Comment adapter sans trahir ? Comment adapter un roman en partie controversé à sa publication parce qu’il y décrivait une réalité que certains ont eu (ont encore) du mal à admettre ? Comment mettre en images cette violence qui culmine dans le livre par des scènes-chocs mises en mots sans concession par l’écrivain ? Ce sont là les questions qui se sont posées au réalisateur Manuel Schapira quand, après une adaptation en bandes dessinées, une autre en pièce de théâtre, s’est présentée l’opportunité pour lui d’en faire un film. Son premier long-métrage qui plus est. C’est cette expérience qu’il nous raconte dans l’Oreille est hardie.
Découverte, coup de cœur et adaptation
Et tout est arrivé par le biais d’une autre romancière : Delphine de Vigan. C’est elle, l’autrice de Rien ne s’oppose à la nuit ou de D’après une histoire vraie, qui tend le roman de Natacha Appanah Tropique de la violence à Manuel Schapira, en lui assurant que cette histoire est faite pour lui. Manuel Schapira ne connaît alors rien à Mayotte, ne s’y est jamais intéressé comme la plupart des Hexagonaux pour qui cette terre de France reste "terra incognita". Lecture, premières moutures d’adaptation en scénario puis premiers séjours à Mayotte : sur place, c’est la stupeur et le coup de foudre pour cette terre de l’océan Indien où tout est à raconter.
Manuel Schapira et Delphine de Vigan poursuivent l’écriture du scénario. Reste à convaincre des producteurs et des investisseurs de la viabilité du projet, ce qui n’est pas une mince affaire. Car tourner à Mayotte coûte cher, l’absence d’infrastructures et d’organismes d’accueil de tournages rendent les coûts élevés mais qu’à cela ne tienne : le projet est signé, lancé et tout se met en œuvre pour tourner la majeure partie des scènes à Mayotte, d’autres scènes complémentaires à La Réunion.
Une fiction tournée à Mayotte
La majeure partie de l’action du film se déroule dans Kaweni, l’un des quartiers les plus pauvres de Mamoudzou surnommé par ses habitants eux-mêmes Gaza. C’est là qu’il faut tourner le film, nécessité d’autant plus forte qu’il serait absurde de recréer ce qui est justement l’un des arguments et du roman et du film : montrer Mayotte, regarder cette terre, ce département français dans les yeux, avec ses propres failles et celles de l’état français qui laisse une partie de son territoire ainsi en errance.
Voir en images, sur grand écran, l’histoire du jeune Moïse, 14 ans, livré à lui-même après la mort de sa mère adoptive, en proie à la violence des bandes d’adolescents et d’adultes vivant dans ce ghetto de Gaza, constituait déjà un pari difficile à relever. Réussir à convaincre la population des quartiers de participer au film en a été un autre. Il aura fallu l’entremise d’un journaliste et musicien du cru, Papa Mwengne, vivant en Métropole mais revenu pour l'occasion, pour guider l’équipe de tournage et faciliter le contact entre elle et les jeunes. Ces derniers, du coup, ont pris part au tournage et jouent les figurants : ce sont vraiment eux, issus de ce quartier de Kaweni et d'autres quartiers sensibles de l'île, que l’on aperçoit tout au long du film.
À l’entendre en parler, le réalisateur Manuel Schapira en tire une fierté, même si ça n’a pas été simple tous les jours. Fierté laissant place à l’émotion quand, il y a quelques semaines, il a pu montrer, sur place à Mayotte, le résultat et le film fini. Ce pari là semble-t-il a été réussi. Regardez la bande-annonce du film :
Tropique de la violence, un premier film à voir
Il y a donc une sincérité et une authenticité dans ce long métrage : pour une première fois qu’un tel projet est mené à Mayotte, c’est à prendre en compte en voyant Tropique… qui a le charme des premiers films. En se concentrant sur la seule histoire du jeune Moïse - là où le roman portait plusieurs voix - il y a fatalement quelques ruptures dans le rythme mais globalement on reste attaché au sort du jeune garçon tant ce qu’il vit et comment il survit, nous happe.
Mention au tout jeune acteur Gilles-Alane Ngalamou qui incarne Moïse et mention spéciale pour celui qui joue le rôle du tyrannique Bruce, Fazal Bacar-Moilim, repéré sur place, qui n’avait jamais joué quoi que ce soit de sa vie et qui même a appris à lire et écrire pour les besoins du rôle. Plus rompus à l’exercice, les acteurs Céline Salette et Dali Bensallah complètent le casting, mélangeant ainsi comédiens débutants et professionnels avec les quelques déséquilibres que cela engendre parfois.
Tropique de la violence, à voir donc, si vous avez aimé le roman dont il ne faut pas vous attendre à une transposition mais bien une adaptation. À voir aussi pour découvrir à travers une bonne histoire ce qui est irrémédiablement la part sombre de Mayotte même si celle-ci ne constitue pas l’intégralité de ce que Mayotte a à offrir. Ce film Tropique de la violence peut ouvrir la voie à d’autres idées de tournage, c’est tout le bien qu’espère aussi son réalisateur Manuel Schapira…
Écoutez le réalisateur Manuel Schapira dans l’Oreille est hardie, c’est par ICI !
Ou par là :