Jeux du Pacifique, sécurité routière ou encore les journées des Océans, des thèmes qui étaient abordés ce matin, mardi 11 février, dans notre rubrique « Invité café ». Eric Spitz, Haut-commissaire de la République, était interrogé par Corinne Tehetia.
Interview :
Ia ora na et bienvenue dans notre studio. On va démarrer avec les Jeux du Pacifique qui vont se tenir au fenua. 24 délégations, plus de 4500 personnes sont attendues sur 2 semaines... C'est beaucoup. Comment allez-vous vous organiser en termes de sécurité ? Est-ce que vous allez faire appel à des renforts ?
C'est un enjeu capital, et je peux déjà vous dire maintenant que nous réussirons les Jeux du Pacifique, comme nous avons réussi les JO et l'image de la Polynésie française et de la France dans le Pacifique en sortira confortée. L'État met des moyens importants pour aider le pays à construire les équipements sportifs, puisqu'il y aura un plus de 20 disciplines, et qu'il faut par exemple trouver un nouveau stade nautique, puisque celui de Papeete ne fait que 49m90, et qu'il lui manque 10cm pour qu'on puisse y enregistrer les records.
Il y a un vrai sujet d'infrastructure, et on va y consacrer un quart du contrat de développement et de transformation. Récemment, sur le fonds de conception et d'investissement, nous avons lancé un appel d'offres qui est uniquement consacré aux Jeux du Pacifique, l'agence nationale du sport va co-financer une dizaine d'emplois qui vont être consacrés à l'organisation de ces Jeux. Elle va aussi financer un certain nombre d'équipements, et puis, bien évidemment, les forces de sécurité intérieure sont mobilisées.
il faut que les équipements soient prêts. Ensuite, nous disposons d'un certain nombre de compétences. Nous savons faire venir des renforts extérieurs, nous l'avons fait pour les JO et nous le referons en temps voulu le temps des Jeux du Pacifique
Eric Spitz, Haut-commissaire de la République
Il y a plusieurs phases, la première et la plus importante dans un premier temps : il faut que les équipements soient prêts. Ensuite, nous disposons d'un certain nombre de compétences. Nous savons faire venir des renforts extérieurs, nous l'avons fait pour les JO et nous le referons en temps voulu le temps des Jeux du Pacifique, mais vous pouvez compter sur nous pour que la fête soit belle.
Est-ce que vous avez réussi à chiffrer un peu le nombres de renforts dont on aura besoin dans 2 ans ?
Je n'ai rien contre les Savoyards ou d'autres personnes de la métropole, mais pour parler aux Polynésiens, il n'y a quand même rien de mieux que les Polynésiens
Eric Spitz, Haut-commissaire de la République
Il y a eu une évaluation des services de sécurité, notamment du renseignement territorial, quelques semaines avant les JO, mais à moins que la situation ne change complètement en Polynésie française, les principaux problèmes auxquels on est confronté ne sont pas des problèmes d'ordre du public, ce sont des problèmes de logistique, de circulation. Je privilégierais plutôt ce que j'ai fait pour les Jeux Olympiques, c'est-à-dire que je ne demanderai pas de renforts de gendarmes mobiles en provenance de la métropole, mais je demanderai une enveloppe pour payer des réservistes de la gendarmerie polynésiens pour régler les problèmes. Je n'ai rien contre les Savoyards ou d'autres personnes de la métropole, mais pour parler aux Polynésiens, il n'y a quand même rien de mieux que les Polynésiens.
Pour un tel événement, il faudra penser aussi aux moyens pour lutter contre les stupéfiants. Des moyens seront également déployés dans ce sens ?
Oui, ces moyens ont déjà été déployés, c'est ce qu'on appelle les opérations « Place nette », juste avant les JO, et ils continuent... Je vous rappelle qu'il s'agit d'arrachage de plans de cannabis, notamment avec 23 000 plans arrachés en 2024. C'est un tiers du nombre de plans arrachés au niveau national uniquement en Polynésie. Des démantèlements de réseaux, des démantèlements de points de deal, la surveillance cyber, des contrôles aussi dans les voitures... Ces opérations vont se poursuivre, mais les principaux progrès qu'on a pu observer au cours des derniers mois, c'est bien évidemment la coopération internationale.
100% des violences intrafamiliales le sont sur fond d'alcool. Donc il faut aussi s'attaquer à ce genre de fléau, qui est en fait le fléau numéro 1 au fenua.
Eric Spitz, Haut-commissaire de la République
Nous avons organisé une conférence internationale avec les garde-côtes en décembre, et vous l'avez noté, l'arraisonnement du voilier avec plus de 500 kg de cocaïne, s'est fait en liaison avec les autorités australiennes, tout comme un peu avant nous avions aussi affrété des navires avec les autorités américaines. Les Américains qui d'ailleurs arrêtent beaucoup de gens à LAX, des gens qu'on ne voit pas venir, ils les enferment directement ; des gens en position d'Ice.
Nous sommes pleinement mobilisés sur tous ces sujets, en n'oubliant pas quand même qu'il ne faudrait pas que l'arbre de l'Ice et du cannabis cachent la forêt de l'alcool. Parce que 100% des violences intrafamiliales le sont sur fond d'alcool. Donc il faut aussi s'attaquer à ce genre de fléau, qui est en fait le fléau numéro 1 au fenua.
Puisqu'on parle de drogues... Revenons sur ce fléau qui fait des ravages dans nos familles polynésiennes, l'Ice... Le président du Pays l'a annoncé sur ce plateau, ils formuleront un vœu pour qu'un travail de révision spécifique du quantum des peines liées au trafic d'Ice soit mis en place à Paris. Partagez-vous cette opinion ?
40% des SDF ont des problèmes mentaux. Il n'y a pas vraiment de centre de soins, de prise en charge, de l'addictologie. Toutes ces choses-là, il faut les faire, si on veut lutter contre ce fléau. Et là, pour le coup, c'est 100% de la compétence de la Polynésie.
Eric Spitz, Haut-commissaire de la République
Non, il y a un principe constitutionnel qui s'appelle « la séparation des pouvoirs » : pouvoir exécutif, pouvoir législatif et pouvoir judiciaire. J'observe simplement que les juges en Polynésie sont plutôt plus sévères, beaucoup plus sévères, et prononcent très rapidement des peines de prison ferme, beaucoup plus sévères qu'en métropole. Moi, j'observe ça. Je ne pense pas qu'en condamnant à 30 ans de prison toute personne qui a fait un trafic d'Ice, on règle le problème.
En revanche, je dis qu'il nous manque un endroit pour soigner les personnes qui ont des problèmes mentaux. Je rappelle qu'il y a 40% des SDF qui ont des problèmes mentaux. Il n'y a pas vraiment de centre de soins, de prise en charge, de l'addictologie. Toutes ces choses-là, il faut les faire, si on veut lutter contre ce fléau. Et là, pour le coup, c'est 100% de la compétence de la Polynésie.
Donc, c'est un appel qui est lancé au Président du Pays. Alors, autre problème, en Polynésie : la sécurité routière. Ce week-end, un homme d'une trentaine d'années a perdu la vie à bord de son scooter, samedi soir. C'est la première victime de la route en 2025 et on le voit sur la route et sur les réseaux sociaux des personnes qui n'hésitent pas à risquer leur vie en doublant notamment plusieurs véhicules. Que faire ? Pour changer les mentalités.
Alors, nous nous sommes réjouis d'un mois de janvier sans mort, ça faisait longtemps que ce n'était pas arrivé, malheureusement, effectivement, vous avez raison. À Mataiea ce week-end, un motocycliste de 33 ans a perdu la vie. Je me permets de revenir sur cet accident, parce qu'il symbolise 80% des accidents mortels en Polynésie française. C'était un homme seul, sur la route, il n'y avait pas de voitures, la chaussée était bonne, le temps était bon, cette personne se tue toute seule en sortant de la route. C'est malheureusement entre 60 et 80% des accidents mortels en Polynésie.
on n’a pas de fourrière. C'est une compétence du pays, on en parle depuis 20 ans. Pourquoi est-ce qu’il n'y a pas de fourrière ?
Eric Spitz, Haut-commissaire de la République
Nous ne pouvons pas mettre quelqu'un devant chacune des personnes. Mais je pense qu'il faut s'attaquer au problème de fond, c'est ce que nous avons dû faire, en organisant avec la Polynésie française un séminaire sur la sécurité routière. Ce n'était pas un séminaire pour faire un séminaire, c'était un séminaire pour trouver des solutions. Et ces solutions, elles relèvent de la Polynésie en partie, elles relèvent aussi de l'État dans le domaine de la pression.
Par exemple, aujourd'hui, quasiment 20% des conducteurs conduisent sans permis ou sans assurance. Donc il n'y a pas d'autre solution que d'ôter l'arme du crime, c'est-à-dire la voiture à ces gens-là. Or, on n’a pas de fourrière. C'est une compétence du pays, on en parle depuis 20 ans. Pourquoi est-ce qu’il n'y a pas de fourrière ? Et puis il y a bien évidemment aussi un certain nombre de mesures à prendre pour protéger sans doute les conducteurs de deux-roues. Je ne dis pas qu'il faut complètement copier la législation nationale, mais enfin, de là à circuler en tongs et en maillot de bain sur des deux-roues, on voit le résultat à l'arrivée, il est souvent catastrophique.
Et ne pensez-vous pas que la peur du gendarme n'existe plus en Polynésie ?
Si, il y a une peur du gendarme. Mais comme je vous le dis, la plupart des accidents se déroulent à une heure, deux heures du matin avec des gens alcoolisés qui se tuent tout seuls. On ne peut pas vraiment mettre des gendarmes partout et sur toutes les routes. En revanche, il y a finalement très peu de gens qui se tuent en voiture en Polynésie. Moins d'une dizaine tous les ans.
On va parler à présent du ministre des Outre-mer. Sa venue a été annoncée. Dans quelques mois, est-ce qu'on a les dates ? Est-ce que vous connaissez son programme ou pas encore ?
Non. Manuel Valls a dit qu'il envisageait de se déplacer dans le Pacifique, en Nouvelle-Calédonie, dans le courant du mois de mai. Moi, je n'ai pas entendu parler de la Polynésie française. Il ne l'exclut sans doute pas. Mais aujourd'hui, je ne peux pas vous dire que le ministre d'Etat va se déplacer de telle à telle date. En Polynésie française, je ne dispose pas de ces informations. Je suis désolé
Avec ce qui se passe à Paris, est-ce que le fait d'échanger aussi rapidement avec le ministre des Outre-mer ne va pas remettre en cause tout le travail déjà effectué par son prédécesseur ?
Non. Vous aurez noté que jamais, depuis le début de la 5ème République, un ministre des Outre-mer a eu le titre de ministre d'Etat. Il est très puissant puisqu'il a dit de ministre d'Etat. Il est numéro 2 ou 3, je crois, dans l'ordre protocolaire du gouvernement, devant le ministre de l'Intérieur, ce qui est vraiment un signe fort en direction des Outre-mer. On peut compter sur la personnalité politique du ministre d'Etat pour défendre les Outre-mer au mieux.
Alors, le budget a été voté à Paris. Est-ce que vous avez la garantie que pour la Polynésie, l'enveloppe ne sera pas revue à la baisse ?
Non. Je n'ai aucune garantie de ce type. En revanche, j'ai la garantie et je ferai tout pour sanctuariser les sommes qui sont consacrées au Jeux du Pacifique. Même si l'enveloppe devait baisser de quelques pourcents, le Jeux du Pacifique, c'est 25% de l'enveloppe, on pourra toujours rogner sur quelques dépenses. Et puis, on a quand même beaucoup de fonds. On a le fonds vert, on a le fonds Macron aussi, on a le fonds exceptionnel d'investissement, la DETR. On dispose quand même d'une multitude d'outils ici pour financer les projets du Pays et des communes. C'est la raison pour laquelle je ne me fais pas trop de soucis.
2025 est placée sous le signe de la mer. Une conférence des Nations Unies sera organisée du 9 au 13 juin à Nice. Qu'est-ce que la Polynésie doit attendre de ces sommets ?
En 2024, on a rapporté deux belles choses à la France et au reste du monde. Ce sont les Jeux olympiques et la labellisation des îles Marquises au patrimoine mondial de l'UNESCO
Eric Spitz, Haut-commissaire de la République
J'étais à Moorea avec une association pour planter des fleurs indigènes, pour lutter contre l’érosion des littoraux. J'étais à Tetiaroa avec Te Mana o Te Moana pour parler de protection des tortues. Tous ces sujets seront au cœur de la conférence de Nice, qui se décomposera en deux points. Un point très fermé, où il n'y aura que les chefs de l'État. Mais où, peut-être, j'espère bien que le président de la Polynésie sera invité par le président Macron à participer à ce sommet. Ce qui sera un signe fort pour la Polynésie. Et puis, un point vert, comme on dit, qui sera beaucoup plus ouvert.
On va essayer d'ouvrir un stand pour la Polynésie française, faire des animations, et montrer au grand public ce qui se passe en Polynésie française. On travaille d'arrache-pied. On est reconnus au niveau national pour être particulièrement méritants et enthousiastes dans cette démarche. J'espère bien que cette conférence contribuera au rayonnement de la Polynésie
Vous savez, en 2024, on a rapporté deux belles choses à la France et au reste du monde. Ce sont les Jeux olympiques et la labellisation des îles Marquises au patrimoine mondial de l'UNESCO. J'aimerais qu'en 2025, la belle chose que nous rapportions pour le reste du monde, ce soit le résultat de cette conférence à Nice.
Il nous reste une minute, M. le haut-commissaire. Un bilan positif des actions de l'État en mer, est-ce qu'il y en a un certain que l'on pourrait encore améliorer ?
Il y a un chiffre qui ne sera jamais bon, ce sont les pertes en vies humaines. Ça s'est un peu amélioré par rapport à 2023, où 13 personnes s'étaient noyées. En 2024, on a perdu 9 vies. Donc, 6 noyades et 3 disparitions. Moi, j'en appelle toujours aux principales recommandations. Lorsque vous partez en mer essayez d’être joignables, prévenez vos proches de là où vous allez, et puis, quand vous revenez, prévenez également.
Sur la lutte contre la pêche illégale, il n’y a pas eu de bateaux en situation de pêche illégale depuis 2007. Au contraire nous offrons nos services à d’autres pays voisins pour protéger leur ZEE. Et puis, dans le domaine des stupéfiants, on progresse mais comme je le dis si on pouvait terminer une année sans perdre de vies humaines ce serait bien.