LONG FORMAT. Immersion sur la côte Est à la rencontre des sculpteurs de Nouvelle-Calédonie

Un reportage de Géraldine Louis, Ismaël Waka-Céou et Brice Bachon. ©nouvellecaledonie
À Hienghène, le centre culturel provincial Goa ma Bwarhat fête ses 40 ans. Ce haut lieu de formation des sculpteurs dans les années 90 tente de redynamiser l’activité, avec des résidences et des expositions tout au long de l’année. De la coupe du bois à l'œuvre finale, focus sur ce savoir-faire, de Ponérihouen à Hienghène.

"Un peuple qui ne crée pas est un peuple en sursis. Il attend son tour pour mourir. Nous refusons ce destin." Une citation de Jean-Marie Tjibaou relayée par le centre culturel de Hienghène pour illustrer la reprise de sa programmation en septembre, après les évènements du mois de mai.

Le centre Goa ma Bwarhat, du nom des deux grandes chefferies de la commune, a fêté ses quarante ans en 2024.

Des expositions, des spectacles et des résidences d'artistes y sont proposés toute l'année pour promouvoir et transmettre la culture et l'art kanak.

La sculpture en héritage

Parmi les résidents permanents à Hienghène, un sculpteur parvient à gagner sa vie en perpétuant le savoir-faire des anciens. "Je ne sais pas comment les autres utilisent le côté spirituel des objets, mais pour moi, sculpter un visage, un bois, c'est se rappeler l'histoire de nos vieux", raconte Albert Tein.

"Ce sont des pièces qui ont une valeur forte. Qui représentent les dieux, les ancêtres de l'époque. C'est vraiment lié à la réalité et aux croyances des vieux", abonde Jean-Mathias Djaiwe, directeur du centre culturel. 

Ne choisir "que du bois sec"

En 2003, Waia Marempon s'intéresse à la sculpture et s'initie auprès des anciens. Le quinquagénaire de la tribu de Néouta à Ponérihouen veut transmettre son savoir. Accompagné de son fils, le sculpteur part à la recherche du bois idéal, dans une forêt à dix minutes de leur domicile. 

"On ne doit pas utiliser n'importe quel bois pour sculpter, lance Waia Marempon. Il y a plusieurs critères pour choisir le bon bois." C'est sur une branche de bois pétrole, une essence tendre et facile à travailler qu'il jette son dévolu. 

"On ne récupère que du bois sec pour éviter de couper ceux qui sont encore verts dans la nature. On utilise aussi du bois flotté, jeté par la mer. On leur donne une seconde vie", poursuit le sculpteur de Néouta. 

Du bois pétrole car le bois de houppe, autrefois privilégié pour ses valeurs symboliques et sacrées, devient difficile à trouver. "La grande scierie dans les années 90 a tout coupé. Je crois qu'il n'en reste plus beaucoup, c'est très rare de les voir ici."

Gagner sa vie 

De retour à son domicile, Waia Marempon écorce son morceau de bois. Il est l'un des rares à pouvoir vivre de son art. "Je suis un mec sans bagage, je n'ai pas de diplôme. Alors pour me faire des sous j'ai appris à sculpter, pour qu'en même temps l'argent rentre à la maison, pour sauvegarder notre patrimoine culturel et partager."

Le métier de sculpteur attire peu, et rares sont ceux qui en vivent. Depuis l'ouverture du centre culturel il y a quarante ans, des artistes "ont été contraints de chercher un autre travail pour subvenir à leurs besoins", admet Jean-Mathias Djaiwe, directeur du centre culturel provincial Go ma Bwarhat. 

S'adapter au marché

Les sculpteurs toujours en activité s'adaptent pour répondre à la demande des clients, en créant des modèles réduits à vocation ornementale. Albert Tein reconnaît que "la sculpture est devenue un objet commercial".

Dynamiser la sculpture et faire vivre ce savoir séculaire, un travail de longue haleine que mène une poignée de passionnés, sur la côte Est de la Nouvelle-Calédonie.