Aloisio Sako semble d'abord hésitant à prendre la parole. Mais, très vite, la passion reprend le dessus. Le président du Rassemblement démocratique océanien (RDO), un des partis composant le FLNKS, s'exclame alors : "Nous sommes en 2025... Est-ce qu'on est bien là ? Non !", s'emporte le responsable politique calédonien. "Parce que la France a triché."
Pour les indépendantistes du FLNKS venus à Paris à l'invitation du Premier ministre François Bayrou, la pilule reste dure à avaler plus de trois ans après le dernier référendum sur l'autodétermination du territoire. Un scrutin qu'ils avaient largement boycotté. Ce ressentiment, ils l'ont répété, encore et encore, lors d'une conférence de presse organisée mardi 11 février dans la salle Jacques Lafleur - Jean-Marie Tjibaou de l'Assemblée nationale quelques jours après leur rencontre avec Manuel Valls, ministre des Outre-mer.
"Alors que nous sortions à peine du Covid, l'État nous a imposé la date du 12 décembre 2021", dénonce Aloisio Sako, rappelant que localement, le deuil peut durer un an. La France a donc triché, juge-t-il. Et elle est responsable de l'impasse politique dans laquelle se trouve le Caillou aujourd'hui.
Mais ce qui est fait est fait. Désormais, acteurs politiques calédoniens et représentants du gouvernement doivent avancer pour tourner la page de l'Accord de Nouméa et redéfinir l'avenir institutionnel du Caillou. Et c'est Manuel Valls qui est à la manœuvre. Avec un objectif : "renouer le dialogue" après les pots cassés laissés par Gérald Darmanin lorsque celui-ci avait la main sur le dossier.
Continuer le processus de décolonisation
Maintenant qu'Emmanuel Macron, fervent partisan d'une Nouvelle-Calédonie française, est affaibli politiquement à l'échelle nationale et que le gouvernement marche sur des œufs pour éviter de se faire renverser, les militants du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) se disent satisfaits de la nouvelle approche du ministre.
M. Valls "a reconnu certaines choses qui nous parlent", salue Roch Wamytan, ancien président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et signataire de l'Accord de Nouméa (1998), lors de la conférence co-organisée avec le groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR) de l'Assemblée nationale. Selon lui, l'ancien Premier ministre sous François Hollande a reconnu que "le processus de décolonisation est inachevé".
Un bon point accordé par le FLNKS au gouvernement. Manuel Valls avait déjà rassuré les partisans de la Kanaky lors des questions au gouvernement la semaine dernière, lorsqu'il avait déclaré que "les accords de Matignon et de Nouméa avec la perspective du processus de décolonisation sont le socle de nos discussions, elles sont même mon ADN". Dans le camp opposé (celui des loyalistes), on considère au contraire que l'Accord de Nouméa est caduc.
"L'Accord de Nouméa reste le socle, la base pour nous", souligne Omayra Naisseline, représentante du mouvement Dynamik autochtone, membre du FLNKS. Mais, concrètement, c'est tout ce que les discussions parisiennes ont apporté. Le chemin vers la sortie de crise est encore long.
Suite des discussions à Nouméa
Le FLNKS, diminué de ses franges les plus modérées, est surtout venu lister ses conditions pour la reprise du dialogue. Un lieu : les discussions doivent se tenir en Nouvelle-Calédonie. Un format : les indépendantistes ne veulent que des bilatérales avec l'État. Un arbitre : l'ONU, garant du droit international. Et un objectif, que les militants nationalistes répètent inlassablement : "Négocier la pleine émancipation et l'accession de notre pays à l'indépendance".
Dans cette optique, Manuel Valls a annoncé lundi qu'il se rendrait en Nouvelle-Calédonie à partir du 22 février pour poursuivre les discussions. Son voyage devrait durer plusieurs jours. Il faut dire que le temps presse. L'État doit organiser les élections provinciales d'ici à la fin du mois de novembre. Or, le gouvernement aimerait que les deux camps – indépendantistes et non-indépendantistes – trouvent un accord global d'ici là pour que le scrutin se tienne sereinement.
Mais le ministre des Outre-mer risque d'avoir du mal à réunir les franges les plus radicales des mouvements calédoniens. Si les loyalistes, conscients des faibles chances qu'un accord soit conclu, aimeraient au moins que les différences avec les nationalistes soient actées, les indépendantistes, eux, se placent dans une posture de dialogue avec l'État uniquement, et personne d'autre.
"La souveraineté partagée, c'est déjà le cas maintenant", considère Emmanuel Tjibaou, député et président de l'Union calédonienne, principale composante du FLNKS. Lui et ses compagnons ne visent donc que l'indépendance pleine et entière. Avec la possibilité, dit-il, d'établir un lien privilégié avec la France. Ce que n'accepteront jamais les non-indépendantistes.
Le FLNKS réclame toujours la libération et la participation aux discussions de Christian Tein, leader de la CCAT emprisonné à Mulhouse depuis les émeutes en Nouvelle-Calédonie et désigné, depuis, président du Front. Ses membres n'ont pas précisé s'ils boycotteront les rencontres avec Manuel Valls si M. Tein ne peut participer aux rencontres.
Le prochain round de discussions, qui aura donc lieu dans une dizaine de jours à Nouméa, sera déterminant pour l'avenir du Caillou. Maintenant que le dialogue a été renoué avec l'ensemble des parties, le ministre des Outre-mer n'aura qu'un objectif : sortir de l'impasse.