Le gouvernement calédonien autorise deux nouveaux herbicides à base de glyphosate contre l’avis des autorités sanitaires

En Nouvelle-Calédonie, le glyphosate est principalement utilisé pour désherber les clotures sur les stations d'élevage.
Malgré l'avis défavorable de la Direction des affaires sanitaires et sociales, deux désherbants contenant du glyphosate ont été homologués par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Très controversée, cette molécule est considérée comme un cancérogène probable par l’Organisation mondiale de la santé.

Baptisés "Deal" et "Glister ultra", deux herbicides à base de glyphosate ont été autorisés sur le marché calédonien pour une durée de quinze ans. C’est le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie qui a homologué ces deux désherbants parmi une liste de cinq produits phytopharmaceutiques, via un arrêté du 27 novembre 2024. "Les précédents produits utilisés (eux aussi à base de glyphosate, ndlr) étaient en rupture de stock, d’où ce récent agrément", précise Fabien Escot, le directeur de la Davar (direction des affaires vétérinaires, alimentaires et rurales).

On l’utilise très peu en culture. Juste pour l’élevage et l’arboriculture.

Jean-Christophe Niautou, le président de la Chambre d’agriculture et de la pêche

 


Autorisé en Europe

Si les particuliers et les collectivités de Nouvelle-Calédonie n’ont plus le droit d’utiliser du glyphosate depuis 2019, son usage est encore possible pour les agriculteurs. "On l’utilise très peu en culture. Juste pour l’élevage et l’arboriculture", veut rassurer Jean-Christophe Niautou, le président de la Chambre d’agriculture et de la pêche.

La Nouvelle-Calédonie, qui est compétente en matière de santé et d’agriculture, n'est pas une exception. En France, et plus globalement en Europe, cette substance est toujours légale.

Fin 2023, la Commission européenne a renouvelé pour dix ans l’autorisation de cet herbicide. Cette décision a suscité la colère des associations environnementales, qui ont déposé un recours devant l'Union européenne. Depuis des années, elles pointent du doigt la dangerosité du glyphosate pour l'environnement et pour l'homme, classé comme "cancérogène probable" par le Centre international de recherche sur le cancer, une agence de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS). 

 


Deux avis défavorables

En Nouvelle-Calédonie, au sein du Comité consultatif des produits phytopharmaceutiques à usage agricole et usage jardin (CCPPUAJ), qui est sollicité avant chaque homologation, deux membres avaient pourtant emis un avis défavorable à ces deux produits à base de glyphosate.

Première à s'y opposer, la Direction des affaires sanitaires et sociales (Dass-NC), au motif que cette substance active "est classée cancérigène probable par le Centre international de recherche sur le cancer" dans le groupe 2A, autrement dit pour l'homme. La Dass-NC s'est également prononcée contre un troisième produit parmi la liste en attente d'homologation : le "Nissorun", à base d'hexythiazox, car "classé par la Envrionmental protection agency comme étant probablement cancérigène pour l'homme".

L'association Action Biosphère a répondu, elle aussi, défavorablement à la demande d'homologation de ces produits phytosanitaires par rapport à la "dangerosité de [leur] utilisation", tant pour l'utilisateur que pour l'environnement. 


Toxiques pour les milieux aquatiques

Mais l'avis de ce comité, comme son nom l'indique, reste "consultatif". Rien n'oblige le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie à le suivre. Du reste, la majorité des membres de ce comité s'est prononcée en faveur de ces produits contenant du glyphosate. Parmi eux : l'Institut agronomique néo-calédonien, la province Sud ou encore le réseau Repair, qui se présente en faveur d'"une agriculture innovante et responsable".

Dans le tableau annexe de cet arrêté du gouvernement, les différents degrés de risques sont pourtant mentionnés. Le "Glister ultra", en provenance de France, contient 360 grammes de glyphosate par litre. Il est présenté comme un produit "toxique pour les organismes aquatiques", qui "entraîne des effets néfastes à long terme".

Le "Deal", fabriqué en Nouvelle-Zélande, présente une concentration plus forte encore (510 g/l). Il "provoque une irritation cutanée" et est classé comme "très toxique pour les organismes aquatiques". 


Les agriculteurs en première ligne

Ces données mentionnées dans le document annexe "ne le sont qu’à titre indicatif", précise l'arrêté, qui invite les utilisateurs à se reporter sur l'étiquette, la notice ou "les sites officiels des pays d’origine mentionnés". Les premiers exposés à ces produits phytosanitaires et à leurs risques sont les agriculteurs calédoniens. 

"Pour acheter et utiliser du glyphosate, il faut être titulaire d’un diplôme -le certiphyto- délivré par la Nouvelle-Calédonie", indique Jean-Christophe Niautou. Des formations sont délivrées par la chambre d’agriculture et de la pêche. "Si vous n’êtes pas formé à la bonne utilisation de ce produit pour vous protéger, en tant qu’utilisateur et pour l’environnement, vous ne pouvez pas en faire l’acquisition", assure le président de la chambre.

Il n’y a pas d’autres produits pour le remplacer sauf à faire de l’arrachage manuel.

Jean-Christophe Niautou, président de la chambre d'agriculture et de la pêche


L'herbicide le plus utilisé dans le monde 

Dans l'Hexagone, un exploitant agricole atteint d'un cancer mène de longue date une bataille judiciaire contre Monsanto. Racheté depuis par Bayer, le géant américain est le fabricant du célèbre désherbant à base de glyphosate "Roundup". En 2021, la justice américaine avait confirmé la condamnation de Monsanto dans un procès intenté par un retraité américain atteint d'un cancer. 

Dans le monde agricole, le sujet de son utilisation est encore tabou. Cette molécule est l'herbicide le plus utilisé dans le monde mais aussi le plus controversé.

En Nouvelle-Calédonie, cette substance active est "essentiellement utilisée sur les grandes propriétés pour le nettoyage des barrières et tuer les mauvaises herbes résistantes à d’autres herbicides", insiste Jean-Christophe Niautou. "C’est un produit qui coûte très cher. Si les professionnels le pouvaient, ils feraient sans."

Le président de la chambre d'agriculture l'assure : "il n’y a pas d’autres produits pour le remplacer, sauf à faire de l’arrachage manuel. On n’est pas arrivé à une main-d’œuvre suffisamment bon marché pour le faire."


Une quarantaine de recours

Cet argument ne satisfait pas Yorita Lauvray, trésorière d'Action biosphère et membre du comité consultatif. "On fait passer les intérêts commerciaux avant la santé humaine. Il y a de gros lobbies derrière." Dans l'avis qu'elle a rendu, l'association pose aussi la question du nettoyage des équipements, la détention par les agriculteurs d'une cuve de récupération des eaux souillées et de la récupération des emballages. 

Mais le collectif qui a le plus croisé le fer sur le sujet des pesticides en Nouvelle-Calédonie, c'est Ensemble pour la planète. Depuis 2009, EPLP a déposé une quarantaine de recours contre leur utilisation et en a gagné la majorité. Le plus souvent "sur des questions de forme et non de fond", relève Martine Cornaille.

La présidente d'Ensemble pour la planète estime d'ailleurs que ce sont ces actions qui ont fait chuter l'importation des produits phyto-pharmaceutiques à usage agricole, il y a quelques années.

Selon les chiffres de la Davar, la Nouvelle-Calédonie est passée de 96 tonnes de pesticides à usage avricule importés en 2010 (dont 66 tonnes d'herbicide) à 35 tonnes en 2015 (dont 12 tonnes d'herbicide). "Le tonnage a été divisé par trois", pointe la militante écologiste.

C'est incompréhensible que le gouvernement demande l’avis des uns et des autres pour, au final, ne pas en tenir compte.

Martine Cornaille, présidente d'EPLP


EPLP exclu du comité consultatif

Mais les importations de ces produits phytosanitaires à usage agricole sont reparties depuis à la hausse. En 2021, on recensait 60 tonnes de pesticides importés, dont la moitié était des herbicides (31,5 tonnes). La présidente d'EPLP a son explication. "En 2016, nous avons été exclus de ce comité consultatif. Depuis, la consommation de ces produits a progressé." 

Le collectif estime avoir été sanctionné pour ses multiples actions sur le plan judiciaire. "Nous avons déplu au pouvoir en place. À l’époque, c’était Nicolas Metzdorf qui était en membre du gouvernement en charge de l’agriculture et il a jugé utile de nous en exclure."

Ce comité, qui représente l'avis des organismes de recherche, des consommateurs, des environnementalistes et des représentants du secteur agricole, est composé à la discrétion des élus. Mais pour Martine Cornaille, la composition de cette instance "devrait se faire sur des critères objectifs de représentativité, de compétence, etc…" 

Ensemble pour la planète juge aussi "incompréhensible que le gouvernement demande l’avis des uns et des autres pour, au final, ne pas en tenir compte".



Entre les mains de la Cour de justice européenne

Le collectif s'est rapproché depuis du Pesticide action network (PAN), un réseau d'organisations non-gouvernementales, qui œuvre à la promotion d'alternatives aux pesticides dangereux pour l'homme. Le glyphosate ayant obtenu, en 2023, un nouveau feu vert de l'Union européenne pour dix ans, PAN conteste aujourd'hui cette décision devant la Cour de justice de l'Union européenne.

Dans sa requête, PAN énumère les griefs suivants : une évaluation des risques incomplète, un rejet des études indépendantes, une "manipulation" statistique, la violation du principe de précaution mais aussi le fait d'ignorer les impacts sur la biodiversité et le microbiome (la sphère bactérienne du sol ou des êtres vivants). "Le glyphosate est un antibiotique extrêmement puissant, souligne Martine Cornaille. Et comme il est répandu dans des quantités phénoménales dans le monde, lorsque ces organismes sont détruits, cela a des répercussions sur la vie et la santé des êtres vivants."

C'est un pesticide systémique, c’est-à-dire qu’il pénètre dans tous les organes des végétaux, y compris dans les parties comestibles du végétal.

Martine Cornaille, présidente d'EPLP


Expertise sur les fruits et légumes importés

Autre problème soulevé : "c'est un pesticide systémique, c’est-à-dire qu’il pénètre dans tous les organes des végétaux, y compris dans les parties comestibles du végétal", indique la présidente d'EPLP. Une crainte confirmée lors d'une expertise de la chambre d'agriculture en 2016 sur les fruits et légumes importés. Seuls 47 % des échantillons analysés étaient conformes aux limites maximales de résidus (LMR) autorisées en Nouvelle-Calédonie. "Par ailleurs, des échantillons de fruits et légumes importés présentaient des résidus de substances actives interdites en Nouvelle-Calédonie et en Union Européenne", précise le gouvernement dans un communiqué de 2019.

Il faut dire que la réglementation en matière de produits phytosanitaires à usage agricole est plus souple en Australie et en Nouvelle-Zélande. "Dans la réglementation australienne, le délai avant récolte est au minimum d’un jour contre trois en Nouvelle-Calédonie", note le gouvernement.


Principe de précaution

Comme l'exécutif, la chambre d'agriculture estime que l'usage du glyphosate "est extrêmement raisonné" en Nouvelle-Calédonie. "C'est une utilisation professionnelle et respectueuse le plus possible de l’environnement", affirme son président.

Pour Jean-Christophe Niautou, "on se focalise" sur le glyphosate, mais des produits, "il y en a bien d’autres !" Pour les associations environnementales, cet argument est difficilement recevable. Elles se réfèrent aux réserves de l'Organisation mondiale de la santé et demandent l'application du principe de précaution.