Australie : le gaz, une alternative crédible au charbon ?

Vue aérienne de puits dans le sud du Queensland.
La fracturation hydraulique est pratiquée pour extraire du gaz naturel.  À quel point ce processus est-il utilisé en Australie ? Quels sont les risques ?
L'image a été abondamment partagée sur les réseaux sociaux, le mois dernier : un député écologiste australien, Jeremy Buckingham, a mis le feu à une rivière du Queensland à l'aide d'un allume-gaz. Il voulait ainsi prouver la présence de méthane dans l'eau à cause de la fracturation hydraulique pratiquée dans la région pour extraire du gaz naturel. 
C'est en 1969 que le processus de fracturation hydraulique a été utilisé pour la première fois en Australie, pour exploiter le gaz du bassin de Cooper, une vaste zone quasi-désertique située dans le centre-est du pays, en Australie-Méridionale. « Là-bas, il y a une maison tous les 100 kilomètres environ », rapporte Dennis Cooke, directeur du programme sur les ressources non conventionnelles au sein de l'Institut australien du pétrole, à l'université d'Adélaïde. À l'époque, explique le chercheur, « l'Australie avait soif d'énergie, elle devait en importer au prix fort, et puis chaque pays veut avoir sa propre source d'énergie ». 
 
« Les entreprises aiment bien dire qu'elles font de la fracturation hydraulique depuis plus de quarante ans, mais la réalité, c'est que les opérations qu'elles mènent actuellement sont différentes », nuance Chloe Aldenhoven, coordinatrice dans l'ouest du Victoria du mouvement de lutte contre l'exploitation du charbon et du gaz Lock the Gate. « Elles l'appellent fracturation hydraulique à haut volume. Des quantités énormes d'eau et de produits chimiques sont utilisées. »
 
C'est d'ailleurs lorsque l'exploitation du gaz de charbon (aussi appelé gaz de houille) a commencé à prendre de l'ampleur que la population s'est mobilisée. Le mouvement Lock the Gate a été créé en 2010. Il se donne pour mission d'aider les exploitants agricoles à s'opposer aux sociétés minières. En Australie, les propriétaires ne possèdent en fait qu'une partie de leurs terres, jusqu'à 15 centimètres de profondeur. Pour exploiter les ressources du sous-sol australien, les entreprises n'ont donc besoin que de l'aval des gouvernements locaux. Elles doivent tout de même compenser les propriétaires. Des négociations sont engagées entre les deux parties et si un fermier refuse le montant proposé, l'affaire se règle au tribunal. La société parvient toujours à ses fins, mais « si tous les propriétaires s'unissent et refusent l'offre qu'on leur fait, l'entreprise doit dépenser beaucoup d'argent pour les procès et en général, elle préfère aller voir ailleurs », explique Chloe Aldenhoven.
 

 

« Aucun accident en quarante ans d'exploitation »

 
Il y a quatre ans, les militants anti-exploitation du gaz et du charbon ont obtenu un moratoire sur la fracturation hydraulique dans le Victoria. Il est toujours en place. Et le Territoire du nord envisage d'en faire de même.
 
Mais pourquoi s'y opposer ? Quels sont les risques ? En quarante ans d'exploitation, y a-t-il eu des accidents ? Voici la réponse de Dennis Cooke :
 
« Absolument aucun. Quand on parle de fracturation hydraulique, en général le grand public craint la fuite de produits chimiques toxiques. Ça n'est pas arrivé. Les produits chimiques utilisées ne sont pas toxiques, on les trouve couramment chez les gens. S'il y a un problème, c'est la fuite de méthane. »
 
Selon lui, deux éléments ont terni injustement le secteur. Il y a d'abord le documentaire américain GasLand, sorti en 2010. On se souvient de ces images de robinets d'eau qui s'enflamment. Selon les habitants interrogés, du méthane et des produits chimiques s'échappent des puits de gaz de schiste et contaminent l'eau. Mais selon Dennis Cooke, c'est un « phénomène naturel commun ». « Il y a en permanence du méthane qui fuit et parfois, il peut s'introduire dans les aquifères, puis dans les réserves d'eau », explique-t-il.
La célèbre scène du film documentaire GasLand.

 

Le chercheur Dennis Cooke estime que le secteur a aussi commis une grosse erreur : « Au début, les entreprises minières refusaient de révéler le nom des produits chimiques utilisés au prétexte qu'il s'agissait d'un secret de fabrication. » Depuis, les lois ont changé et les compagnies sont obligées de révéler les substances chimiques auxquelles elles ont recours.
 
Il faut préciser que ces produits ne représentent en général « que » 5% du liquide injecté lors de l'extraction par fracturation hydraulique. Les 95% restants sont de l'eau.
 
Cela ne suffit pas à rassurer Chloe Aldenhoven. Cette méthode cause de « nombreux incidents » en Australie, affirme-t-elle. Elle en donne quelques exemples :
 
« L'un des gros problèmes qu'on a dans le Queensland, c'est que les entreprises minières qui exploitent le gaz de charbon ont pompé d'énormes quantités d'eau des réseaux d'eau souterrains. En conséquence, le niveau de ces eaux souterraines a baissé de sept mètres, ce qui signifie que les fermiers n'ont plus accès à l'eau. Il y a eu aussi de nombreuses infractions environnementales, des incidents de contamination, et on commence à voir des habitants du Queensland souffrir de maux similaires à ce qui a été observé aux États-Unis : les gens ont des problèmes neurologiques, ils ont des maux de tête et le nez qui saigne quand ils sont près des gisements de gaz… »
 
L'eau qui sort des puits est « extrêmement salée et elle ne peut pas être utilisée par les agriculteurs, cela détruirait leurs cultures », explique Dennis Cooke, pour qui c'est l'un des principaux sujets de préoccupation.
 
 

Charbon < gaz < énergies renouvelables ?

 
Autre point sur lequel Dennis Cooke et Chloe Aldenhoven sont d'accord : les émissions fugitives de méthane sont inquiétantes. Peu d'études ont été menées sur le sujet, mais le CSIRO, l'institut australien de recherche scientifique et industrielle, s'est intéressé à la question en 2014. Des scientifiques ont fait des relevés aux abords de 43 puits - 6 en Nouvelle-Galles-du-Sud et 37 dans le Queensland - et dans pratiquement tous les cas, ils ont constaté des émissions fugitives de méthane, mais à des taux très bas - moins de 3 grammes de méthane par minute, l'équivalent des émissions commises par environ 30 vaches.
 
Si cette question est cruciale, c'est qu'on présente souvent le gaz comme moins polluant que le charbon. Le raisonnement serait le suivant : le charbon pollue plus que le gaz, qui pollue évidemment plus que les énergies renouvelables, mais les énergies renouvelables sont plus chères que le gaz, qui est plus cher que le charbon. Le gaz serait alors une solution intermédiaire viable.
 
 
C'est d'ailleurs l'argument avancé par le président américain, Barack Obama : l'exploitation des gaz non conventionnels a permis de faire baisser les émissions de gaz à effet de serre du pays, notamment entre 2007 et 2012. 
La combustion du gaz naturel émet en effet deux fois moins de CO2 que celle du lignite, catégorie de charbon très présente en Australie. On estime que la production d'un mégajoule d'énergie obtenu en brûlant du méthane produit 55g de CO2 contre 110g pour le charbon.
 
Le gaz est-il donc la solution, en attendant de passer aux énergies renouvelables ? Pour Chloe Aldenhoven, la réponse est claire :
 
« Non, je ne pense absolument pas que le gaz non conventionnel soit meilleur que le charbon. Des chercheurs ont établi que les fuites de méthane ont été largement sous-estimées tout au long du processus d'extraction et cela va avoir un impact conséquent sur le changement climatique. »
 
Le méthane est une vraie bombe climatique, reconnaît Dennis Cooke. « C'est un gaz à effet de serre dont l'impact est pire que le CO2. Mais la bonne nouvelle, c'est que sa présence dans l'atmosphère est nettement plus réduite. » Et surtout, le chercheur de l'Institut australien du pétrole estime qu'on peut « aisément remédier aux fuites en investissant dans du matériel de meilleure qualité et en surveillant de plus près les forages ».
 
 

Il faudrait se limiter à une énergie fossile

 
En attendant, Chloe Aldenhoven pense qu'un moratoire devrait être imposé. Et elle affirme que les énergies renouvelables peuvent être moins chères que le gaz non conventionnel. Pour Dennis Cooke, ce n'est pas encore le cas, mais ça pourrait bientôt le devenir : « Dans certaines parties du monde, c'est en train de changer. Hawaï en est un exemple. L'Australie-Méridionale est aussi en passe de basculer. » Dans cet État, 41% de l'électricité provient déjà des énergies renouvelables, alors que toute la partie Est du pays repose sur le charbon - le gaz représente environ 20% de la consommation, les énergies renouvelables 10% et le reste, c'est le lignite.
 
La grande majorité du gaz extrait en Australie est en fait exporté en Asie et ne semble donc pas être considéré comme une alternative locale au charbon. Pour Dennis Cooke, « le problème pour la planète, ce ne sont pas les 20 millions d'Australiens, mais les deux milliards de personnes qui vivent en Inde et en Chine, notamment, et qui consomment de plus en plus ». Mais l'Australie a sa part de responsabilité, souligne-t-il : « On est ravi de leur vendre du charbon et du gaz. Je pense qu'on devrait faire un choix, que ce soit l'un ou l'autre. »