Tonneau des Danaïdes, expression désignant une tâche sans fin. Exemple : le ballet incessant des camions à Mayotte et ces monticules de déchets qui ne diminuent pas. C'est une tâche colossale depuis le passage du cyclone Chido : les vents ont arraché des tonnes de tôles, de végétations, la pluie a inondé les meubles et l'électroménager. Tout est à jeter. Alors qu'en parallèle, le système de collecte et de traitement des déchets, déjà limité, doit continuer de faire face aux tonnes d'ordures produites quotidiennement par le territoire.
Pour faire face, suite au passage du cyclone, la préfecture a demandé aux communes de rassembler les déchets dans certaines zones, en séparant les ordures ménagères, les déchets liés aux destructions et les déchets verts. "À vue d’œil, ça ne m'étonnerait pas qu'on ait atteint les 200.000 tonnes de déchets", reconnaît Chanoor Cassam, le directeur général des services du Sidevam, le syndicat intercommunal d'élimination et de valorisation des déchets de Mayotte. Cette structure est chargée pour les collectivités de la collecte, du traitement et de la valorisation des déchets ménagers dans le département, sauf dans le secteur de la Cadema où la communauté d'agglomération assure la collecte.
Un casier d'enfouissement inondé
Le syndicat a recommencé à récupérer les déchets fin décembre pour les transporter à l'ISDND, l'installation de stockage de déchets non dangereux, un centre d'enfouissement situé à Dzoumogné. La structure a en revanche subi des dégâts suite au cyclone Chido. "Jusqu'à la mi-février, nous ne pouvions enfouir que 200 à 300 tonnes de déchets, car le casier a été inondé par les pluies", explique le DGS. L'eau a fragilisé le massif de déchets, certains engins ne pouvaient plus être utilisés pour le broyage au risque que celui-ci s'effondre sous leur poids.
Autre problème qui a ralenti les opérations : le parc de véhicules fortement endommagés du syndicat. "Sur nos 45 camions, j'en ai 30% qui sont sur le terrain", précise Chanoor Cassam. "On a du mal à s'approvisionner en pièces de rechange et en pneus, d'autres priorités sont données pour la sortie de conteneurs du port. Pour ses opérations, la Cadema a par exemple mobilisé des opérateurs privés pour la dépanner." Pendant ce temps, les déchets s'accumulent. Le territoire continu de produire 400 tonnes d'ordures ménagères quotidiennement, soit plus que le Sidevam était en mesure de traiter.
L'accumulation des ordures ménagères
Depuis près d'un mois, le syndicat est capable, théoriquement, d'enfouir jusqu'à 600 tonnes de déchets par jour, même si la moyenne s'établit plutôt à 520 tonnes. Sur les 70 zones où les ordures ont été accumulées, il en reste une quarantaine. C'est là que ça coince : "les consignes de tri n'ont pas toujours été maintenues", avance Chanoor Cassam. Dans ces décharges à ciel ouvert, tout est entremêlé, cela devient un casse-tête pour extraire les ordures ménagères au milieu des encombrants. "On avait fixé comme échéance d'en finir avec les ordures ménagères dans les zones tampons fin mars, mais je ne suis pas très optimiste", reconnaît le directeur du Sidevam.
Pour le moment, c'est la priorité du syndicat pour limiter les risques sanitaires et de pollution des sols. Les autres déchets relèvent des éco-organismes, des structures privées labellisées par l'Etat pour traiter certains déchets. Enzo recyclage prend par exemple en charge la ferraille et l’électroménager pour la compacter et l'exporter. "Cela a pris du temps, ce n'est que maintenant qu'on arrive à conclure des conventions", ajoute le directeur. "Les éco-organismes n'étaient pas très emballées par la gestion en zones tampons, comme il n'y a aucun tri."
Un manque d'infrastructure
À l’origine, de ces problèmes : le manque d'infrastructure selon le responsable du syndicat. Étant donné sa démographie estimée à 330.000 habitants, le département devrait compter au moins huit déchetteries, où les habitants peuvent déposer leurs déchets dans des emplacements dédiés selon leur nature. "On a un centre de tri géré par Suez, et une déchetterie située à Malamani", résume le DGS du Sidevam. Parmi les projets prévus, celle de Tsararano est la plus avancée, le chantier devrait démarrer d'ici la fin de l'année. Viendront ensuite celles de Longoni, Hamaha, des Badamiers et de Bandrélé.
Pour accélérer et faciliter le tri des déchets recyclables et des encombrants, le syndicat envisageait également la création d'une plateforme multifilière, mais soutient désormais un projet similaire porté par le gérant des entreprises AC BTP et Terre & Eau. "Le département a déjà délibéré pour attribuer quatre hectares à ce projet à Vallée trois", précise Madi Madi Halidi, docteur en énergétique, combustion et thermique, qui accompagne techniquement ce projet. "La mise en place d'une plateforme de tri permettrait d'apporter des solutions à court et moyen termes."
Le projet est estimé à près de 27 millions d'euros, dont un quart est pris en charge par son porteur. L'ingénieur regrette en revanche que le projet soit à l'arrêt depuis le passage du cyclone. "On a la possibilité d'aménager une partie du site d'ici un mois, un mois et demi", explique-t-il. "Cela permettrait de commencer à améliorer la gestion des déchets et éviter de passer par des mesures dérogatoires exceptionnelles."
Le brûlage des déchets
En l'occurrence, la préfecture a acté une dérogation pour brûler une partie des déchets ménagers à Hajangua. Des premières opérations ont été organisées début février pour incinérer 80 tonnes par jour durant environ deux semaines. "En l'occurrence, il s'agissait des déchets stockés sur le territoire de la Cadema, pour éviter une traversée et les embouteillages dans Mamoudzou", précise le DGS du Sidevam. "Mais ça a été suspendu suite à des manifestations des riverains, je ne suis pas sûr que ça reprendra."
Cette situation compliquée n'empêche pas le syndicat de poursuivre des projets pour la suite. Le Sidevam souhaite notamment développer une unité de valorisation, "en transformant les déchets, on pourra produire 20% de l'énergie du territoire", se réjouit Chanoor Cassam. Le coût du projet est estimé à 300 millions d'euros pour une surface de huit hectares. "Le problème, c'est que la crise actuelle a un poids considérable pour le Sidevam", regrette son DGS. "Il n'y a pas encore d'aide de l'État aux collectivités, alors que cette gestion représente des millions d'euros de dépenses supplémentaires pour le syndicat."