Clarisse Taron a livré son bilan sur Martinique 1ère radio (le 6 janvier dernier), dans le journal de Grégory Gabourg à 7 heures, après 3 ans de mission à Fort-de-France. La procureure s’est exprimée sur plusieurs dossiers lesquels ont marqué son mandat : la hausse de la criminalité sur l’île, les trafics de drogues, l'insuffisance des moyens de la justice et aussi le cas du leader du RPPRAC actuellement en détention au centre pénitentiaire de Ducos.
En préambule, la magistrate a jugé "riche" son expérience martiniquaise qui s'achève.
Riche, parce que c'est un territoire passionnant, complexe, où j'ai énormément appris et aussi enduré pas mal de choses. Je pense que je sors très certainement changée de cette expérience.
Clarisse Taron
- Vous avez dû gérer les émeutes de 2021, peu de temps après votre arrivée. Trois ans après, rebelote, avec en toile de fond, le cas Rodrigue Petitot, le leader du RPPRAC, actuellement en détention provisoire pour "intimidation d’élus et violation de domicile", après son intrusion à la résidence préfectorale. Il est si dangereux que cela ?
Heureusement qu’en prison il n’y a pas que des gens dangereux. Il y a des gens qui violent la loi et qui en le faisant de manière répétée, finissent par être incarcérés. C’est ce qui est arrivé à Rodrigue Petito, au-delà du combat mené contre la vie chère que nous comprenons tous, parce que nous vivons tous ici, et nous faisons tous des courses. Si ce combat est légitime, c'était la manière de le mener qui a été à l'origine d'infractions nombreuses, qu'on ne pouvait pas laisser passer (…). La justice est passée, on est dans un Etat démocratique, la défense s’est exprimée et Dieu sait qu’elle s’est exprimée de manière offensive.
CT
- Il y a aussi les homicides en cascade... entre 25 et 26 ces trois dernières années. Au-delà des chiffres qui restent préoccupants, c’est le caractère de certaines affaires qui interpelle, avec des modes opératoires relevant davantage de la criminalité organisée que de la "petite" délinquance. On est clairement passé à un autre stade ?
"On a un usage absolument délirant d'armes à feu"
On a terminé l’année avec 29 homicides, ce qui est un triste record pour 2024. Oui, il y a de la criminalité organisée ici et c'est d'ailleurs pour cela que la Martinique est le siège de la seule juridiction régionale spécialisée en matière de criminalité organisée pour l'Outre-mer. On a des règlements de comptes, on a un usage absolument délirant d'armes à feu et on a une banalisation de la violence qui ne peut qu'interpeller, à la fois dans la criminalité organisée, mais aussi dans ce qu'on appelle des meurtres crapuleux. [Exemple], je veux voler une moto, je tire… ce qui est devenu extrêmement courant ici, ce que je n'avais pas vu dans mes autres postes, en tout cas pas à cette mesure.
- Ce sont les conséquences du trafic de drogue ?
Je dirais que c'est rattaché pour 1/3 à peu près [les homicides] au trafic de drogue. C'est aussi rattaché à la circulation des armes dans la Caraïbe et là, il s'agit uniquement d'une question de géographie. Cela signifie que nous sommes une île entre les États-Unis et le Brésil, des pays où les armes circulent facilement et avec par définition, des côtes tout autour d'un petit territoire, côtes sur lesquelles peuvent rentrer les stupéfiants et les armes assez facilement, malgré les efforts qui sont déployés par les forces de sécurité.
CT
Clarisse Taron a également été interrogée sur le "manque de moyens" que déplore le barreau de Fort-de-France, comme dans la plupart des autres territoires de France.
- Clarisse Taron, vous confirmez : la justice n’a pas les moyens dont elle devrait disposer ? Que vous a-t-il manqué, concrètement ?
J'ai envie de vous dire tout ! J’ai toujours dit que si on était en Allemagne, nous ne serions pas 15 au parquet mais 42 proportionnellement. Il en est de même pour le budget que la France consacre à sa justice par rapport à son produit intérieur brut ; il est de 100 euros à peu près en Allemagne et de 70 en France. Donc nous faisons avec les moyens que nous avons, mais pas comme je voudrais et c'est vrai qu’on a coutume de dire qu'il ne s'agit pas que d'une question de moyens. Sans doute qu'on doit travailler mieux mais travailler plus, je vois mal comment on ferait (…).
"On a du mal à voir arriver les postes qu'on demande"
Je pense juste que le ministère même par rapport à d'autres ressorts, ne prend pas suffisamment en compte la gravité des infractions qui sont commises ici. C’est-à-dire que quand ailleurs vous traitez un cambriolage et qu'ici vous traitez un meurtre, il est bien évident que cela prend plus de temps, plus de moyens, plus de moyens techniques et financiers aussi, que de mener une enquête dans une affaire grave. Et ce sont des choses que le procureur général et moi-même répétons sans cesse à la direction des services judiciaires. Elle commence à l'entendre, mais dans une période budgétairement très contrainte pour le pays, on a du mal à voir arriver les postes qu'on demande.
Clarisse Taron
La procureure désormais affectée à Strasbourg, connaît son successeur. Il s’agit de Yann Le Bris, qui arrive de Mayotte où il était en poste depuis janvier 2021.
À SUIVRE : Clarisse Taron est l'invitée ce mercredi 15 janvier 2025 à 20h sur Martinique la 1ère télévision, dans l'émission "Politik Péyi", présentée par Corinne Jean-Joseph.