Les champions le montrent dans toutes les disciplines : les Ultramarins sont les plus sportifs de France. Pourvoyeurs de médailles, les Outre-mer ont développé une culture du sport. Mais les obstacles sont nombreux. "Outre-mer, et si on bougeait les lignes ?" pose les défis du sport outre-mer.
Il se lève toujours à l’aube pour prendre la mer, dans le lagon de Bora-Bora en Polynésie française. Ancien champion de Va’a, Eric Moasen n’a jamais lâché "la rame" comme il dit, même s’il a vu la discipline évoluer. "C’est pas facile d’être champion aujourd’hui, explique le rameur, le niveau est très élevé. A l’époque, on avait des pirogues de 20 à 30 kilos en bois, après est arrivé le plastique, on est descendu à 15 kilos et ces dernières années, on a explosé avec des pirogues tout en carbone, de 8 kilos seulement !" La pirogue traditionnelle polynésienne à balancier est apparue il y a environ 100 ans. Elle est désormais un sport national avec environ 4 000 licenciés, près de 200 clubs, et des courses spectaculaires suivies avec ferveur dans les cinq archipels.
Un engouement qui en rappelle un autre. Embarcations traditionnelles initialement destinées à la pêche, les yoles rondes, avec leurs "bwa dressés" pour compenser la gîte du bateau sans quille ni dérive, sont de la même façon devenues des symboles de la Martinique. Chaque année, la dernière semaine de juillet, elles se lancent dans un tour de l’île par étapes, déchaînant la ferveur de milliers de supporters. Au point que les yoles ont été inscrites en décembre 2020 au patrimoine immatériel de l’UNESCO. Les Calédoniens, eux, ont littéralement adopté le cricket des voisins australiens et néo-zélandais. En Guyane, on se bat toujours pour sauver une tradition qui se perd, celle du suwa, cette lutte ancestrale pratiquée par les Bushinengués. La preuve en tout cas que cette culture du sport est bien enracinée dans tous les territoires.
Terres de champions
Les Outre-mer sont aussi et surtout terres de champions : Teddy Riner ou Lucie Decosse en judo, les athlètes Marie-José Pérec, Christine Arron ou Muriel Hurtis, Jackson Richardson ou Daniel Narcisse en handball, les footballeurs Raphaël Varane, Dimitri Payet, Thierry Henry ou Christian Karembeu, Laura Flessel ou Yannick Borel en escrime, pour ne citer qu’eux… La liste est longue et les palmarès impressionnants. Aux Jeux olympiques d’été de 2016, les sportifs ultramarins représentaient 12 % de la délégation française et 19 % des médaillés. A Rio, 17 Ultramarins au total sont montés sur le podium, en individuel ou par équipes, créant parfois la surprise comme la judokate martiniquaise Emilie Andéol qui a décroché la médaille d'or des +78 kg.
Les plus sportifs de France
Mais derrière tous ces porte-drapeaux du sport tricolore, c’est surtout une foule d’amateurs qui se bouscule. Les statistiques le prouvent : les Ultramarins sont sans conteste les plus sportifs parmi les Français. "Tous les deux ans, nous faisons un baromètre national sur les pratiques sportives qui permet de savoir si les gens ont pratiqué une activité sportive au cours des 12 derniers mois parmi toute une liste de disciplines, explique Amélie Mauroux, cheffe de la mission enquête, données et études statistiques à l’INJEP, l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire. Et c’est 8 sur 10 à La Réunion et à Mayotte et presque 8 sur 10 aussi aux Antilles et en Guyane, alors qu’en France, on est plutôt autour de 66 %. Donc c’est 10 points de plus que la moyenne nationale et c’est plus que toutes les autres régions !"
Moins de licenciés en club
Les Outre-mer, champions toutes catégories ? Pas vraiment. Le nombre de licences pour 100 habitants dans les Départements d’Outre-mer reste en fait très inférieur à la moyenne nationale qui est de 22,4 %, 17,2 % à La Réunion, 15,1 % en Guadeloupe, 14,9 % en Martinique, 12,4 % en Guyane et 10,2 % à Mayotte. Seul Saint-Pierre-et-Miquelon fait exception à la règle avec un taux de licenciés de 42 % ! "Il y a un indéniablement engouement pour la pratique sportive dans l’archipel, confie Michaël Lustig, chef du Pôle de cohésion sociale, jeunesse, sport et vie associative à la préfecture. Nous sommes plutôt bien dotés en matière d’offres sportives. C’est vrai qu’on a un grand un grand panel de disciplines. L’autre explication tient au climat. Ici il y a un principe de saisonnalité des saisons sportives. Il y a très peu d’activités que l’on peut pratiquer sur une année longue. Beaucoup de jeunes sont donc licenciés dans plusieurs clubs. Dans la tranche des 10-13 ans par exemple, pour 100 jeunes, on a 143 licences !"
Manque d’équipements sportifs
Les Outre-mer souffrent également d’un déficit d’installations sportives. En France, selon les chiffres-clés du sport 2020 de l’INJEP, on dénombre 46 équipements sportifs, sites et espaces de sports de nature pour 10 000 habitants. Ce chiffre chute à 31 en Guadeloupe, 26,7 à la Martinique, 29,3 en Guyane, 33,4 à La Réunion ,12 seulement à Mayotte, 38,7 en Nouvelle-Calédonie, 35,7 en Polynésie française, 16,3 à Saint-Barthélémy, 7,6 à Saint-Martin. Les habitants de Saint-Pierre et Miquelon et Wallis et Futuna peuvent s’estimer heureux avec un ratio de 58,3 et 58,8 équipements pour 10 000 habitants. Et il s’agit d’une moyenne car la cartographie en ligne de L’observatoire territorial du sport et de la jeunesse montre encore des disparités au sein même des territoires !
Des performances fragiles
Annoncé en 2016, un plan de rattrapage, de 80 millions d’euros sur quatre ans, pour les équipements sportifs outre-mer, porté par le ministre des Sports de l’époque Patrick Kanner, avait pourtant suscité beaucoup d’espoirs. Après un effort de plus de 20 millions d’euros en 2017, les financements ont pourtant été revus à la baisse dès l’année suivante. Fin 2018, un rapport d’information du Sénat a fait un état des lieux complet et s’est inquiété d’un certain nombre de freins et d’obstacles : le coût des licences pour les familles, la faiblesse de l’encadrement qualifié, le manque de soutien aux associations et à leurs bénévoles, et surtout l’insuffisance des équipements sportifs et leur vétusté.
À Mayotte, par exemple, vous n’avez pas de terrain de football homologué et c’est compliqué. Il y a bien un CREPS à La Réunion, on est bien doté, il y a un CREPS aux Antilles, on est bien doté, ailleurs il n’y en a pas
Pointé aussi, du doigt, le problème des déplacements. "Être aussi loin de tous les grands centres de compétition, ça impacte énormément le budget des clubs et des ligues, souligne Catherine Conconne, sénatrice de Martinique et co-rapporteure. Et derrière, il faut que les collectivités soient réactives, anticipent et mettent à disposition des budgets parce que c’est en allant se frotter aux autres qu’on progresse, qu’on fait des performances et qu’on fait monter le haut-niveau."
30 recommandations pour "rester dans la course"
"Quels tremplins pour le sport en outre-mer ?" C’était la question posée à l’arrivée. Les sénatrices y ont répondu par 30 recommandations pour soutenir le développement de la pratique sportive, pour poursuivre le rattrapage en termes d’infrastructures sportives dans les territoires, pour assurer les moyens de la performance, pour valoriser le sport comme patrimoine culturel et permettre le rayonnement des Outre-mer. Des propositions applaudies par le monde sportif partout en outre-mer mais qui, trois ans après, n’ont pas été vraiment suivies d’effets.
Seul le "pass’sport" pour les jeunes (recommandation n°4), comme cela a pu être fait à l’initiative du département de la Guadeloupe il y a déjà plusieurs années, va enfin voir le jour. En mai dernier, Emmanuel Macron a ainsi annoncé la mise en place au niveau national, dès septembre, de cette aide de 50 euros pour faciliter l’accès des 6-18 ans à un club de sport.
"Nous avons eu des conditions sanitaires ces deux dernières années qui n’ont pas permis de voir les évolutions, reconnaît Viviane Malet. On compte beaucoup forcément sur le plan de relance. Lorsqu’elles entreprendront la rénovation d’une école, les collectivités peuvent très bien en profiter pour refaire un plateau sportif…"
Des obstacles et des défis
Peu à peu, le monde du sport se réveille. Les compétitions reprennent et à quelques semaines de l’ouverture des Jeux de Tokyo, les espoirs de médailles renaissent. Avant ce grand rendez-vous olympique, "Outre-mer, et si on bougeait les lignes ?" propose un tour de la planète sport vue des trois océans avec l’aide des rédactions du réseau des 1ères. Pour aller plus loin, Karine Zabulon, présentatrice de l’émission a sélectionné des experts : Antoine Chérubin, ancien directeur national adjoint de la Fédération d’Athlétisme et ancien directeur du CREPS de Guadeloupe, Jean-Philippe Gatien, double médaillé olympique en tennis de table et Directeur du comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques d'été de Paris 2024, et le Docteur Hubert Tisal, ex-médecin de l’Institut National du Sport et de l’équipe de France de Karaté. Elle ouvrira aussi le débat sur ces défis et obstacles pour le développement du sport outre-mer : Laura Flessel, l’escrimeuse aux cinq médailles olympiques et ancienne ministre des Sports, Maguy Moravie, maître de conférences associée à l’université des Antilles, qui s’est intéressée aux Yoles rondes de la Martinique, et Patrick Karam, président d'honneur du Créfom.
L’émission sera diffusée prochainement sur les antennes des 1ère et sur le Portail des Outre-mer. Réagissez ou posez vos questions à redaction.outremer@francetv.fr