Mobilisation contre la vie chère en Martinique : 16 ans après la grande grève, la "lutte" continue, mais la méthode est plus radicale

Manifestation contre la vie chère aux abords du centre commercial de Dillon (Fort-de-France).
5 février 2009 – 5 février 2025, soit 16 ans après une mobilisation sans précédent contre la vie chère en Martinique, "rien n’est réglé" déplore la majorité des consommateurs. Le sujet étant toujours d’actualité, une nouvelle manière de protester contre les prix exorbitants a été initiée par une association citoyenne baptisée le RPPRAC. Mais ses méthodes et sa légitimité fracturent l’opinion depuis 6 mois.

Remettre sur la table un sujet qui fait sens était inéluctable, tant les consommateurs de l’île se plaignent sans cesse de l’inflation. Certes, cette préoccupation n’est pas l’apanage de la seule Martinique, néanmoins, sa position géographique dans le bassin atlantique rend encore plus prégnante la question, en termes de coûts d’approche des produits importés.

C’est le cas en particulier des denrées alimentaires, mais aussi d’autres biens de consommation incontournables dans la plupart des foyers tels que les voitures, faute d’un transport routier et maritime optimal sur l’ensemble du territoire.

2009 : un goût d’insatisfaction ?

En 2009, il faut bien reconnaître qu’à l’issue de plus d’un mois de mobilisation, il y avait comme un goût d’insatisfaction, malgré le protocole signé le 14 mars, entre les différents protagonistes.

Deux accords-cadres ont été signés. Le premier, en date du 3 mars 2009, prévoit une augmentation de 200 euros nets mensuels pour les salaires du secteur privé jusqu’à 1,4 smic. Le second, en date du 6 mars 2009, prévoit une réduction des prix de 20% sur 400 produits de première nécessité. Ces deux textes ont fait l’objet d’une poursuite des négociations en commission technique, en vue d’affiner les orientations générales fixées. La signature d’un protocole de suspension de conflit, reprenant les principaux points d’accord est intervenue le 14 mars 2009.

Lettre de l’Institut d’émission N°202 – mars 2009

Le RPPRAC rappelle son mot d'ordre lors de son défilé du vendredi 25 octobre 2024 entre Fort-de-France et le Lamentin.

Une valse tenace des étiquettes 16 ans après

Certes, des tarifs ont été revus à la baisse sur plusieurs produits de première nécessité, des contrôles inopinés ont été effectués et un observatoire des prix a aussi été créé.

Au niveau de l’État, plusieurs mesures "visant à répondre aux différentes revendications", ont été annoncées par le Président de la République de l’époque en personne, Nicolas Sarkozy.
Notamment :
des aménagements de la Loi pour le Développement Economique de l’Outre-Mer (LODEOM) ;
l’amélioration des conditions de la concurrence ;
des mesures pour une meilleure répartition des richesses au sein de l’entreprise et l’augmentation des revenus des ménages ;
le doublement 3 ans après du nombre de jeunes ultramarins formés dans le cadre du SMA (Service Militaire Adapté) ;
la mise en œuvre d’une mission d’inspection examinant les mécanismes de fixation des prix des carburants Outre-mer ; ou encore,
un plan de relance de 50 millions d’euros pour le développement des secteurs prioritaires (énergies renouvelables, agro-nutrition et nouvelles technologies).
Mais le fait est que la valse des étiquettes n’a pas cessé.

Autre ressenti nourri par certains consommateurs à tort ou à raison, "une forme d’inertie" selon eux de la part des acteurs (commerçants, élus, syndicats, associations de consommateurs…). Autrement dit, tous responsables 16 ans après ?

Le constat est ancien et invariable : le coût de la vie est nettement plus important Outre-mer par rapport à l'Hexagone, alors même que ces territoires connaissent les taux de pauvreté les plus élevés. Cette double contrainte fait que la vie chère et la question du pouvoir d'achat sont au centre des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens ultramarins. Les évènements en Martinique ont relancé l'urgence de réponses structurelles à cette problématique récurrente et commune à tous les Outre-mer.

senat.fr/travaux-parlementaires

Le RPPRAC sort du bois

C’est dans ce contexte que le RPPRAC (Rassemblement pour la Protection des Peuples et des Ressources Afro-Caribéens) est entré dans la danse le 1er septembre 2024. Son narratif est implacable : "rien n’a changé" depuis février 2009. Et c’est ainsi que l’association a suscité une nouvelle espérance, en exigeant "que les prix en Martinique soient alignés sur ceux de la France hexagonale".

Le RPPRAC utilise alors massivement les réseaux sociaux comme instruments de propagande afin de remobiliser rapidement les Martiniquais pour "une cause juste" aux yeux d’une grande majorité de la population et après des "injonctions" lancées sur ces mêmes réseaux, deux mois auparavant.

Mouvement plus radical qu’en 2009

En 2009, plusieurs organisations syndicales ainsi que des élus désignés démocratiquement par le peuple, se sont constitués en comité (le K5F) pour mener la lutte. Ils sont parvenus à rallier beaucoup de citoyens, mais au bout de quelques semaines, des divergences, de fortes tensions, de grandes pénuries, sans parler des tentatives de récupération politique se sont percutées.

Cette grande mobilisation sociale laquelle a aussi été émaillée par quelques violences, aura en outre permis aux "petits" commerces de proximité d'avoir un peu d'oxygène, même si certains en ont profité pour gonfler exagérément leurs marges.

Mais on retiendra surtout la méthode adoptée par le K5F pour tenir en haleine le mouvement au quotidien, en usant de postures plus modérées, plus pacifiques. C’est toute la différence entre anciens et nouveaux porte-drapeaux de "la cause".

(De gauche à droite). Aude Goussard, Rodrigue Petitot et Gwladys Roger, les 3 représentants du Rassemblement pour la Protection des Peuple et des Ressources Afro Caribéens (RPPRAC) lors d'unentable ronde contre la vie chère en Martinique (septembre 2024).

La méthode forte est-elle payante ?

Depuis le 1er septembre 2024, la Martinique est en effet profondément divisée à cause des procédés déployés par le RPPRAC. Plus impétueux que ses aînés de 2009, le leader de l’association, Rodrigue Petitot, a affirmé dès le début qu’il était "déterminé" à faire plier singulièrement les grands distributeurs.

La pression soutenue à travers les réseaux sociaux et les rassemblements physiques spontanés pour motiver les foules ont été tels, que le représentant de l’État et l’exécutif de la CTM (Collectivité Territoriale de Martinique), ont été contraints d’organiser des tables rondes en exigeant la présence des représentants des grandes surfaces. 

En marge des discussions souvent tendues lors des négociations et du protocole signé le 16 octobre 2024, des exactions se sont répandues dans plusieurs communes de l'île, ce que des soutiens du RPPRAC qualifient de "dommages collatéraux", car "on ne fait pas d’omelettes sans casser les œufs" rappelait à l’envi le leader dans ses très nombreuses prises de parole et multiples vidéos.

Affrontements avec les forces de l’ordre, tirs à balles réelles sur ces derniers, routes entravées, barrages érigés sur les principaux axes routiers de l’île, du nord au sud, végétation saccagée, des centaines de voitures brûlées, plusieurs magasins pillés et de très nombreux commerces incendiés. Conséquences, 6 mois après, des dizaines d’entrepreneurs sont en difficulté, idem pour des employés au chômage.

L'une des nombreuses entreprises incendieés en Martinique dans la nuit du 10 au 11 octobre 2024, en marge de la table ronde contre la vie chère.

Bis repetita d’un cauchemar économique

En 2009, beaucoup d’entreprises avaient mis la clef sous la porte, une situation qui se redessine déjà pour plusieurs sociétés, 16 ans plus tard. Depuis novembre 2024, la justice s’en est mêlée, ayant conduit à la condamnation et à l’incarcération de Rodrigue Petitot, toujours confronté à des démêlés judiciaires à ce jour.

Celui qui n’a jamais caché qu’il avait déjà de lourds antécédents, est encore poursuivi entre autres pour intimidation et violation du domicile du préfet, puisque le parquet a fait appel de la décision rendue par le tribunal correctionnel en janvier dernier.

Des failles accumulées

Monsieur Petitot veut malgré tout rester "combatif", convaincu qu’il doit poursuivre la mission qu’il s’est attribuée, consistant à combattre la cherté de la vie, vaille que vaille. Ce faisant, d’un côté sa popularité s’est décuplée à la faveur de ce thème fédérateur qu’il a pris à son compte et c’était bien vu.

Mais à l’aune de cette notoriété indéniable, force est de constater qu’une barrière invisible a été dressée sur son chemin par une grande partie de l’opinion, eu égard non seulement à son passé, mais aussi à cause de l’accumulation de failles dans la manière de faire.

A la Martinique Rodrigue Petitot, président de l'RPPRAC face à un membre des forces de l'ordre.

Petitot candidat ?

Cela dit, peut-être que ce plafond de verre volera en éclats lors des prochaines échéances électorales, puisque selon la volonté de nombreux de ses soutiens, Rodrigue Petitot pourrait affronter pour la première fois, le verdict des urnes.

Et si c’était la stratégie inavouée du RPPRAC depuis son émergence ? L’avenir le dira.

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