Disparition de Robert Boulin : Gaston Flosse auditionné comme témoin

Gaston Flosse lors de la présentation de son nouveau parti.
L'ancien président Gaston Flosse a été auditionné le 10 janvier dernier dans le cadre de la disparition du ministre Robert Boulin, en 1979. Claude Guéant, actuellement jugé dans l’affaire des soupçons de financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy de 2007, a également été entendu le même jour par la juge d'instruction. Une information France Inter, révélée par nos confrères de Tahiti Infos.

Gaston Flosse, ancien président de la Polynésie durant 20 ans et proche de Jacques Chirac, n'a toujours pas pris sa retraite politique, malgré ses 93 ans et ses condamnations dans de multiples affaires. Son nom est d'ailleurs régulièrement cité dans l'affaire JPK, l'enquête sur la disparition du journaliste Jean-Pascal Couraud.

Deux figures de la Droite auditionnées dans l'affaire Boulin

L'affaire remonte à 1979. Robert Boulin, alors ministre du Travail et de la Participation sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, est retrouvé mort dans 50 centimètres d’eau, dans un étang de la forêt de Rambouillet, le 30 octobre 1979.

Ce membre du RPR (Rassemblement pour la République, ancêtre des Républicains), pressenti pour être Premier ministre, est à l’époque mis en cause dans une affaire concernant l’achat d’un terrain à Ramatuelle (Var). Des accusations auxquelles il disait s’apprêter à répondre, en menaçant également, selon certains témoins, de dévoiler des financements occultes du RPR en lien avec la Françafrique et le Gabon. L’enquête conclut rapidement à un suicide, ce que sa famille conteste depuis 45 ans.

Première figure de la Droite dans cette affaire, Claude Guéant. L'homme de 80 ans, est jugé depuis le 6 janvier dernier avec onze autres prévenus, dans l’affaire des soupçons de financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, en 2007. Ancien secrétaire général de l’Élysée de 2007 à 2011 et ministre de l’Intérieur de 2011 à 2012, il a été un proche collaborateur de Charles Pasqua et de Nicolas Sarkozy.

La seconde figure à comparaître, c'est Gaston Flosse. L'ancien président de la Polynésie durant 20 ans et proche de Jacques Chirac, n'a toujours pas pris sa retraite politique, malgré ses 93 ans et ses condamnations dans de multiples affaires. Son nom est d'ailleurs régulièrement cité dans l'affaire JPK, l'enquête sur la dispartion du journaliste Jean-Pascal Couraud. 

Gaston Flosse a lui aussi été entendu comme témoin, le 10 janvier 2025, par la juge Joëlle Nahon, qui instruit l’affaire Boulin.

Des incohérences dans l'affaire Boulin

À l’époque, le jeune Claude Guéant, 34 ans, est conseiller technique au ministère de l’Intérieur, dirigé par Christian Bonnet. Devant la juge et l’avocate de Fabienne Boulin, la fille du ministre, qui l’interrogent sur cette matinée du 30 octobre 1979, l’octogénaire se souvient d’une réunion convoquée place Beauvau : "J'ai l'impression que cette réunion a dû se tenir vers 8h du matin. La communication du ministre portait uniquement sur la découverte du corps de Robert Boulin, ce qui constituait un séisme politique (…). Dans mon souvenir, le ministre nous informait de la découverte du corps cette nuit-là."

Or, la version officielle, inscrite noir sur blanc dans les procès-verbaux de l’époque versés au dossier, fait état de la découverte de la voiture du ministre à 8h35, et de son corps à 8h40. 

C'est absolument incompatible avec le fait que le ministère de l’Intérieur, lui, ait été informé de la découverte du cadavre de Robert Boulin dans la nuit ", constate Marie Dosé, avocate de Fabienne Boulin, qui souligne que Claude Guéant a répété cette version d'une découverte dans la nuit "à plusieurs reprises " lors de son audition.

Près d’un demi-siècle après les faits, le haut-fonctionnaire vient donc confirmer la thèse selon laquelle les autorités ont menti sur la véritable heure du décès Robert Boulin, et accrédite la piste d’un assassinat commandité en haut-lieu.

En 2007, l’ancien ministre de l’Intérieur, Christian Bonnet (mort en avril 2020), avait également confié avoir été prévenu de la découverte du corps de Robert Boulin "entre deux et trois heures du matin", prévenu par son directeur de cabinet Jean Paolini.  L’ancien Premier ministre Raymond Barre (mort en août 2007) explique lui aussi avoir été prévenu "à trois heures du matin" par l’un de ses collaborateurs.

Interrogé sur le fait que plusieurs anciens responsables gaullistes, tels qu’Olivier Guichard, Alexandre Sanguinetti ou Bernard Pons, ont déclaré ne pas croire au suicide de Robert Boulin, Claude Guéant répond : "Sans doute avaient-ils leurs raisons pour émettre cette appréciation. Personnellement, ne connaissant pas ce dossier, je n’ai pas d’opinion."

"Cela fait 10 ans que nous sollicitons l’audition de Claude Guéant, depuis la nouvelle ouverture de l’information judiciaire que nous avons obtenue en 2015", explique Marie Dosé. L’instruction semble avoir connu une accélération depuis 2022, et l’irruption d’un nouveau témoin accréditant la thèse de l’assassinat.

Audition de Gaston Flosse

Entendu ce même 10 janvier en visioconférence depuis la gendarmerie de Papeete, en Polynésie française, Gaston Flosse, a été lui aussi prié de replonger dans ses lointains souvenirs devant la juge d’instruction.

Car, en tant que député de Polynésie, il est le dernier à avoir rencontré Robert Boulin avant sa mort, à son ministère, le 29 octobre 1979. Boulin annulera le rendez-vous prévu ensuite avec le syndicat CFTC, avant de quitter son ministère avec une pile de dossiers qui ne seront jamais retrouvés.

"Je me rappelle que c’était l’après-midi entre 16 h et 17h", explique l’ancien président de la Polynésie française. L’agenda de Robert Boulin indique en réalité que ce rendez-vous était prévu à 15 h, ce que confirme d’ailleurs à l’époque Gaston Flosse dans la presse.

Que se sont dit les deux hommes ce jour-là ? Gaston Flosse explique avoir demandé "de [sa] propre initiative" un rendez-vous à Robert Boulin afin de discuter de la question de l’"emploi et la formation des jeunes" dans son territoire.

L’entretien s’est déroulé sans collaborateur. "Nous étions seuls", précise Gaston Flosse. En partant, Robert Boulin "[m’]a salué d’un geste de la tête en souriant ", il "n’avait pas l’air du tout de quelqu’un de préoccupé ", se remémore le nonagénaire, contrairement à ce qu’affirment plusieurs témoignages de l’époque. "Si ça avait été le cas, il aurait sûrement reporté notre rencontre. L’ambiance n’était pas celle de quelqu’un qui avait un projet comme celui-là", ajoute Gaston Flosse.

Gaston Flosse ne croyait pas à la version du suicide

À l’époque, le député de Polynésie est proche de Jacques Chirac (ce dernier est le parrain de l’un de ses enfants) et Charles Pasqua, lui-même lié au SAC, le Service d’action civique, chargé des basses besognes pour le RPR, et dont l’ombre plane sur la mort de Robert Boulin.

Gaston Flosse a-t-il su quelque chose des circonstances de la mort du ministre ? Devant la juge, il conteste être détenteur de la moindre information, et affirme ne jamais avoir évoqué ce décès avec ces deux hauts responsables du RPR : " Je venais d’être élu député, je devais absolument réussir (…) cette tâche qu’on m’avait confiée et je ne participais pas aux discussions politiques."

"C'est grotesque ", juge Marie Dosé, qui dénonce "un mensonge éhonté " : "Gaston Flosse serait le seul Français à n'avoir jamais évoqué la mort de Robert Boulin, qui plus est avec ses amis les plus proches, Jacques Chirac et Charles Pasqua ?" L’avocate interprète ce silence comme un signe de la responsabilité des deux hommes politiques dans cette affaire.

Pour autant, Gaston Flosse n’accrédite pas la version du suicide de Robert Boulin. Il dit avoir été "choqué " en apprenant que le corps du ministre avait été retrouvé, et "s’être interrogé sur ce qui avait pu pousser l’homme [qu’il avait] vu l’après-midi à se suicider quelques heures après [leur] entrevue.  " En moi-même, je n’y ai pas cru", ajoute-t-il. "Je n’ai toutefois pas remis en cause la version de son suicide et n’ai fait aucune déclaration."

Mais ce n'est pas le seul élément, dans cette affaire, qui semble avoir marqué l’ancien élu : "J'ai été très étonné de ne pas avoir été convoqué ni entendu jusqu’à aujourd'hui " dans cette affaire.

Une audition qui va peut-être faire bouger un autre dossier sensible dans lequel le nom de Gaston Flosse est cité : celui de la disparition en décembre 1997, à Tahiti, du journaliste Jean-Pascal Couraud (dit "JPK"), qui enquêtait...sur Gaston Flosse. Plusieurs gros bras au service de l’ex-homme fort de la Polynésie française ont été mis en examen. La famille de JPK réclame, jusqu’ici en vain, l’audition de Gaston Flosse dont le nom est cité à de multiples reprises dans cette affaire.