Ce matin, lundi 17 février, l’invité café de Corinne Tehetia était Oraihoomana Teururai, le nouveau ministre du logement, du foncier et de l’aménagement. Il a été question donc ce matin de la nomination du jeune ministre, de l’objectif des 600 farés OPH du Pays pour l’année 2025 et du problème de l’indivision.
Interview :
Faatere hau, Ia ora na et merci d'être avec nous ce matin. 34 ans, ministre... Est-ce que vous vous y attendiez ?
Il serait faux de dire que je ne m'y attendais pas du tout. Ce n'est pas comme si j'avais appris la nouvelle juste avant ma nomination. Cependant, je peux affirmer qu'on ne s'y attend pas nécessairement lorsqu'on débute ses études ou sa carrière professionnelle. C’était mon cas : je ne pensais pas qu’un jour on me proposerait une telle opportunité, avec un niveau de responsabilité aussi élevé.
Vous êtes diplômés en Master 2 en droit privé approfondi et en droit civil... C'est combien d'années d'étude ?
Cinq ans. Cinq ans après le baccalauréat.
Vous avez fait vos études uniquement en Polynésie ou a-t-il fallu que vous partiez en France ?
Moi j'ai un parcours un petit peu atypique. J'ai fait ma licence ici juste après avoir obtenu mon baccalauréat. C'était en 2008. J'ai fait mes trois années de licence ici et puis j'ai dû, par la force des choses, faire une année de césure. Une année qui m'a permis de travailler. C'est comme ça que j'ai commencé dans l'administration. J'avais été recruté au contrôle des dépenses engagées à l'époque par Hina Tuheiava, que je remercie d'ailleurs. Et cette année m'a permis d'économiser de l'argent puisque je suis issu d'une famille modeste. Mes parents n'avaient pas forcément les moyens de pouvoir me payer des études en métropole.
Lorsqu'on part avec l'argent qu'on a économisé soi-même et en se disant que notre famille compte sur nous pour réussir, je peux vous dire que ça vous met un coup de boost. Et ça a été le cas pour moi.
Oraihoomana Teururai, ministre du logement, du foncier et de l’aménagement
Donc j'ai travaillé un an, économisé, et puis je suis parti vers la métropole. Master 1, Master 2, à l'université de Bordeaux. Ça a été particulièrement formateur. Lorsqu'on part avec l'argent qu'on a économisé soi-même et en se disant que notre famille compte sur nous pour réussir, je peux vous dire que ça vous met un coup de boost. Et ça a été le cas pour moi.
Vous avez travaillé dans l'ombre pendant 8 mois sur ces 3 secteurs que sont le foncier, l'aménagement et le logement... avec le président du Pays. Pensez-vous que vous aurez le champ libre pour mener votre mission jusqu'au bout ?
Vous l'avez déjà mentionné en partie, mais je souhaite le préciser à nouveau : occuper cette fonction ne signifie pas avoir un champ d'action illimité ni agir en électron libre au sein du système. On fait partie d'une équipe, celle du gouvernement, dirigée par une seule personne : le Président du Pays, Moetai Brotherson. C’est lui qui définit la politique gouvernementale, fixe le cap et établit le cadre d’action ainsi que les moyens à mettre en œuvre, bien sûr sur proposition des ministres, mais c’est bien lui qui dirige l’action du gouvernement.
Je tiens également à rappeler que le gouvernement est le résultat d'une majorité politique à l'assemblée, une majorité élue par le peuple sur la base d'un programme politique.
Pour ma part, dans les responsabilités qui me sont confiées, j’agirai en respectant le cadre défini par ce programme politique, celui-là même qui nous a permis d'accéder à ces fonctions. Mon action s’inscrira également dans le cadre fixé par le ministre, afin de respecter la ligne directrice du gouvernement.
Vous avez occupé plusieurs fonctions... dont celui de directeur par intérim à l'OPH. Un poste que vous avez quitté 4 mois plus tard... sans vraiment en préciser les causes... Pensez-vous qu'aujourd'hui, vous serez à la hauteur de gérer ces 3 secteurs ? Aurez-vous les épaules assez larges pour supporter les défis attendus ?
En tout cas, je fais tout pour avoir ces épaules-là. Il va falloir se muscler un petit peu parfois, mais si on accepte ce poste, c'est bien évidemment qu'on a envie d'assumer un tel niveau de responsabilité. On accepte cette responsabilité parce qu'on a réfléchi auparavant, personnellement, et puis un petit peu en famille.
Je pense avoir restitué une situation financière de l'établissement satisfaisante, bien qu'il y ait toujours des progrès à faire
Oraihoomana Teururai, ministre du logement, du foncier et de l’aménagement
Je souhaite simplement rappeler que, pour ce qui concerne l'OPH, j'avais accepté de prendre la direction de cet établissement, lourd. On sait quels étaient les défis. Lorsque j'avais repris, l'établissement était dans une situation particulièrement difficile. Plus de 4 milliards de factures à payer avec une trésorerie d'à peine 600 millions. Donc, c'était déjà un grand défi à l'époque.
Lorsque ce poste m'avait été proposé, j'y avais réfléchi bien évidemment plus qu'une fois. Je pense avoir restitué une situation financière de l'établissement satisfaisante, bien qu'il y ait toujours des progrès à faire. Mais la mission qui m'avait été confiée était justement celle de venir améliorer la situation de l'OPH. Et j'avais considéré à cette époque-là que cette mission avait été menée à bien.
C'est-à-dire ? Vous avez pu l’améliorer de quelle façon ?
Descendre très drastiquement le niveau des impayés de factures, des impayés fournisseurs de l’OPH, ce qui a nécessité à la fois des efforts très importants de la part des salariés de l'établissement, que je souhaite ici remercier et saluer, ça n'a pas été évident pour eux. Des coupes budgétaires, une réduction des dépenses de fonctionnement de l'établissement, et puis le soutien évidemment du pays qui avait accordé une subvention. C'est la conjonction de ces éléments qui ont permis d'assainir la situation de l'office.
En ce qui concerne le logement social... 600 logements d'ici fin 2025, c'est l'objectif du gouvernement... À côté de cela, les demandes de logements s'empilent à l'OPH... On en compte 7000 aujourd'hui... L'OPH met en avant les problèmes financiers ou encore le foncier qui manque. Quelle sera votre stratégie ? Est-ce que le Pays a l'assise foncière nécessaire pour construire de nouveaux logements ?
Lorsqu'on parle des moyens qui sont alloués à l'Office Polynésien de l'Habitat, évidemment, on parle de deux choses. On parle du budget -des moyens financiers- et puis on parle du foncier. Lorsqu'on parle du budget, il est vrai que, jusqu'à présent, il y avait une certaine limite. Il y en a toujours. Il y avait toujours des limites budgétaires. Il ne faut pas oublier que le logement n'est pas le seul secteur dans lequel le gouvernement doit intervenir.
président avait considéré que c'était un secteur prioritaire. Il souhaitait lui-même pouvoir mettre les mains dans le cambouis
Oraihoomana Teururai, ministre du logement, du foncier et de l’aménagement
Le gouvernement doit construire des routes. Le gouvernement doit construire des écoles. Le gouvernement doit construire des structures de santé. Le gouvernement doit prévoir des parcelles agricoles. Il y a un certain nombre de politiques qui doivent se coordonner. Le logement ne fait partie que d'une de ces politiques multiples.
L'avantage de ce secteur, c'est qu'il avait été repris par le président en juin 2024, parce que le président avait considéré que c'était un secteur prioritaire. Il souhaitait lui-même pouvoir mettre les mains dans le cambouis, si je peux me permettre l'expression. Voir un petit peu ce qui se passe, quels sont les besoins en termes budgétaires, et à commencer déjà, dès le budget primitif, à réalimenter le budget 2025, et notamment celui de l'Office Polynésien de l'habitat. L'alimenter en crédit pour pouvoir relancer la machine de la construction.
Je l'avais déjà indiqué que l'une de ses manifestations les plus fortes, c'était le soutien appuyé au secteur du faré. Les farés, ces farés OPH que l'on voit un petit peu se construire tout autour des îles de la Polynésie française, sont financés à hauteur de 98% par le pays. Jusqu'à présent, on n'en construisait que 400. Le pays a souhaité augmenter cette capacité de production. Le président a annoncé 600 farés à construire cette année.
Est-ce qu'on a les fonds ?
Dans le budget primitif qui a été voté à l'Assemblée en décembre 2024, nous avons budgétisé 5 milliards, ce qui correspond à peu près à 400 logements, 400 farés. 400 farés, je le rappelle, c'est ce qui était construit sur une année au paravent. Là, dès le budget primitif, nous avons budgétisé l'équivalent de la production qui était jusque-là. Et dans le cas des collectifs, nous venons abonder ce budget de sorte à pouvoir atteindre l'objectif des 600.
Je tiens ici à vous rassurer, le directeur général de l'Office polynésien de l'Habitat s'est déjà mis en ordre de marche avec ses équipes pour que cet objectif soit atteint.
600 logements cette année... 7000 demandes. Est-ce que vous pensez répondre à toutes ces demandes sur le temps qu’il vous reste ?
Alors, je ne vais pas m'avancer en disant que « oui, on va pouvoir répondre à la demande des 7000 farés ». Ce que je peux vous dire, c'est que tout est fait pour accélérer. Vous l'avez dit, l'office polynésien de l'habitat, c'est un budget, c'est du foncier. Et donc, le foncier et le budget, ça trace un petit peu les limites des capacités de construction de l'OPH. Pour les farés, on augmente de 400 à 600. Pour l'habitat groupé, on était à 70 en moyenne. L'idée, c'est de passer à 150, voire 200 par an.
Ensuite, il n'y a pas que l'OPH qui construit des logements abordables. Ça, je tiens à le rappeler. On a tendance à souvent l'oublier, et c'était un petit peu là où le bât blessait pour les anciens gouvernements. C'est qu'on ne comptait que sur l'OPH. Il n'y a pas que l'OPH comme opérateur qui construit des logements. Il y a également le privé.
je ne vais pas m'avancer en disant que « oui, on va pouvoir répondre à la demande des 7000 farés ». Ce que je peux vous dire, c'est que tout est fait pour accélérer.
Oraihoomana Teururai, ministre du logement, du foncier et de l’aménagement
Pour ce qui me concerne, l'idée est de pouvoir mobiliser également cette initiative privée, ces constructeurs privés. Il y a le dispositif des OLSP, les organismes de logements sociaux privés. Un dispositif qui avait du mal à démarrer. Lorsque j'ai pris mes fonctions à la délégation d'habitats et à la ville en 2021, on a commencé à avoir un petit peu en essor : 50, 90. En 2024, on a agréé 208 nouveaux logements intermédiaires. Cette année, l'objectif est de maintenir ce niveau de production à 200. En tout cas, l'initiative privée nous a annoncé pouvoir déposer 200 nouveaux logements en agrément. Et Arana fait partie notamment de ces opérateurs.
Il y a aussi les impayés des locataires qui représentent 30% soit un manque de 500 millions de francs pacifique pour l'OPH. Qu'envisagez-vous de faire à ce niveau ?
Ce que je tiens à dire, c'est que d'abord, il n'y a pas de chasse incendiaire qui va être opérée. Évidemment que les appels de loyers pèsent lourdement sur les finances de l'OPH. Pour vous imaginer un petit peu, lorsque l'OPH doit facturer 100 000 fcfp de loyers, il n'en récupère que 30 000 fcfp. Il y a 30 000 fcfp supplémentaires qui sont versés par l'OPH, mais ça veut dire que l'autre part demeure impayée. Donc c'est une situation qui est bien évidemment insatisfaisante, ne serait-ce que pour l'office.
vouloir à tout prix mettre dehors tout le monde dès lors qu'on a un impayé de loyer, ce n'est pas la ligne du gouvernement
Oraihoomana Teururai, ministre du logement, du foncier et de l’aménagement
Mais pour autant, on connaît le jour social. On sait que l'OPH, c'est un petit peu le logement de dernier recours et de dernier secours. Donc, vouloir à tout prix mettre dehors tout le monde dès lors qu'on a un impayé de loyer, ce n'est pas la ligne du gouvernement. L'idée est davantage de venir traiter l'impayé de loyer à sa source, donc d'interroger, de savoir pourquoi les locataires peinent à payer leur loyer. Est-ce qu'il s'agit d'une mauvaise passe dans la vie, d'une maladie ? Est-ce qu'il s'agit d'une perte d'un emploi ? Une fois les causes identifiées, de mettre en place des actions d'accompagnement. Je crois fermement que c'est ainsi qu'on arrivera structurellement à aider les familles à payer leur loyer, plutôt que de simplement venir leur dire « Écoutez, il n'y a plus rien à voir, sortez de vos logements ».
Sur le Foncier, quel type de politique allez-vous mettre en place pour résoudre les problèmes d'indivision ?
Sur l'indivision, je suis venu rappeler qu'en Polynésie française, il y a environ 56-57% des terres qui sont en indivision. C'est vous dire la part importante que représente l'indivision sur le foncier, et donc l'enjeu qu'il y a pour le gouvernement à intervenir sur cette problématique.
Il y a des dispositifs qui existent déjà, l'aide à la santé de l'indivision, mais pour nous, toutes les familles ne peuvent pas ou ne veulent pas sortir de l'indivision. Mais pour autant, ça ne veut pas dire qu'elles ne veulent pas que leurs fonciers ne soient pas utilisés. Et à ce titre, nous travaillons avec la DAF, sur l'identification de moyens pour pouvoir permettre aux familles qui souhaitent ou doivent rester en indivision de pouvoir les valoriser en même temps.