Militaire aujourd'hui aumônier en Guyane : le "double appel" de padre Philippe

Des militaires du 3e régiment étranger d'infanterie (REI) en Guyane.
Il a été officier de marine avant d'entrer dans les ordres, porté par "l'appel de Dieu". Puis padre Philippe a retrouvé l'uniforme pour faire de ses deux vocations le projet d'une vie. 

Philippe - son statut de militaire interdit qu'on mentionne son nom de famille - est l'aumônier catholique du 3e Régiment étranger d'infanterie (REI), en Guyane. "Après mon bac, j'ai fait 9 ans dans la Marine comme officier embarqué. J'ai pu faire le tour du monde avec la Jeanne d'Arc. J'ai eu une belle vie", explique-t-il à l'AFP sous la canopée parsemée des bords de la rivière Approuague.

Puis arrive ce qu'il nomme "l'appel à la vie religieuse" qui le conduira à passer onze ans dans la communauté religieuse de Saint-Jean, aussi appelée les "Petits gris" où, à peine rentré, il veut retourner sous les drapeaux. 

Pourquoi ? Au-delà du "double appel" qu'il mentionne transparaissent des circonstances personnelles sur lesquelles il ne veut pas s'étendre. La communauté a été secouée par de multiples scandales d'agressions sexuelles. Mais il n'en parlera pas. 

Discrétion

Cela tombe bien, c'est le principe de la Légion qui accueille des étrangers sous un nom d'emprunt et qui, au bout de cinq ans, peut leur accorder la nationalité française : la discrétion sur ce passé qu'on redoute, qu'on cache ou qu'on veut ne plus évoquer est une valeur cardinale des bérets verts. "Quand on arrive à la Légion, on oublie son passé, on rentre dans une nouvelle famille pour naître de nouveau", résume le padre.

La poignée de main est ferme, la silhouette s'est un peu arrondie comme celle d'un curé de campagne et une croix discrète, kakie comme l'uniforme, trône discrètement sur le torse. Mais le béret solidement planté sur le crâne et les lunettes noires l'assimilent plus à un instructeur débonnaire qu'à un homme de foi. 

"Le padre fait partie des meubles. Le militaire est là pour donner sa vie ou, quelquefois, recevoir la mort", dit-il. Catholiques, orthodoxes, musulmans, juifs et autres agnostiques, tous ceux que les soubresauts de la géopolitique mondiale et les accidents de la vie amènent à la Légion, peuvent le consulter.

"Éclairer l'intelligence de l'autre"

"C'est un soldat, un curé et un père", schématise un légionnaire qui préfère ne pas être identifié. "Il y a des gens qui se posent des questions et qui ont du mal à trouver des réponses. Ils vont le voir. Il s'occupe de l'avant et de l'après".

Le padre précise : "On n'a pas la formation de psychologue (...). On essaye d'éclairer l'intelligence de l'autre avec nos pauvres moyens". L'humilité semble sincère, comme son attachement à l'institution militaire dont il ne renie rien, aidé par son omniscience hiérarchique : "Quand je parle au légionnaire, je suis légionnaire. Quand je parle au général, je suis général. Ça donne une grande liberté".

Forcément lui viennent les questions essentielles. La mort - la sienne ou celle qu'on inflige - et la peur de celle-ci. Cet intime qui accompagne le soldat et sur lequel la plupart restent silencieux, pudiques, mutiques. 

Padre Philippe, qui a servi au Kosovo, au Liban et au Sahel avec la force antijihadiste Barkhane, assume sa foi sans violenter celle de l'autre. Face à la guerre, "il n'y a pas de message officiel", explique-t-il. "Je n'ai pas de réponse par rapport à ça".  

L'angoisse ? "Il y a une grande pudeur chez nos militaires". Quant à la mort, le copain qui tombe pour la France, l'horreur de la guerre, "c'est la question du mal", tente-t-il de résumer. "Et on n'a pas de réponse. C'est une question scandaleuse et absurde en même temps. Nous disons que Dieu a envoyé son fils pour assumer le mal sur la terre. Ce n'est pas une bonne réponse pour un non croyant". 

Mais quiconque a droit à son écoute. "La légion est une grande famille, la religion est secondaire". Jamais, assure-t-il, il ne fait de prosélytisme. "On sert l'institution, on n'est pas là pour notre gamelle". D'ailleurs, s'il ne parlait qu'aux catholiques, "je ne parlerais à personne".