ENTRETIEN. Azerbaïdjan : "il faut séparer le combat pour l'autodétermination propre au Tavini Huiraatira de la gestion des affaires du pays" se défend Moetai Brotherson

Le président du pays invité sur le plateau de Polynésie la 1ère le 26 janvier 2025.
Accords entre l'Azerbaïdjan et le Tavini, l'ice qui gangrène la Polynésie, jeux du Pacifique... Plusieurs sujets ont été abordés avec Moetai Brotherson sur le plateau de Polynésie la 1ère dimanche 26 janvier. Le président du pays prend ses distances par rapport au combat indépendantiste mené par le parti dont il est membre. Quant à l'ice, il s'en remet à l'État pour renforcer les sanctions.

Maruki Dury : Le ministre des Outre mer, Manuel Valls, accuse l'Azerbaïdjan de mener des opérations de déstabilisation en soutenant les mouvements indépendantistes français. Le Tavini a pris part à ce groupe d'initiative de Bakou. Est-ce que vous en avez parlé avec le ministre Valls dans son bureau quand vous l'avez rencontré ?

Moetai Brotherson : Bien sûr. Mais d'abord rappeler tout de même que les pe'ape'a entre la France et l'Azerbaïdjan ne sont pas à l'origine causés par les collectivités d'outre mer. C'est bien le conflit dans le Haut-Karabakh et les relations autour de l'Arménie qui sont la cause de ces tensions diplomatiques, avec la réponse du berger à la bergère, puisqu'à l'époque c'était l'Azerbaïdjan qui accusait la France d'ingérence dans ses affaires internes. Ça, il faut quand même le rappeler.

M.D : Mais est-ce que le Tavini n'est pas instrumentalisé finalement ?

M.B : Il faudra poser la question aux dirigeants du Tavini. Moi je suis adhérent du Tavini, je n'ai jamais visité l'Azerbaïdjan, c'est certainement un très beau pays. J'en ai parlé avec Manuel Valls. Mon message il est simple, il est clair, c'est le même depuis le début de mon mandat, c'est de dire : il faut ouvrir les discussions aux Nations unies multilatérales avec autour de la table la France, les partis indépendantistes, les partis autonomistes. C'est le meilleur moyen finalement d'éviter ce genre de manœuvres.

M.D : Et qu'est-ce qu'on pense de cette déclaration de Manuel Valls ? Vous êtes membre du Tavini.

M.B : Là encore, il faudra poser la question au Tavini. (...) Moi en tant que membre du Tavini, ça ne m'étonne pas que le ministre des Outre mer réagisse comme ça, ça ne m'étonne pas du tout.

M.D : Comment on peut travailler dans ces conditions quand on sait que l'État avec qui on discute est fâché, indirectement, avec vos positions politiques ?

M.B : Je pense qu'on travaille très bien avec l'État depuis le début de ce mandat. Il n'y a pas de raison que ça change. Il faut séparer ce qui relève du combat pour l'autodétermination et pour la souveraineté, propre au Tavini Huiraatira, de ce qui est de la gestion des affaires du pays. 

M.D : Pour vous, on laisse comme ça...

M.B : C'est pas qu'on laisse comme ça. Il faut justement que l'État mette en place ces discussions aux Nations Unies. C'est ce que j'ai demandé depuis le début. C'est ce que j'ai redemandé à Jean-Noël Barrot et à Manuel Valls et au Premier ministre (François Bayrou, NDLR). Le plus tôt ça se fera, le moins on entendra parler de l'Azerbaïdjan. 

M.D : Donc c'est normal que le Tavini travaille avec l'Azerbaïdjan... Vous avez évoqué le contrat de développement et de transition des communes lors de votre visite avec Manuel Valls. Vous attendez confirmation des crédits. Mais pour la Polynésie, il faudrait combien ? 

M.B : Ce n'est pas dans ce sens-là que la question se pose. Nous avons signé deux contrats. Contrat, c'est un mot qui a, je pense, une importance en français.(...) Un contrat entre l'État et le pays. Le premier volet, c'est sur les communes et le second volet, c'est sur les opérations du pays, dont une grande partie est fléchée vers les investissements à réaliser pour les Jeux du Pacifique. C'est important. Nous avons eu la mauvaise surprise en décembre d'apprendre, trois jours avant les arbitrages que l'Etat avait divisé par plus de deux, sa contribution au CDT des communes. Les motifs invoqués n'étaient pas vraiment clairs. Je crois que le Haut-Commissariat n'avait pas non plus toutes les informations, c'est le résultat de l'instabilité à Paris. C'est pour ça que j'ai voulu faire le point avec les ministres pour leur dire : écoutez, voilà ce qui s'est passé. Est-ce que ces sommes sont perdues à jamais ? Est-ce qu'elles vont revenir ? Si oui, est-ce qu'elles vont revenir dans leur intégralité ? On a besoin d'avoir ces confirmations. Les tavana ont besoin d'avoir ces confirmations parce que les arbitrages qui seront rendus cette année en 2025 ne seront pas les mêmes suivant les nouvelles. C'est la même question pour le CDT Pays puisque la tenue des jeux du Pacifique est conditionnée par ces investissements. Si on ne peut pas les faire à un moment donné, il faudra que l'Etat assume le fait que les jeux du Pacifique ne se tiendront pas.

M.D : Justement, en parlant des Jeux du Pacifique. Les travaux sont déjà en retard. Cet argent est donc essentiel si on comprend bien. Sinon, les Jeux ne pourraient pas avoir lieu.

M.B : Les travaux ne sont pas en retard, ils ne sont pas en avance ça c'est sûr. 

M.D : Ils n'ont pas commencé tout simplement !

M.B : Non, ils ont commencé. Quand vous faites des travaux, il faut d'abord faire des études, des appels d'offres. Tout ça, c'est lancé. Donc pour l'instant, on est dans les temps et on est dans les clous. Les sommes qui seront attendues autour de cet instrument financier qui est le contrat de développement pour la partie pays, si ces sommes sont rabotées, ou si elles n'arrivent pas dans ce qui était prévu par le contrat, oui, nous serons en difficulté à ce moment-là. Le pays devra évaluer les choses et peut-être prendre la décision finalement de renoncer à l'organisation des Jeux. Je crois que diplomatiquement, pour la France, ce serait quelque chose de très dommageable.

M.D : Et de très mal vu aussi pour la Polynésie dans le Pacifique. Moetai Brotherson, vos relations avec la FRAAP. On l'a vu cette semaine, le Conseil supérieur de la fonction publique a voté pour l'augmentation du point d'indice des catégories D, au moins cinq points. Mais ça ne satisfait pas la FRAAP, qui a toujours d'ailleurs le préavis de grève en cours. Est-ce que vous avez des contacts avec eux ou est ce que vous trouvez qu'ils prennent en otage les négociations ?

M.B : Depuis mon retour, je n'ai pas été sollicité par la frappe. Je pense qu'ils attendent la décision qui sera prise au Conseil des ministres de Nuku Hiva pour se rappeler à notre bon souvenir. On verra à ce moment-là. Moi, ma porte est toujours ouverte aux gens de bonne volonté et respectueux.

M.D : Une question sur le sucre. Depuis le 1ᵉʳ janvier, les prix des produits sucrés a augmenté. C'est le résultat de cette augmentation de TVA. Qu'est-ce que vous dites aux familles modestes qui nous regardent ce soir et qui continuent d'acheter des produits sucrés et qui du coup payent plus cher et donc dépensent plus d'argent ?

M.B : Je pense qu'il y a un changement de comportement qui est non seulement nécessaire, mais qui est indispensable. Tout ce surcroît de sucre que nous avons dans notre alimentation se paye en dizaines de milliards dans la facture d'assurance maladie que nous payons tous au final. Donc il faut savoir ce qu'on veut. Est-ce qu'on veut un peuple polynésien malade dans son intégralité ? Il est déjà malade aujourd'hui. Les chiffres des Carnets rouges sont là pour nous le rappeler. Le montant des maladies liées à la trop forte consommation de produits sucrés est là pour nous le rappeler. C'est en dizaines de milliards. Donc il faut changer son comportement. 

M.D : Est-ce qu’augmenter les prix, c'est la seule solution ? En parallèle, est-ce que les politiques publiques sont adaptées ?

M.B : Ce n'est pas la seule solution. Il faut faire plus d'éducation à la santé, d'éducation alimentaire. C'est un des volets du programme des Fare Ora que nous continuons à développer. Il va y avoir d'ici la fin de l'année des formateurs à l'alimentation qui vont être déployés dans les quartiers pour là aussi faire de l'éducation alimentaire. Il faut travailler sur tous les volets. 

M.D : Les carbass de la Fédération de car audio de Polynésie ont enfin pu faire monter les décibels, à Motu Uta. Les enceintes ont frissonné aujourd'hui. Mais avant cela, tous les usagers ont dû se faire fouiller par la police et le chien antidrogue. (...) Et lors des fouilles, deux véhicules ont été arrêtés pour possession de cannabis, mais en infime quantité. Moetai Brotheron, les carbass autorisées exceptionnellement à se réunir à Motu Uta. Est-ce qu'on va pérenniser cela ?

M.B : Je pense qu'il vaut mieux. En tout cas, moi, c'est ce que j'ai vu cet après-midi. Je préfère les voir là, dans un cadre. Il n'y avait pas d'alcool, pas de drogue, pas d'enfants, pas de femmes enceintes. Tout ça, c'est, je crois. C'est de bon aloi. Je préfère les voir là qu'en bord de route, la nuit qu'au petit matin à Nivee. Nous avons décidé effectivement sur cette année de faire un test. Il y a huit dates prévues : quatre sur Motu Uta, quatre sur Atimaono en bord de mer en alternance pour pas que les choses se déroulent toujours tout le temps au même endroit. Ce que j'ai vu aujourd'hui, c'est une fédération bien organisée. Il y avait des responsables. Tout s'est très bien passé.

M.D : Moetai Brotherson, parlons de l'ice. Car l'année dernière, le pays a lancé une vaste enquête sur la consommation et le trafic d'ice en Polynésie. Les résultats sont connus. Ils ont été présentés. Qu'est-ce qu'il y a de plus marquant dans cette enquête ?

M.B : Ce qui est marquant et inquiétant, c'est, je dirais, la diffusion de l'ice dans notre société. De voir que finalement, on le trouve partout. Ce qui était à une époque une drogue de la "jet set" pour certaines soirées, aujourd'hui se retrouve dans tous les milieux avec une forte incidence en termes de délinquance puisque dès lors qu'on tombe dans l'ice, on perd tout discernement, tout respect pour son cercle familial et plus rien ne compte que d'obtenir sa dose d'ice.

M.D : Mais est-ce qu'on a des chiffres ? 

M.B : On a des chiffres. On ne va pas non plus faire l'apologie de ces chiffres. On les diffusera en temps utile. Mais ce qui est important, c'est de se dire qu'autour de l'ice, il y a plusieurs volets. Il y a d'abord le volet prévention. Il faut qu'on fasse de la meilleure prévention autour de cette drogue. Ensuite, il y a la prise en charge, je dirais, des personnes qui tombent dans l'ice elles-mêmes. Mais aussi il faut aider les gens qui vivent autour, la famille, les amis, les conjoints, etc. Et puis il y a le volet judiciaire. Aujourd'hui, si vous interrogez l'homme de la rue, je crois que le sentiment général, c'est que les peines prononcées contre les dealers d'ice ne sont absolument pas assez sévères. Ce n'est pas une compétence du pays, il faut le rappeler, c'est une compétence de l'Etat - la fixation des quantums de peines. La justice est une compétence régalienne. En revanche, je pense que le pays et nous allons le faire, peut exprimer un vœu dans ce sens-là, qui ensuite peut être relayé par l'Assemblée de Polynésie et par nos parlementaires.

M.D : Est-ce que la situation est critique selon cette enquête ? 

M.B : La situation est déjà préoccupante. Elle peut devenir critique.

M.D : Moetai Brotherson, dernière question sur les autonomistes qui ont célébré la victoire de Moerani Frebault aux dernières législatives. Est-ce que vous travaillez avec les parlementaires autonomistes actuellement, ou à l'avenir, sur des dossiers spécifiques ?

M.B : Il y a aucune raison de ne pas travailler avec vous.

M.D : Mais est ce que vous le faites vraiment ?

M.B : Oui, bien sûr. Il n'y a aucune raison de pas le faire. Maintenant, cette union, encore une fois, c'est une union de circonstance. On les entend toujours dire "il faut s'unir pour les élections", ce n'est pas pour le bien de la population, c'est pour les élections.

M.D : Mais en tout cas sur des dossiers spécifiques avec les parlementaires, Lana Tetuanui, Teva Rohfritsch, Moerani Frebault, Nicole Sanquer. Vous les portez conjointement ? 

M.B : Ça s'est vu lors de l'étude du PLF (projet de loi de finances), il y a des amendements qui ont été les mêmes, qui ont été portés par tous les parlementaires. Il y a des amendements de Mereana qui ont été repris par les sénateurs. Enfin, bon... ça se passe en bonne intelligence, il n'y a pas de souci, là-dessus.