ENTRETIEN. « Le trafic d’ice est devenu très professionnel. Il y a un chef, des lieutenants...des goûteurs, des mules. » Yann Hausner, vice-procureur pendant 20 ans au parquet de Papeete.

EXCLUSIF. C’est un homme discret qui n’accorde pas d’interviews. Sa parole est donc très rare dans un domaine qui préoccupe la Polynésie, le trafic de stupéfiants. Pendant plus de 20 ans, au sein du parquet de Papeete, le vice-procureur de la République, Yann Hausner, incarnait la lutte contre les narcotrafics. Quelques jours avant de s’envoler pour Marseille vers de nouveaux défis professionnels, nous l’avons rencontré. Il nous a livrés son analyse sur la situation polynésienne. Rencontre.

C’est dans son bureau situé au premier étage du palais de justice de Papeete que nous avons rendez-vous avec Yann Hausner. Le vice-procureur de la République en charge du trafic de stupéfiants quitte Tahiti pour le tribunal judiciaire de Marseille. Il a encore quelques dossiers sur son bureau mais aussi un magnifique toere offert par ses collègues de travail et une sculpture en bois, témoignage de ses années de travail avec les enquêteurs de la police. Yann Hausner n’a pas l’habitude de parler aux médias. Une méfiance qui remonte à son passage à Bastia, en Corse, pendant les attentats terroristes. Après avoir passé 22 ans en Polynésie, il a accepté de se livrer...un peu. 

Vous étiez le magistrat du parquet en charge des problématiques liées au trafic de stupéfiants. Comment avez-vous vu évoluer ce trafic en Polynésie ?

Yann Hausner : On peut dire que le trafic de stupéfiants dans son ensemble a explosé. Il y a plus de quinze ans, ce n'était pas un sujet central, il concernait essentiellement le trafic et la consommation de cannabis. Aujourd'hui, le trafic de cannabis se porte, malheureusement, très, très bien. Il sert majoritairement soit à permettre à certains individus d'avoir un revenu, soit un revenu d'appoint, soit même un revenu important puisqu'il y a les trafiquants de cannabis qui arrivent en moyenne, selon les dossiers, à mettre en évidence que ce revenu peut s'établir entre 300 et 400 000 francs pacifique, pour ceux qui réussissent le mieux dans cette activité illicite. Et en même temps, le trafic du cannabis permet à d'autres individus, grâce aux trésors de guerre récupérés par celui-ci, à se lancer dans le trafic de méthamphétamine, à acheter de l’ice qui coûte cher sur le territoire, et à en retirer un bénéfice. 

Ceux qui se lancent dans le trafic d’ice, c'est vraiment pour la recherche d'un gain facile…

C’est la vie facile, bien sûr. Le trafic de méthamphétamine permet à quelqu'un qui est un importateur, on va prendre le haut du spectre, de réaliser une espérance d'investissement qui est multiplié par 100. On investit un et on espère retirer 100 fois plus que son investissement. Des dossiers ont même établi beaucoup plus que ce coefficient multiplicateur. Donc, il est certain que ce trafic permet des convoitises. Soit des trafics d'opportunité, parce qu'il y a aussi des gens qui se lancent quasiment du jour au lendemain dans un voyage aux Etats-Unis, pour investir dans l'achat de la méth et ainsi pouvoir la revendre sur le territoire. Soit il y a des trafics de plus en plus hiérarchisés aujourd'hui, et c'est toute la problématique du trafic de méthamphétamines sur le territoire.

 

Il y a un chef, il y a des lieutenants, il y a des petites mains, il y a des gens qui jouent le rôle de financiers, d'investisseurs, d'autres d’intermédiaires entre acheteurs et vendeurs, d'autres de conditionneurs, de goûteurs, des mules.

Yann Hausner, vice-procureur de la République

Qu’entendez-vous par « trafics de plus en plus hiérarchisés » ?

Par hiérarchie, ça signifie qu'il y a un chef, il y a des lieutenants, il y a des petites mains, il y a des gens qui jouent le rôle de financiers, d'investisseurs, d'autres d’intermédiaires entre acheteurs et vendeurs, de conditionneurs, de goûteurs, de mules. Donc, tout le monde joue un rôle dans ce trafic organisé. 

Est-ce qu'on peut dire qu'il y a une professionnalisation du trafic d’ice ?

Le trafic d’ice est devenu en Polynésie très professionnel. C'est-à-dire que vous avez les mêmes marqueurs qu'on retrouve en Métropole, l'usage des armes à feu et des règlements de compte mais sans les « narchomicides » tels qu'on les appelle en Métropole. Ça devient très professionnel parce qu’aujourd'hui, vous avez des liens très forts entre certains trafiquants et les réseaux mexicains. Le dossier « Sarah nui » qui date de 2018, établissait déjà ce lien entre les trafiquants et les membres du cartel de Sinaloa qui est le plus puissant du Mexique. Ce lien permettait d'acheter sur place au Mexique à un tarif très bas, la méthamphétamine et de la faire transporter par un système de mules et de la rapatrier sur le territoire. Mais aujourd'hui, ça va plus loin. On a des individus qui sont emprisonnés à Nuutania ou à Tatutu, qui dirigent leur trafic depuis la prison comme on le fait en Métropole avec des téléphones portables notamment. Ils réussissent à organiser leur réseau avec bien sûr des hommes ou des femmes à l'extérieur qui leur prêtent main-forte. Il y a derrière, une mise en place soit de corruption de certains agents de l'administration, soit, à l’inverse, des violences ou des menaces qui sont commises sur ce même personnel pour exiger d'avoir la paix ou d'avoir tous les moyens possibles pour l'organisation du trafic. Le fait d’être en prison ne vient pas tant que ça les importuner dans leur activité illicite.

On a des individus qui sont emprisonnés à Nuutania ou à Tatutu, qui dirigent leur trafic depuis la prison comme on le fait en Métropole avec des téléphones portables notamment. Ils réussissent à organiser leur réseau avec bien sûr des hommes ou des femmes à l'extérieur qui leur prêtent main forte. Le fait d’être en prison ne vient pas tant que ça les importuner dans leur activité illicite.

Yann Hausner, vice-procureur

Il y a quelques mois, lors d'un procès, l’un des mis en cause, Kiki love, bien connu pour avoir importé plus de 20 kg d'ice en Polynésie, a déclaré que les trafiquants d'aujourd'hui ne sont pas ceux d'il y a dix ans. Est-ce que les trafiquants sont devenus plus violents ?

Alors, la violence existait déjà il y a quelques années dans certains dossiers. Il n'y avait pas de « narchomicides », cependant il y avait quand même exhibition d'armes à feu, où des trafiquants étaient détenteurs de véritables armes à feu, des pistolets automatiques ou des revolvers. Mais la violence est de plus en plus importante avec des comportements qui consistent à menacer les familles de simples, on va dire « petits intermédiaires », lorsqu'ils ne font pas ce que le chef a décidé de faire, ou des violences sur des gens qui auraient détourné de l'argent avec des phénomènes de séquestration, d’aspersion d'essence sur les individus pour leur faire peur en les menaçant de mettre le feu. Cette violence n’est pas nouvelle mais elle est de plus en plus importante parce que l'appât du gain est de plus en plus important, parce que l'espoir de faire de l'argent est de plus en plus important, et parce qu'il n’y a pas de volonté aussi de se partager le territoire entre individus, entre réseaux.

Est-ce que vous avez éprouvé pendant ces années un sentiment d'impuissance face au raz-de-marée du trafic d'ice ?

Sentiment d’impuissance, jamais. Lutter contre le trafic de stupéfiants est toujours très difficile, comme dans d'autres matières illégales. On peut parfois avoir l'impression que l’on vide l'océan à la petite cuillère mais d'impuissance, jamais. Pourquoi ? Parce que la lutte contre le trafic de stupéfiants est une priorité nationale, est une priorité locale parce qu'il en va de la santé de la population, de la protection de la population contre les dérives liées à la consommation excessive de toute drogue, quelle qu'elle soit. Il en va aussi de la protection de la population face aux violences, contre les vols par exemple, ou d'autres activités illicites qui sont produites par les trafiquants ou les consommateurs qui recherchent de l'argent pour arriver, encore une fois, soit à assurer leur propre consommation, soit à la financer ou à organiser le réseau.

Avez-vous assez de moyens pour lutter contre les trafics ?

On n'a jamais assez de moyens, bien sûr. Mais on ne peut pas mettre un gendarme derrière chaque délinquant. Le travail est immense, mais ce n'est pas parce qu'on manque de moyens qu'on n'est pas efficaces et ce n'est pas parce qu'on manque de moyens qu'on est impuissants. Le fondement de notre action est l'investissement total et la disponibilité totale, H24, de tous les acteurs judiciaires.

Le Président du pays, Moetai Brotherson, a déclaré récemment sur Polynésie la première, que les peines prononcées contre les dealers d’ice, n'étaient pas « assez sévères ». C'est aussi votre sentiment ?

Non, je ne partage pas ce point de vue. Les peines sont sévères dans les affaires de trafic de stupéfiants, il y a régulièrement des peines comprises entre cinq et dix ans d'emprisonnement. Pour revenir sur le dossier « Sarah Nui », les deux trafiquants les plus importants ont été condamnés à treize ans d'emprisonnement parce qu'ils étaient en état de récidive légale et que dans ce cas-là, la loi prévoit la possibilité de doubler le maximum légal encouru. Après, certains pourront regretter que le maximum légal prévu par la loi pour sanctionner les trafiquants de stupéfiants n'est pas assez ferme, c'est possible. Mais en tout état de cause, il est important de rappeler que les peines prononcées par le tribunal correctionnel de Papeete sont fermes. On peut regretter d'autres choses, mais pas celle-là.

Que peut-on regretter alors ?

On peut regretter, éventuellement, que des individus se retrouvent en liberté, peut-être trop vite au goût de certains, c'est une possibilité, c’est une vision que je peux concevoir. Mais en tout cas, je reviens sur le sujet de l'emprisonnement et de la durée de l'emprisonnement prononcée par le tribunal correctionnel, cette durée est importante.

La saisie des avoirs criminels est certainement l'un des objectifs principaux de la répression contre la lutte des trafics de stupéfiants parce qu’il faut faire mal aux réseaux, il faut faire mal aux trafiquants et il faut pouvoir saisir et confisquer tous les biens acquis illégalement.

Yann Hausner, vice-procureur de la République

L’un des moyens que la justice utilise pour lutter contre le trafic de stupéfiants, c'est la saisie des biens des trafiquants. Il y a une étude qui est sortie en 2022 dans laquelle deux sociologues estimaient que cette saisie des biens est contreproductive car elle ne permettait pas de lutter contre la récidive. Vous pensez quoi de cette analyse ? 

Je ne partage pas non plus cette analyse, au contraire, aujourd'hui, la saisie des avoirs criminels est certainement l'un des objectifs principaux de la répression contre les trafics de stupéfiants parce qu’il faut faire mal aux réseaux, il faut faire mal aux trafiquants et il faut pouvoir saisir et confisquer tous les biens acquis illégalement. Il ne faut pas donner l'impression que ces gens-là restent impunis, et donc c'est un axe très, très, très important et prioritaire.

C'est la raison pour laquelle vous cherchez où se trouvent les butins des trafiquants, surtout s’ils ont importé d'importantes quantités d'ice ?

C'est primordial, cette recherche est très importante. Et quand on travaille sur des dossiers, sur des enquêtes au long cours, sur plusieurs semaines, sur plusieurs mois, il y a toujours une équipe d'enquêteurs qui travaillent sur cette recherche. Cette volonté de pouvoir, au moment de la phase opérationnelle, porter un coup presque fatal au trafic.

Vous avez beaucoup œuvré pour la coopération avec les autres pays du Pacifique pour lutter contre le trafic de stupéfiants. Pourquoi ?

La coopération régionale s'est développée depuis plusieurs années. Il y a quelques années, elle était très « intuitu personae » (nominative), ça n'était pas satisfaisant. Depuis plusieurs années, on a mis en place avec la police, la gendarmerie, l’antenne OFAST (l’Office Anti-Stupéfiants), les services de la douane, grâce au relais de la Direction centrale des services de la coopération internationale de la police avec le magistrat de liaison, notamment de Washington, avec les attachés de sécurité d'ambassade également, de pouvoir développer cette coopération qui est essentielle. Elle est policière. Elle s'est manifestée de manière officielle à travers les séminaires qui ont été tenus à Los Angeles, à Tahiti, à Nouméa, à Sydney plus récemment, où il y a une institutionnalisation des relations et qui permet justement un échange d'informations très fluide entre services de police et de gendarmerie, à la fois polynésiens et étrangers. Cet échange est à la base du démantèlement d'un certain nombre de réseaux.

La Polynésie est un vaste territoire, il y a donc beaucoup de portes d'entrée possibles qui permettent aux trafiquants de faire entrer de la méthamphétamine.

Yann Hausner, vice-procureur de la République

C'est donc un dispositif qu'il faut continuer à entretenir et développer…

C’est très important parce que la Polynésie est un vaste territoire, il y a donc beaucoup de portes d'entrée possibles qui permettent aux trafiquants de faire entrer de la méthamphétamine. Il faut absolument qu'on ait un coup d'avance, être, non pas réactif mais à l'initiative pour empêcher ces importations et pour cela le partage d'informations est primordial.

C’était le cas en décembre dernier sur cette saisie record de cocaïne ? 

C'est un autre pan de la lutte du trafic de stupéfiants en Polynésie qui est le narcotrafic de la cocaïne et le transport de cocaïne entre l'Amérique du Sud et essentiellement l'Australie. Et effectivement, grâce à un échange de renseignements, la France, au travers de la Convention de Vienne dont elle est un pays partenaire, a permis l'arraisonnement, la découverte, le rapatriement du bateau et de son équipage, de ses quatorze marins équatoriens, leur arrestation, la saisie des produits stupéfiants et bientôt leur jugement.

On a l'impression maintenant qu'il y a plus de méthamphétamines bloquées aux Etats-Unis, qui n'arrivent pas à entrer sur le territoire que de méthamphétamines découvertes sur le territoire. C'est grâce à cette coopération ?

Tout à fait. Il y a eu un certain nombre d'arrestations d'individus à Los Angeles sur des quantités importantes de produits stupéfiants, donc de méthamphétamines en l'espèce, qui s'apprêtaient à prendre l'avion à destination de la Polynésie et qui ont été arrêtés par la police ou les services de la douane américaine.

Le fentanyl, une drogue de synthèse dérivée de la morphine, fait des ravages aux États-Unis et se répand dans l’Hexagone. Est-ce qu’il est arrivé en Polynésie ? 

Personnellement, je n'ai aucune information sur la présence de ce produit sur le territoire.

Son arrivée est inévitable ?

On ne peut pas dire que c'est inévitable. Malheureusement, je pense que si la population polynésienne est intéressée par ce produit, il arrivera comme est arrivée la méthamphétamine. Si le Polynésien, le voyageur, a l'occasion de le goûter ailleurs qu'en Polynésie et participe au contraire à une publicité dénigrant ce produit, cela ne permettra pas un engouement comme on a pu le constater pour la méth.

Le procès un peu hors normes de Sarah nui [...] c'est un procès qui a duré deux semaines. Nous sommes habitués à avoir de lourds procès en Polynésie qui durent plusieurs jours, mais pas comme celui-là. Il y avait un dossier qui comportait 45 prévenus, il a été jugé en deux fois.

Yann Hausner, vice procureur de la République

Après plus de 20 ans passés en Polynésie, quelle est l'affaire qui vous a le plus marqué ?

En termes de trafic de stupéfiants, je dirais que c'est le procès un peu hors normes de Sarah nui puisque c'est un procès qui a duré deux semaines. Nous sommes habitués à avoir de lourds procès en Polynésie qui durent plusieurs jours, mais pas comme celui-là. Il y avait un dossier qui comportait 45 prévenus, il a été jugé en deux fois. Et le second procès-fleuve a duré deux semaines, il y avait 25 prévenus et une dimension internationale très importante, mais aussi une relation très importante entre les trafiquants, les chefs du réseau et le cartel de Sinaloa, avec un système de mules qui transportaient les stupéfiants, mais pas que des mules polynésiennes, elles étaient aussi américaines et vénézuéliennes. Tout ça dans le but, bien sûr, d'échapper aux contrôles. Ce trafic avait permis, à peu près, l'importation et la circulation d'une trentaine de kilos d'ice sur la Polynésie. C'est donc le trafic le plus important qu'on ait eu à connaître ici. 

Et un travail personnel important aussi pour vous…

Quand on travaille dans ce domaine, il n'y a pas toujours de vacances et pas toujours de week-ends. Il faut toujours être disponible pour les enquêteurs, il faut s'investir beaucoup mais d'une manière générale, quand on est au parquet, il faut s'investir dans la mission, parce que c'est une mission de service public, au service de la population donc on ne travaille pas pour soi mais pour les autres.

Combien de temps sur ce dossier Sarah nui ?

J'ai dû passer l'équivalent de 23 week-ends sur l'étude de ce dossier. Donc oui, ça fait beaucoup de temps.

Notre section syndicale n’a jamais communiqué de rapports écrits et confidentiels à la presse et n’a jamais lancé d’attaques personnelles contre quiconque, d’autres que nous l’ont pourtant fait, ce qui est regrettable.

Yann Hausner, vice-procureur de la République

Depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, le palais de justice de Papeete est sous le feu des projecteurs des médias nationaux et locaux. En tant que représentant syndical de la section Force ouvrière, que pouvez nous dire sur ces tensions ?

La section syndicale que j'ai eu l'honneur de représenter est un syndicat dont l’action est guidée par la défense des intérêts individuels et collectifs des magistrats mais toujours en respectant l’image et les intérêts de la justice et des justiciables. Notre section syndicale n’a jamais communiqué de rapports écrits et confidentiels à la presse et n’a jamais lancé d’attaques personnelles contre quiconque, d’autres que nous l’ont pourtant fait, ce qui est regrettable.

La durée du séjour des magistrats en outremer, notamment, est de plus en plus discutée. Vous avez passé plus de 20 ans en Polynésie, quelle est votre position sur cette question ?

Si le séjour des magistrats était limité, il n’y aurait pas de sujet à discussion. En Polynésie, ailleurs en Outre-mer, ou en Métropole, la réflexion porte sur la compatibilité entre l’exercice impartial et indépendant des fonctions de magistrat, au-delà d’une certaine durée de séjour. Le magistrat doit respecter un équilibre entre la proximité que celui-ci peut avoir avec la société dans laquelle il évolue au quotidien nécessaire pour mieux la comprendre et une certaine distanciation pour éviter toute instrumentalisation.

Dans votre domaine qui est la lutte contre les stupéfiants, c’est un avantage d’être sur le territoire depuis longtemps ?

C’est certain. C’est la mémoire qui permet de connaître les réseaux de pouvoir faire des liens entre eux et des recoupements dans les dossiers. C’est aussi permettre plus efficacement des stratégies d’enquête.

Vous avez eu une promotion, vous partez pour le tribunal judiciaire de Marseille, en tant que premier vice-procureur de la République. C’est une ville qui est gagnée par les trafics de stupéfiants et la guerre que se livrent deux gangs rivaux. C'est une problématique dont vous allez vous occuper ?

Oui, c'est ma volonté, justement. Il me reste encore quelques années à travailler, pas nombreuses. En partant de Polynésie, après toutes ces années investies dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, je voulais aller chercher un investissement encore plus important dans le trafic qui touche le cœur de la Métropole au travers de ce qui se passe malheureusement à Marseille dans ce domaine.

À quelques jours de quitter la Polynésie, qu'est-ce que vous allez retenir de ces 20 années passées ici et dans quel état d'esprit vous partez ?

Alors que du bonheur d'avoir été en Polynésie, un nouveau monde, une nouvelle culture qui n'a rien à voir avec ce que j'ai connu. Bien sûr en Métropole, même si je suis issu d'une culture méditerranéenne qui a une identité aussi spécifique et forte. Mais ici, ce que j'admire avant tout, c'est la bienveillance des Polynésiens, dans tout ce qui est noble dans ce terme. Dans l'accueil, dans la chaleur des Polynésiens, dans cette volonté profonde de faire plaisir, mais aussi de découvrir l'étranger que nous sommes, et ça, ça touche profondément l'être humain que je suis. Parce que ce sont avant tout les relations humaines qui tissent la vie en société. C'est notre fonctionnement, c'est notre travail au travers du parquet, comme je l'indiquais que d'être au service de la population. Et je l’ai fait d'autant plus de manière investie que j'ai senti dans la population polynésienne cette envie, ce désir de justice et donc c'était la moindre des choses que de le faire comme j'ai pu le faire en toute humilité.

Il y a autant en Corse qu'en Polynésie, une identité forte, une culture très forte, un enthousiasme de la part des individus qui y vivent, un sens de l'accueil.

Yann Hausner, vice-procureur de la République

Pendant votre séjour à Bastia, vous avez vécu deux faits importants : une tentative d’attentat, en 1996, et vous étiez dans le stade de Furiani en 1992, quand une partie de la tribune nord s’est effondrée. Comment ces événements vous ont influencé ?

Je ne veux pas m’étendre sur le côté terroriste de mon séjour en Corse. Ça s’est passé en 1996. C’était une période troublée avec malheureusement l'assassinat du préfet Erignac 18 mois plus tard. A Bastia, le travail était intense mais je ne garde surtout qu'une image positive de la Corse. Pour Furiani, il s’agit d’un accident, je fais partie des victimes «  virtuelles », j’étais présent mais je n’ai pas été blessé. Ce que je peux vous dire, c’est que ces expériences ont forgé ma détermination dans les épreuves professionnelles.

 Bastia et la Polynésie, ce sont deux expériences qui marqueront votre carrière ?

Oui, bien sûr, parce que j'ai passé deux séjours longs dans ces deux régions insulaires. La Corse est un endroit qui me tient à cœur également parce que c'est la Méditerranée, parce que j'y ai tissé là aussi des liens très forts et que j'ai toujours des idées de revivre en Corse, un jour ou l'autre. Mais la comparaison, c'est que justement, on y retrouve dans ces deux endroits très différents, une identité forte, une culture très forte, un enthousiasme de la part des individus qui y vivent, un sens de l'accueil… autant en Corse qu'en Polynésie.

Vous êtes un îlien finalement…

J'ai passé plus de temps de ma vie dans les îles qu’en Métropole, ça c'est certain.

Après 22 ans passés au palais de justice de Papeete, une fête a été organisée pour le départ de Yann Hausner.

Yann Hausner a quitté la Polynésie, ce mercredi 05 février. Il aura travaillé 22 ans au palais de justice de Papeete, mais il fût, le 31 janvier dernier, le grand absent des discours officiels prononcés lors de la rentrée solennelle du tribunal de première instance de Papeete. Joint, il nous a confiés surtout retenir la fête organisée par ses collègues de travail, certains ont même fait le déplacement depuis les Iles sous le vent. Pour les plus anciens, c'était " du jamais vu ".