Marcel Ravin : "La cuisine que je propose aujourd’hui parle à tout le monde, car je suis Créole" #MaParole

Marcel Ravin
Artisan des deux étoiles au guide Michelin décrochées par le Blue Bay à Monaco, Marcel Ravin qui a grandi au Diamant en Martinique, a délibérément donné à sa cuisine une touche personnelle caribéenne. Dans #MaParole, le chef retrace son parcours étoilé.

Il s’est forgé un destin à la force du poignet. Marcel Ravin, né en 1969 en Martinique, a certes grandi dans un environnement dans lequel la cuisine a son importance, mais rien ne lui a été donné. Il lui a fallu se battre dans ce milieu très difficile de la gastronomie française pour acquérir son statut de chef. Et ensuite, il a fallu persévérer et innover pour obtenir deux étoiles au guide Michelin. Marcel Ravin revient dans #MaParole sur son parcours de chef étoilé.

1Yvanesse

Marcel Ravin aime évoquer les marmites de sa grand-mère Yvanesse qui mijotaient pendant un bon moment et dans lesquelles, il aimait tremper son doigt. "Ça sentait tellement bon", se rappelle-t-il avec nostalgie. Yvanesse possédait son jardin créole tout comme Marcel Ravin aujourd’hui à Monaco près des restaurants où il déploie son imagination et son savoir-faire. Son grand-père Noreta auquel il consacre un chapitre dans son livre D’un rocher à l’autre, "était habité par le contact de la nature, il avait la connaissance du temps" se remémore-t-il.

À la maison en Martinique, on vit en auto-suffisance. Le potager et la pêche alimentent la famille. Marcel rêve de football, mais pour son père taxi, il y a trop peu d’élus pour que son fils se lance dans pareille aventure. Alors le jeune homme se cherche, mais pas bien longtemps. Il se souvient dans #MaParole du gîte dénommé Le bon coin tranquille créé par sa mère qui faisait aussi table d’hôte au Diamant. "C’étaient les prémisses de mon envie de cuisine", dit-il. 

Et puis, en se rendant à l’école, il observe les petits restaurants et se dit qu’il aimerait bien faire ce métier "qui rend les gens heureux". L’école hôtelière vient de fermer en Martinique alors il commence son apprentissage dans des restaurants avant de passer le CAP. "On n’apprenait que des recettes de métropole, rien de chez nous" se désole le chef.

Ses parents, surtout sa mère, le poussent ensuite à partir se former dans l’Hexagone. Marcel Ravin débarque tout jeune à Paris à 17 ans. À l’arrivée à l’aéroport, il se sent perdu et effrayé par la grande ville, le métro et le froid. Heureusement, son grand frère est là qui le guide. Le jeune homme trouve une place au château relai d’Isembourg en Alsace. Mais pour arriver sur place, lui qui prend le train pour la première fois de sa vie, manque son arrêt à Strasbourg. Il arrive en Allemagne, revient à Strasbourg et se voit obligé de prendre un taxi et de dépenser une grande partie de ses maigres économies, 4000 francs de l’époque.  

Au début, ne sachant "pas grand-chose à la gastronomie locale", ne connaissant pas, par exemple les artichauts, il se fait rabrouer par le chef qui le surnomme "chauffe Marcel". L’apprentissage est brutal. Malgré le racisme, la bêtise et le manque de confort, Marcel Ravin observe et note dans un petit cahier toutes ses découvertes.

Après neuf mois en Alsace, direction La Lorraine, le jeune homme se trouve employé au Frantel, "un étoilé" de Nancy. Les débuts sont particulièrement durs. Alors qu’il était logé — certes en dortoir – en Alsace, il doit se trouver un studio. La seule chose qu’il parvient à dégoter, c’est une place en foyer Sonacotra. "C’était très violent, se souvient-il, il y avait des bagarres tous les soirs, du sang". Le jeune cuistot doit se lever très tôt et prendre sa douche au travail sans être vu. Heureusement, après quelque temps, le gardien du foyer Sonacotra l’aide à trouver un logement étudiant bien plus tranquille.

Le chef étoilé Martiniquais Marcel Ravin, chef du restaurant gastronomique le Blue Bay à Monaco.

2Chef à Monaco

Après Nancy, Marcel Ravin devient un temps sous-chef dans un restaurant de Metz. Puis, il rentre en Martinique. C’était l’époque de la défiscalisation et de la construction d’hôtels. Le chef s’occupe du restaurant d'un établissement d’une quarantaine de chambres. Il a la légitimité de celui qui est allé se former ailleurs. Mais Marcel Ravin sent qu’il lui manque encore des connaissances, en particulier en management et en gestion.

Au bout de trois ans, il décide de revenir dans l’Hexagone pour affiner et approfondir ses connaissances. Après un passage à Nancy, il est embauché à Lyon dans l’une des grandes villes de la gastronomie, en tant que sous-chef du Méridien Part-Dieu à l’Arc-en-ciel. Les débuts sont rudes. Le chef Christian Lherme ne veut pas de lui. Mais finalement, Marcel Ravin parvient à se rendre indispensable. Au bout de cinq ans, Christian Lherme devient son ami et le coopte pour entrer au Méridien de Bruxelles en tant que chef.

Marcel Ravin poursuit sa quête de savoirs culinaires en Belgique. Les débuts sont difficiles. "Le chef précédent avait tout plaqué", raconte-t-il dans #MaParole. Le restaurant avait une notre de 16 au Gault et Millau. À son arrivée, elle tombe à 12. Plusieurs membres de l’équipe quittent le navire. Mais Marcel Ravin remonte la pente et termine avec une note de 15. C’est là qu’on lui propose de prendre les rênes de la cuisine du prestigieux Monte-Carlo Bay Hôtel et Resort. 

Les chefs étoilés Marcel Ravin et Louis-Philippe Vigilant dressent un plat lors d'un dîner d'exception à Monaco

Monaco, il en avait rêvé. Un jour en vacances à Fréjus, il était parti avec sa petite Clio bleu pour découvrir le restaurant d’Alain Ducasse, le Louis XV. Il espérait faire une photo du maître. Ce jour-là, il ne l’a pas rencontré, mais devant tant de luxe, il s’est juré qu’il reviendrait un jour à Monaco pour de vrai. 

À partir de 2005, à Monaco, le chef fait des merveilles. Il creuse patiemment son sillon, commence peu à peu à mettre sa touche personnelle. Il écoute les conseils des grands chefs tels Alain Ducasse qui lui recommande de revenir à ses origines martiniquaises. Il devient cultivateur aussi et met au point un jardin créole comme celui de sa grand-mère pour fournir ses restaurants en fruits et légumes frais. Dans son jardin, on trouve de la canne à sucre, des patates douces, des cacahuètes, des christophines ou encore de la dachine.

En 2014, après un voyage au Japon pour faire découvrir sa cuisine, il se lance dans la quête d’une première étoile. Il embarque ses plus proches collaborateurs en Martinique, leur fait découvrir sa gastronomie. Et c’est parti ! Pas à pas, il crée sa propre signature, proche de la nature et de l’essentiel, tellement raffinée et subtile. En 2015, bingo, il remporte sa première étoile. Mais comme Marcel Ravin est du genre obstinée, en 2023, double bingo, il confirme son talent avec une deuxième étoile. À Monaco, Marcel Ravin est désormais une célébrité. Il accueille à sa table le prince de Monaco que l'on nomme sur place "Monseigneur", les footballeurs les plus connus comme Zidane et Mbappé et des stars en pagaille.

Entre-temps, en 2021, Marcel Ravin est victime d’une expérience très désagréable. A Lyon, on lui refuse l'entrée à la soirée des chefs avec Emmanuel Macron alors qu’il avait dans la main une invitation. Il se fait photographier dans un troquet du coin, mangeant une andouillette et poste le récit de sa mésaventure sur les réseaux sociaux. La photo devient virale. De nombreux journalistes cherchent à le contacter, mais Marcel Ravin préfère rester muet après son coup de gueule. Dans #MaParole, il revient sur cette affaire. La blessure est là, mais cela n’empêche pas le chef de se projeter vers la deuxième étoile qu’il remporte brillamment.

Cela fait 20 ans maintenant que Marcel Ravin est arrivé à Monaco. Sa cuisine s’exporte au Grand réfectoire à Lyon ainsi qu'à l’Oursin à Saint-Martin où il a mis sa patte sur les cartes et les menus. Marcel Ravin fait désormais partie de ces grands chefs qui font rêver les cuisiniers en herbe et ce n’est pas près de s’arrêter.

Marcel Ravin et son équipe pour le nouveau challenge de restaurant gastronomique

 ♦♦♦ Marcel Ravin en 5 dates ♦♦

►19 décembre 1969

Naissance au Lamentin en Martinique

►1987

Début de sa carrière culinaire en Alsace

►2005

Arrivée à Monaco en tant que chef exécutif du restaurant Blue Bay

►2015

Obtention de sa première étoile au Guide Michelin

►22 mars 2022

Obtention de sa deuxième étoile au Guide Michelin