Ils s’attendaient au pire… Et puis finalement, rien. Les craintes d’une reprise des émeutes en Nouvelle-Calédonie, ce 10 février, ne se sont pas confirmées.
C’est désormais le lundi suivant, soit le 17 février, jour de la rentrée scolaire, qui est présenté comme la date de tous les dangers. Cette mise en garde s’est répandue comme une trainée de poudre sur la plupart des messageries de "voisins vigilants".
Bidons d’essence
Dans un de ces groupes, les membres sont priés de se tenir “prêts à de nouvelles exactions ce week-end de la CCAT [cellule de coordination des actions de terrain]”. Les zones concernées par ces "attaques" à venir : Tuband, Magenta, Montravel, Rivière-Salée ou encore le centre-ville. L’information est présentée comme fiable : elle vient d’un "policier gradé", peut-on lire.
Dans un autre groupe d’habitants, ce sont plutôt les quartiers Sud et "ce qu’il reste de Ducos" qui seraient visés. "Tout le monde se prépare à un mouvement la semaine prochaine", peut-on lire dans les échanges.
Mais c’est surtout une autre rumeur, largement relayée sur les groupes de "voisins vigilants", qui a suscité le plus d’inquiétudes : des personnes auraient été interpellées à Tuband en possession de 300 bidons d’essence.
Calendrier politique
"C’est une fake news", répond-on du côté de la police nationale. Quant à un risque de nouveaux troubles le 17 ? "Nous n’avons eu aucun signal dans ce sens."
Une autre source au sein des forces de l’ordre l’assure : "c’est vraiment la rumeur dans tout ce qu’elle a de plus irrationnel". "Cela fait deux semaines qu’on cherche à tout prix le renseignement, mais il n’y a rien du tout."
Ces rumeurs se sont répandues à un moment particulier du calendrier politique. Au même instant, se tenaient les discussions bilatérales à Paris, avec le ministre des Outre-mer Manuel Valls, sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.
Un navire étranger dérouté
Plus étonnant encore, c’est à partir d’un événement maritime que ces bruits auraient commencé à circuler sur les réseaux sociaux. Il concerne un bateau étranger, dérouté vers Lifou pour des raisons de sécurité, alors qu’il devait accoster à Nouméa, il y a quelques semaines.
Sauf que la raison est plus prosaïque : les autorités du pays concerné, qui avaient classé la Grande Terre en zone incertaine au moment des émeutes du 13 mai, auraient oublié de remettre leurs données à jour. "Cela a fait croire qu’il y avait un danger non connu par le grand public avec un risque d’émeutes", explique une source proche des renseignements à NC la 1ère.
Du côté de l’Etat, qui est en charge de la sécurité intérieure en Nouvelle-Calédonie, on se refuse à tout commentaire "à ce stade" et encore moins "sur des rumeurs qui circulent sur les réseaux sociaux", répond-on laconiquement au haut-commissariat.
On contrôle le terrain, on est nombreux et c’est un dispositif qui va s’inscrire dans la durée
Nicolas Matthéos, commandant de la gendarmerie en Nouvelle-Calédonie
Effectifs renforcés
Quant à la présence accrue des forces de l’ordre sur le terrain, elle répond à une consigne du haut-commissaire. "Depuis trois mois, nous avons déployé ce dispositif de contrôle assez serré pour rassurer les gens et dissuader ceux qui seraient tentés de rependre les actions", explique le général Nicolas Matthéos, commandant de la gendarmerie en Nouvelle-Calédonie.
Avant d’énumérer quelques chiffres pour calmer les inquiétudes : 2 000 gendarmes se trouvent actuellement sur le Caillou, dont vingt escadrons de mobiles, au lieu de 800 gendarmes en temps normal.
"On contrôle le terrain, on est nombreux et c’est un dispositif qui va s’inscrire dans la durée", assure le général Matthéos.
Réserves de gaz et de nourriture
Pas de quoi faire "baisser la garde" à Laura*, une Nouméenne de 40 ans. "Il ne s’agit pas de tomber dans la paranoïa mais on ne veut pas être pris au dépourvu."
Cette habitante, qui devait partir en vacances le 17 février, jour de la rentrée, a volontairement reporté son départ en Brousse d’une journée. "On s’attend à une action ce jour-là. Ce ne sera pas forcément des violences mais plutôt des blocages, pronostique-t-elle. Ce n’est pas vraiment de la peur mais de la vigilance. Les anciens qui ont vécu les événements des années 1980 craignent une réplique."
Provisions à la maison, réservoir systématiquement rempli quand la jauge d’essence arrive à la moitié… "Maintenant, on doit apprendre à vivre comme ça." Les groupes de "voisins vigilants" sont d'ailleurs nombreux à relayer ces appels visant à faire des réserves de gaz et de denrées alimentaires.
Dans son quartier, une personne fait toujours office de référent pour faire le lien entre les habitants et les forces de l’ordre. "L’avantage, c’est que maintenant, on se connaît et on se prévient s’il se passe quoi que ce soit."
Le CRC toujours mobilisé
Ce réseau de "voisins vigilants" est toujours très actif dans plusieurs quartiers de Nouméa et de son agglomération. Les barricades ne barrent plus les routes mais du matériel a été entreposé à proximité pour réagir rapidement. Comme à Tuband, où des barbelés, des parpaings et des fûts sont stockés sur le trottoir, tandis que des barrières, installées sans autorisation, sont prêtes à se refermer à tout moment.
Fin janvier, près de 230 référents de quartier venus de Boulouparis, La Foa, Nouméa ou encore du Mont-Dore se sont réunis à Païta, à l’appel du Collectif de résistance citoyenne. Le signe d’une remobilisation des "voisins vigilants" ?
Willy Gatuhau, le porte-parole du CRC et ancien maire de Païta, veut jouer la carte de l’apaisement. "C’était plutôt l’occasion pour ces référents de partager leur vécu, leur expérience, après ces émeutes." Mais il ne s’en cache pas. "Ces événements ont provoqué un véritable traumatisme, cela a laissé des traces. Si cela devait recommencer, on se défendra."
(*) Prénom d'emprunt