15 mai, ainsi que la matinée du 12 juin. Soit quatre demi-journées avant la fin de la session parlementaire.

Ce sera donc aux sénateurs du groupe SER et à son président, Patrick Kanner, de déterminer quels textes ils décident d'examiner. Mais rien ne dit que la proposition de loi contre la vie chère votée par l'Assemblée nationale jeudi y figurera. D'abord parce que les sénateurs ont à cœur, eux aussi, de défendre leurs propres textes. D'ailleurs, l'ancien ministre des Outre-mer et actuel représentant de la Guadeloupe, Victorin Lurel, a déposé en décembre sa proposition visant à renforcer le droit de la concurrence et de la régulation économique en Outre-mer et compte bien la défendre prochainement. 

Ensuite, parce que l'Assemblée nationale a adopté plusieurs lois lors de la journée dédiée aux socialistes, jeudi. En plus de celle contre la vie chère en Outre-mer, les députés ont donné le feu vert au repas à 1 € dans les Crous, au nombre minimum de soignants dans les hôpitaux ou encore à un texte luttant contre les pannes d'ascenseurs... Le Sénat et le groupe SER ont donc l'embarras du choix. Tous ne pourront sûrement pas être examinés.

Appel aux sénateurs

Le problème est que, si le Sénat ne s'empare pas de la loi défendue par Béatrice Bellay, le texte pourrait bien tomber dans les oubliettes parlementaires. C'est ce qui est arrivé au texte du député de la Guadeloupe Elie Califer, lui aussi socialiste, qui avait fait voter à l'Assemblée une loi pour la reconnaissance du rôle de l'État dans le scandale du chlordécone aux Antilles en février 2024. Depuis, son parcours législatif a été stoppé net. L'entourage du Guadeloupéen reste néanmoins optimiste et espère la voir apparaître dans l'agenda sénatorial en 2025. "Pour le moment, on attend", nous confie-t-on.

Cela dit, la loi chlordécone était surtout symbolique. Celle de Béatrice Bellay propose des mesures d'urgence alors que la question de la vie chère est redevenue un sujet pressant depuis la mobilisation massive des Martiniquais en fin d'année dernière. Le Sénat pourrait donc être plus enclin à privilégier son examen.

La députée de Martinique Béatrice Bellay, porte-parole du groupe Socialistes et apparentés à l'Assemblée nationale.

L'entourage de la députée de Martinique se veut pressant : "Il faut que ce soit repris dans un délai très bref". Et pour cela, il espère qu'une personnalité ultramarine du groupe SER s'emparera rapidement de la loi pour la faire avancer dans son parcours législatif. "Je compte naturellement sur mes collègues, et singulièrement ma collègue martiniquaise Catherine Conconne, pour pousser ce texte", a dit Béatrice Bellay sur l'antenne de Martinique la 1ère, jeudi.

D'autres sénateurs du groupe SER pourraient aussi être approchés pour porter cette proposition au Palais du Luxembourg : la Réunionnaise Audrey Bélim, ainsi que l'élu du Val-d'Oise Rachid Temal, sensible aux sujets ultramarins. Autre possibilité : que le gouvernement lui-même propose ce texte à l'ordre du jour du Sénat lors de ses semaines dédiées.

Le détricotage par le Sénat

Si (et seulement si) la loi contre la vie chère en Outre-mer trouve une place dans l'agenda du Sénat, son avenir n'est toutefois pas assuré. Car, avec une majorité d'élus de droite et du centre, le texte pourrait tout bonnement perdre de sa substance. "Il se peut que ce texte soit complètement décousu, détricoté" par les sénateurs, a averti le député Max Mathiasin (Guadeloupe, Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires) jeudi à sa sortie de l'Hémicycle.

À l'Assemblée nationale, les membres des groupes centristes et de droite ont largement soutenu l'initiative parlementaire contre la vie chère. Mais ils ont aussi tenté de limiter l'ampleur des restrictions prévues par le texte, de peur de faire fuir les investisseurs et entrepreneurs des territoires ultramarins. Minoritaires au Palais Bourbon, ils pourraient voir leurs amendements repris par les sénateurs. Ce qui ne serait pas pour déplaire au gouvernement, lui aussi circonspect sur l'impact que pourrait avoir la loi sur les acteurs économiques.

"Je l'ai dit et je le réaffirme : ceux qui souhaiteront retirer la force d'intérêt [de la proposition de loi] trahiront les 2,8 millions d'habitants des pays des océans qui attendent de nous et de l'État de la protection", a d'ores et déjà prévenu Béatrice Bellay au micro de Martinique la 1ère.

La députée aura néanmoins l'occasion de revenir sur le texte s'il est réécrit par le Sénat car l'Assemblée devra une nouvelle fois se prononcer dessus. Mais la loi risque de traîner entre les deux chambres du Parlement. Députés et sénateurs devront donc trouver des compromis s'ils veulent absolument que le texte contre la vie chère soit adopté dans les meilleurs délais et ainsi soulager le portefeuille des Ultramarins.