Décryptage: les aires marines protégées du Pacifique

Un superbe nudibranche dans l'aire protégée des îles Phoenix, aux Kiribati.
2015 a été une année historique pour les grandes aires marines protégées : cinq nouvelles réserves ont vu le jour dans le Pacifique. À quoi servent ces aires marines ? Comment s’assurer de leur bonne gestion et de leur réussite ? Décryptage.
L’appellation « aire marine protégée » regroupe en fait plusieurs types de réserves, comme le fait remarquer Quentin Hanich, directeur du programme australien de recherche sur la pêche et chercheur à l’université de Wollongong : « L’aire protégée des îles Phoenix aux Kiribati, l’une des plus grandes au monde, et le sanctuaire marin des Palau, qui est en train d’être mis en place, sont deux zones où la pêche commerciale est désormais bannie. La loi vient d’être introduite aux Palau, il faudra environ quatre ans pour atteindre concrètement ce niveau de protection. »
 
Pour s’y retrouver, il faut se tourner vers l’UICN, l’Union internationale pour la conservation de la nature, qui distingue six catégories d’aires marines protégées. S’il y a donc des différences entre les réserves, toutes répondent à cette définition de l’UICN : « Une aire protégée est un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés ».
 

Pourquoi choisir des zones déjà protégées par leur isolement ?

 
La plupart du temps, ce sont des zones isolées, difficilement atteignables, qui sont protégées comme Pitcairn et les Kermadecs (Nouvelle-Zélande). À quoi cela sert-il de protéger ces zones déjà à l’abri des gros bateaux de pêche ? Il y a deux principales raisons, relève Jérôme Petit, directeur du programme Héritage mondial des océans en Polynésie française au sein du Pew : « La première utilité, c’est de protéger ce qu’il est intéressant de protéger et bien souvent, les zones inatteignables sont justement les zones intéressantes, parce qu’il y a une nature qui est encore préservée, avec des écosystèmes encore sains et avec, bien souvent, des espèces endémiques qui n’ont pas trop été touchées par les espèces envahissantes ou par la surexploitation des ressources qu’on peut avoir dans des zones plus anthropisées. C’est donc souvent intéressant de faire des aires marines protégées dans les derniers sanctuaires, dans les dernières zones vierges de la planète. La deuxième raison, c’est que c’est plus facile de créer une zone de protection là où il y a peu d’exploitation ou de pression humaine, en se disant qu’il vaut mieux protéger cet endroit avant que la pression ne s’accroisse et qu’il soit trop tard. »
 
Lorsque la décision est prise de mettre en place une aire marine protégée dans un pays, un gros travail scientifique est fourni avant de délimiter la zone en question. Il faut décrire les écosystèmes présents dans la région, prendre en compte les particularités biologiques, et parfois relever des éléments du système terrestre, qui peut avoir une influence sur l’aire marine. Les aspects culturels et les enjeux économiques ne doivent pas être négligés.

Les réserves marines du Pacifique, recensées par Pew.

 

Il faut de vastes zones si on veut protéger les pélagiques

 
Les objectifs qui sont fixés sont des « objectifs politiques », explique Jérôme Petit. Lors de la Conférence de Nagoya au Japon en 2010, les États membres de l’Onu se sont engagés à protéger au moins 10 % de l’océan d’ici 2020. Un objectif politique quantitatif, donc. On entend d’ailleurs régulièrement des pays annoncer la création de « la plus grande aire marine protégée au monde ». Est-ce vraiment nécessaire de se focaliser sur l’étendue de la zone ciblée ?

Oui, estime Jérôme Petit : « C’est important à deux niveaux : d’abord, les aires marines protégées océaniques servent avant tout à protéger les stocks halieutiques des poissons pélagiques, c’est-à-dire des poissons qui vivent dans le large et qui se déplacent sur des milliers de kilomètres come le thon et l’espadon, et ce sont des espèces qui sont très menacées. Le thon rouge du Pacifique a connu une diminution de 96% de sa biomasse en vingt ans. Le thon obèse a connu une diminution de 84% de sa biomasse. Ce sont des espèces qui sont sur la liste rouge de l’UICN et qu’il faut préserver – on les mange, donc on en a besoin. Pour pouvoir protéger ces espèces très mobiles, il faut des très grandes zones, il faut des surfaces de plus de 200 000 kilomètres carrés, par exemple, pour le thon. La deuxième raison, c’est pour la notoriété internationale. Ça met ces zones très isolées sur la carte au niveau international, ça permet à ces archipels éloignés d’être connus et de pouvoir, peut-être développer leur écotourisme. »
 
À l’avenir, ces aires marines protégées pourraient aussi permettre aux États de faire valoir leurs droits en matière de compensation carbone.

Thon rouge

 

Rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de ce décryptage sur les aires marines protégées. On s’intéressera à la question de la surveillance de ces zones dans le vaste océan Pacifique.
 
Les poissons fainéants seront-ils les grands gagnants?
Ces aires marines protégées ne vont-elles pas favoriser le développement des poissons paresseux ? Ont-elles un impact sur la diversité génétique des populations ? C’est la question que se pose une équipe de chercheurs canadiens de l’université de la Colombie-Britannique. C’est une hypothèse plausible, estime Jérôme Petit : « Il faut voir, en effet, que les poissons comme le thon ont une diversité génétique et certains individus vont se promener sur de très grandes surfaces, alors que d’autres sont moins mobiles. Si on met une zone de protection stricte, on peut effectivement considérer que les poissons qui sont les moins mobiles vont être mieux protégés, parce qu’ils ne vont pas quitter la zone, alors que les autres vont sortir et vont être pêchés à l’extérieur. À terme, onpourrait donc arriver à une modification génétique de la population. » Mais pour le moment, cela reste une théorie, souligne Jérôme Petit.