L'invité café : Matani Kainuku, membre du jury du heiva taure'a

Matani Kainuku, membre du jury du Heiva Taure'a
Le Heiva Taure'a s'est achevé samedi 8 mars, avec la consécration du collège Maco Tevane, de Taunoa. Un concours désormais incontournable pour les collégiens et un bon moyen pour qu'ils se réapproprient le patrimoine. Que faut-il retenir de cette édition ? Matani Kainku, membre du jury, est l'invité café de Corinne Tehetia.

Le Heiva Taure'a s'est terminé samedi 8 mars. C'est le collège Maco Tevane qui a remporté cette édition. C'est un concours incontournable pour se réapproprier le patrimoine. Matani Kainuku, vous êtes membre du jury. Quel bilan faites-vous de cette édition ?

C'est un projet de territoire, ancré dans les habitudes et les évènements culturels. C'est une action pédagogique, un projet interdisciplinaire, qui vise à enrôler un maximum de professeurs autour des élèves pour qu'ils soient ancrés dans leur culture, dans leur patrimoine.

Les archiples étaient bien représentés cette année. Quelle prestation vous a particulièrement touché ?

Ce qui m'a touché, sans nommer une école en particulier, c'est que chaque équipe vienne avec quelque chose de spécifique à son territoire. Rikitea vient avec son pe'i, Makemo avec son orchestre, Raiatea avec sa manière de voir le monde...chaque collège est venu avec son identité.

De jeunes collégiens, âgés entre 11 et 13 ans, qui viennent présenter leur spectacle à To'ata, doit apporter de l'adrénaline, comme au Heiva i Tahiti. Au bout de combien de minutes, remarquez-vous que le stress n'est plus là ?

Le stress est palpable dès qu'ils commencent à répéter à To'ata. Ils nous ont dit qu'ils stressent quand nous les avons rencontrés à leur hébergement. Mais chaque équipe a géré. Les équipes pédagogiques doivent les encadrer, les rassurer. Nous n'avons vu aucun stress sur scène.

Comme au Heiva i Tahiti, les prestations mettent en avant un thème. Que pensez-vous des thèmes mis en avant cette année ?

C'est un projet collaboratif. Les élèves ont donné leur avis et les professeurs les ont accompagnés. Cela peut être des récits imaginaires ou inventés par les élèves. Les thèmes sont utiles car on ne danse plus aujourd'hui sans thème. Il faut qu'il y ait un texte support. Mais les équipes ne doivent pas partir dans tous les sens.

Cette année, il y a eu les thèmes du nucléaire, des légendes...Y a-t-il un regret de votre côté de ne pas mettre en avant l'histoire de l'école ?

Le thème s'inscrit dans les enseignements des professeurs et dans ce que les élèves doivent savoir de leur histoire. Je pense que les élèves doivent d'abord connaître qui ils sont, où ils habitent, est-ce qu'il y a un personnage autour d'eux qu'ils pourraient vénérer dans leur prestation...c'est ce qu'a fait Maco Tevane cette année.

Cette aussi une belle initiative pour valoriser la langue tahitienne. Que retenez-vous ?

Les élèves sont amenés à venir présenter le thème de leur spectacle, ensuite le programme et les costumes. C'est un bel exercice pour se préparer au DNB. Ces auditions-là permettent au jury d'avoir des réponses pour mieux comprendre le spectacle. Comme pour le Heiva i Tahti, c'est un bel exercice pour les élèves. Il y a ceux qui maîtrisent très bien le reo, ceux qui le comprennent et ceux qui ne le maîtrisent pas. Nous jouons le jeu de parler en français ou en reo avec eux, mais tous les élèves nous comprennent. C'est important de parler notre langue dès le plus jeune âge. Le levier patrimoine est essentiel pour installer les élèves dans ce confort, être ancré dans son identité pour la parler.

Est-ce que vous notez un écart entre ceux qui viennent des archipels éloignés et ceux de Tahiti ?

Le Heiva Taure'a doit réconcilier les élèves avec leur culture. Ces projets doivent permettre aux élèves de devenir des bilingues, sécurisés dans leur tête, dans leur peau, pour bien réussir à l'école.

Le orero est au programme. On peut dire que nos langues ont encore un bel avenir ?

Nos langues sont encore parlées tous les jours. Ce qui se passe, c'est que notre école reste un pilier fort pour que nos élèves continuent de parler nos langues. On ne peut pas le faire sans la relation école-famille. C'est ce que font les enseignants. Le Orero continue dans le 2nd degré. Avant de parler, il faut savoir chanter et le chant peut permettre de parler le reo.

Justement, beaucoup de danseuses et danseurs viennent sans vraiment connaître la langue au Heiva.

La langue et le chant permettent de se réconcilier avec la langue. C'est un bon levier pour parler sans avoir honte. La prise de parole en reo permet de communiquer correctement avec les autres.

Vous êtes inspecteur de l'Education Nationale aux CJA. Les langues font-elles partie de vos programmes ?

C'est obligatoire. Les élèves en CJA maîtrisent la langue, la comprennent, c'est un levier fort. C'est important d'y ancrer les langues et la culture polynésienne, notamment dans les ateliers pratiques. Il y a un engouement pour apprendre la cuisine, la menuiserie...avec les langues.

Les CJA n'ont pas participé au Heiva Taure'a cette année. Est-ce que c'est envisagé pour l'année prochaine ?

Il y a 20 CJA en Polynésie. Ils peuvent donc se regrouper. C'est assez compliqué de réunir tout le monde. L'année dernière, le CJA de Erima avait participé avec le collège. Il faut que les CJA travaillent avec le collège de secteur pour mettre en place un programme comme celui-là.

Le premier Heiva Himene Tumu a eu lieu l'année dernière. C'est l'occasion de faire changer les mentalités sur nos chants ?

Cela permet de raconter nos textes du patrimoine, d'un héros ou d'un site. Chaque école s'est appropriée une histoire. Quand on ne sait pas parler le reo, c'est utile de passer par le chant. Ca va avoir un impact sur la société polynésienne quand elle ira au Heiva i Tahiti. Il y aura un respect quand on comprendra ce qui se passe sur scène. Et pour comprendre, il faut avoir fait du chant.

Dans quelques mois, place au Heiva i Tahiti. 23 groupes sont inscrits cette année. Vous êtes président du jury. Quel est votre ressenti par rapport à ce grand concours ?

Je suis confiant parce que le Heiva i Tahiti est un grand évènement de la Polynésie, avec les évènements culturels aux Marquises, aux Australes ou aux Raromatai...Il revient à notre ministre, qui aime sa culture, de participer avec nous tous et c'est ce qu'il fait déjà.

Quel est le message ?

De continuer à faire vivre notre Heiva dans toutes ses composantes, pas uniquement le ori tahiti. Le chant, les danses, les sports...c'est beaucoup d'investissement. Il y a toujours besoin de synchroniser les choses avec les collectivités, peut-être le ministère des sports pour avoir des salles...C'est de la négocation et il ne faut jamais lâcher. Cela fait 22 ans que je m'occupe de la culture et je n'ai jamais lâché, car j'y crois. Cela apporte de transmettre nos langues.

Invité café : Matani Kainuku, membre du jury du Heiva Taure'a ©Polynésie la 1ère