Crise en Nouvelle-Calédonie. “On a l’impression qu’on nous a laissé tomber” : des élèves toujours sans solution de transport scolaire

Moins de lignes, un ticket à 500 F : face à la refonte du réseau de transport en commun du Grand Nouméa et aux difficultés financières, des familles et des jeunes peinent à trouver des solutions de transport pour aller à l’école. Témoignages, à l'approche imminente de la rentrée.

À 17 ans, Samanta* est prête à arrêter l’école. Elle rêve pourtant de devenir prothésiste dentaire. Mais à moins d’une semaine de la rentrée, la Bouraillaise n’a toujours pas trouvé comment aller au lycée Blaise-Pascal, à l’Anse-Vata. Faute de place à l’internat, elle doit être hébergée par des proches à Dumbéa. De là, il lui faudrait prendre trois bus pour aller en cours. Avec la refonte du réseau et des horaires, “je ne sais pas si j’arriverais à l’heure tous les jours”, s’inquiète-t-elle.  

Alors, elle a posté une demande de covoiturage sur les réseaux sociaux, où les groupes de mises en relation se sont multipliés depuis les violences de mai. “Un transporteur privé m’a proposé 7 000 F la semaine”, c’est la seule réponse qu’elle a eue. À ce tarif-là, ne vaut-il pas mieux essayer de chercher un appartement près du lycée ? Mais “sans aide au logement, on ne pourra peut-être pas payer tous les mois”, s’inquiète-t-elle, dénonçant un manque de soutien des institutions. “Avec mes parents, on a l’impression qu’on nous a laissé tomber. 

“Beaucoup de gens profitent de la situation” 

L’année dernière, elle vivait à Magenta plage, chez des proches. Quand les tarifs du bus sont passés à 500 F le ticket, elle a commencé à faire les trajets à pied. Des trajets de près de deux heures, assure-t-elle. “Quand j’étais trop fatiguée ou qu’il faisait nuit, je prenais le bus.” Elle a aussi essayé “Taxi mille”, mais “plusieurs fois, on m’a posé des lapins et comme ce n’est pas officiel, je ne me sentais pas toujours en confiance. 

En postant une annonce sur “Elève recherche transport”, j’avais trouvé une dame très gentille qui m’emmenait régulièrement pour 3 000 F la semaine.” Un peu plus cher que du covoiturage mais c’est l’offre la plus acceptable qu’elle ait reçue. “Beaucoup de gens profitent de la situation”, estime-t-elle.

Face aux difficultés financières, “il y a plein d’élèves dans le même cas que moi qui ont arrêté l’école”, remarque-t-elle avec tristesse.  

L’alternative, c’est que je ne verrai mes fils plus que deux week-end par mois

Priscilla, maman de trois enfants

Je n’ai pas l’esprit tranquille”, confie Priscilla, maman de trois enfants. Elle espère encore trouver un covoiturage pour les deux plus grands, scolarisés au collège de Normandie et au lycée Jules-Garnier. Au moins pour l’aîné. “Ce n’est pas possible que personne ne fasse le trajet Magenta-Nouville", s’étonne-t-elle. Séparée du papa, elle les a une semaine sur deux. “Je commence le travail à 6 heures, je ne peux pas les déposer à 5 heures...” Jusque-là, ils prenaient le bus le matin, elle venait les chercher le soir.  

“Ça risque d’avoir des conséquences sur leur scolarité” 

L’augmentation des tarifs du bus a changé la donne. “Avant, je leur mettais 2 000 francs par mois sur leur carte de car, ça leur suffisait.” Là, 5 000 francs seront nécessaires. “Plus la cantine, ce n’est pas possible pour moi. D’où mon annonce.” Elle n’a eu qu’une proposition, à 15 000 francs, pour le grand.  

Le deuxième devra rester chez grand papa et grand maman, qui le conduiront. L’alternative, c’est que je ne verrai plus mon fils”, déplore-t-elle. Ça risque d’être pareil pour l’aîné. “En dernier recours, il restera chez son papa, qui peut l’emmener. Je ne les aurai plus que deux week-ends, c’est trop peu pour moi”. Et pour eux, elle en a conscience. Impossible de faire ça toute l’année. “Ça risque d’avoir des conséquences sur leur scolarité”, mais comment faire autrement ? “L’étau se resserre, la rentrée est dans moins d'une semaine.L’appli de covoiturage Wigo, peut-être ? Lancée fin 2023, elle compte environ 400 utilisateurs actifs mais reste relativement méconnue du grand public.  

“Il faut que tout le monde y mette du sien” 

Emmanuelle Vaiagina, fondatrice et gérante de la société Bus magique, à Païta, assurait jusque-là le transport scolaire pour la commune, entre autre. Cette année, le service n'existe plus. Elle va essayer de desservir un maximum de quartier et d'établissements scolaires. Mais impossible d'assurer les mêmes fréquences de passage. Les collégiens et les lycéens devront par exemple faire bus commun. Quant aux tarifs, même en réduisant les charges au maximum, ils seront nécessairement plus élevés sans les subventions communales. 

Pour apporter des solutions adaptées, elle prône un travail commun entre transporteurs privés. Mais les besoins des familles sont encore difficiles à déterminer, estime-t-elle. “On ne pourra les connaître qu’en roulant”, donc après la rentrée. “Beaucoup ont déménagé, des habitudes ont changé.” Il faut qu’elles changent encore, poursuit-elle. “Que tout le monde y mette du sien.” Les transporteurs mais aussi les parents et les collectivités. "Tout le monde est touché par la crise. On ne peut pas avoir des gamins déscolarisés parce que papa et maman ne peuvent pas payer le bus”. 

*Prénom d’emprunt